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Smartphones: le retour surprise de Huawei qui agace les Américains

En partenariat avec la revue de géopolitique « Conflits »


Smartphones: le retour surprise de Huawei qui agace les Américains
Des clients testent le Mate 60 Pro dans une boutique, Hangzhou, Chine, 14 septembre 2023 © CFOTO/Sipa USA/SIPA

Le géant des technologies chinois est parvenu à lancer le 29 août le Huawei Mate 60 Pro, téléphone équipé d’une puce 5G entièrement made in China, malgré les sanctions américaines l’empêchant de se fournir en composants à l’étranger… Analyse.


Beaucoup pensaient que Huawei avait abandonné le marché des smartphones. Or l’entreprise vient d’annoncer son retour avec le Mate 60 Pro. Au-delà des enjeux technologiques, c’est aussi un moment de la lutte entre la Chine et les États-Unis. Au cours des quatre années passées, Huawei a été la cible de sanctions économiques de la part des États-Unis. L’objectif était à la fois économique (éliminer un concurrent), mais aussi politique (ralentir voire stopper le développement des technologies en Chine). C’est un euphémisme de dire que ce fut dur pour Huawei. Les sanctions ont produit leurs effets : les smartphones de Huawei ont disparu du marché mondial. Il a même été colporté que le patron aurait envisagé à un moment d’encourager ses ingénieurs à se reconvertir dans l’élevage des cochons. Au fil des mois et des années, on entendait moins parler de cette ancienne vedette des NTIC. Et soudain, dans un silence étourdissant, un coup de tonnerre a retenti dans le ciel clair des smartphones.

Ci-dessous, vidéo d’information officielle de l’audiovisuel extérieur chinois (26 septembre):


La concurrence sort les tournevis

Pendant la visite en Chine de Gina Raimondo, le ministre du Commerce américain et responsable des sanctions contre Huawei, ce dernier a démarré, sans aucune publicité, la vente de son nouveau smartphone 5G Mate60 Pro. Les spécialistes du monde entier se sont rués sur cette bête noire, tournevis à la main, pour la désosser. Qu’avait-elle dans le ventre ? Bloomberg a également dépêché TechInsight. Les résultats de l’analyse ont vite été partagés avec tout le monde1. Il s’agit d’un smartphone 5G doté de capacités de communication via le satellite et avec un chipset de 7 nanomètres (n+2) Kirin 9000S produit par SMIC2, un fondeur chinois. La surprise est de taille. Personne ne pensait que Huawei pourrait se remettre des sanctions et sortir un smartphone aussi concurrentiel. Avec en guise de cerise sur le gâteau, la possibilité de communication via satellite. Comment cela est-il possible ?

Huawei est-il de retour ?

Huawei est-il vraiment de retour ? Oui et non.

Oui, Huawei est de retour, il n’a pas été écrasé. Le groupe a survécu en trouvant de nouvelles voies pour s’en sortir. Il a réorganisé ses activités, amélioré son OS propre, Harmony trans-plateforme, et commencé à produire les chipsets avec des fournisseurs autochtones jusqu’au niveau 7 nm nécessaire pour les produits avancés tels que les smartphones 5G. Les analystes estiment que le Mate 60 Pro devrait se vendre à au moins 7 millions d’exemplaires. Ses concurrents, par exemple Apple, auraient de nouveau, du souci à se faire. Le nouveau Huawei affronte directement le lancement de l’iPhone 15, surtout avec l’arrivée à la queue leu leu de deux nouveaux modèles en très peu de jours : Mate 60 Pro+ avec un écran plus grand et Mate X5 pliable.

Non, Huawei n’est pas encore complètement de retour. Mate60 Pro est sorti. Les nouveaux produits vont-ils continuer à arriver avec les mêmes chipsets (7 nm locales) aux mêmes performances et en quantité nécessaire? Il faudra le vérifier dans la durée. Ayant eu l’opportunité de rencontrer à plusieurs reprises et d’observer de très près le fondateur de Huawei dans ma carrière professionnelle, je sais que M. Ren n’a rien d’un fanfaron. Se satisfaire seulement d’une salve de feux d’artifice n’est pas son style. Tout devrait être déjà planifié pour la suite et sera exécuté avec une rigueur exemplaire. La sortie rapide de Mate 60 Pro+ et Mate X5 en est le témoin. Attendons donc de voir si Huawei est capable de reprendre sa place d’antan.

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Réussir à produire localement des chipsets de 7 nm sous un encerclement tel que celui dont il a fait l’objet, est un exploit extraordinaire. En même temps, il faut admettre qu’il existe encore des écarts très importants à combler. Les écarts entre 7 nm et 5nm, 4nm et 3nm ne se mesurent pas seulement en précision mais surtout en expertise et expérience cumulées pendant des générations. Pour atteindre le niveau le plus élevé, la route est encore très longue. Sur le plan technologique, les Etats-Unis sont et resteront, pour une longue période, le pays le plus avancé du monde.

L’histoire est loin d’être finie. Sous le choc de la nouvelle, les États-Unis ne vont pas baisser les bras. Ils veulent savoir si Huawei n’a pas enfreint l’embargo américain dont il est frappé en concevant le Mate 60 Pro. Le nouveau smartphone, et surtout sa puce Kirin 9 000 S (7 nm n+2), soulèvent de nouvelles suspicions du côté des États-Unis où le gouvernement cherche à obtenir plus d’informations à ce sujet et est prêt à lancer une nouvelle vague de sanctions.

Regarder au-delà du cas de Huawei…

L’arbre du chipset ne doit pas cacher la forêt des supply chain. Outre la signification pour lui-même, le retour de Huawei est lourd de conséquence pour l’ensemble des fournisseurs des smartphones et assimilés. Les investigations montrent que derrière, et avec Huawei, il existe maintenant un supply chain complet et local capable de soutenir l’industrie qui peut désormais fonctionner de façon autonome. 46 fournisseurs locaux en Chine continentale sont à bord, couvrant l’ensemble des besoins tels que les chips pour les calculs et la mémoire, les caméras, les antennes, etc.3 Cela va donner des soucis aux fournisseurs de cette industrie déjà en place.

Le soudain lancement de Mate 60 Pro a provoqué aussi une fluctuation du cours des actions des sociétés de la chaîne industrielle concernée. Huaying Technology, qui a récemment révélé avoir rejoint le système de fournisseurs de Huawei, s’échange à la limite quotidienne depuis trois jours consécutifs. À l’heure de clôture du 6 septembre, la rumeur disait que le cours des actions du fournisseur d’équipements Huawei Qiangrui Technology avait augmenté de 9,34 %. Le fournisseur de communications Huali Chuangtong était en hausse depuis plusieurs jours, clôturant en hausse de 20 %, et de nombreux stocks en liaison avec Huawei entrent dans la tendance haussière.4

… et au-delà du supply chain

Nous avons observé, sur la durée, la stratégie à double volet mise en place par les Chinois pour développer leurs industries, par exemple, dans le domaine des panneaux solaires et des véhicules électriques.

Les efforts ont été menés en parallèle sur la recherche dans le domaine des technologies de pointe et sur l’industrialisation des technologies matures. Ainsi, tout en réduisant les écarts technologiques, ces acteurs prennent d’assaut les marchés domestiques et internationaux avec des produits fondés sur les technologies matures. Avec les avantages de la vitesse et des coûts, ils inondent les marchés. Sous la pression notamment des sanctions, ils décuplent leurs efforts pour mener à bien leur plan de moyen et long terme. Cette fois-ci, aidée par les sanctions américaines jamais vues, la Chine gagnera-t-elle une fois de plus en appliquant la même stratégie concernant l’industrie de chipsets ? La messe n’est pas encore dite5.

Une autre façon de jouer est-elle possible ?

Nous avons constaté dans le passé la répétition d’un schéma : les sanctions US sont suivies du développement de solutions autonomes chinoises, par exemple dans le cas de la station spatiale.6 Produisant deux supply chain en parallèle, cette façon de jouer est très coûteuse pour les deux parties. Ne pourrait-on pas trouver une façon de coopérer, avec une division du travail globale raisonnable et une compétition plus saine ?

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Une coexistence est-elle souhaitable et possible entre les US et la Chine ? Est-ce une question naïve ? Nous ne le croyons pas. Face à l’évolution radicale du monde, face au risque d’épuisement des ressources, et étant tous sur une même planète, où les activités déraisonnables ont déjà causé des dégâts, nous voyons une nécessité absolue de porter notre regard au-delà des conflits géopolitiques de court terme au lieu de nous contenter d’une analyse myope.

L’Association de l’Industrie des Semiconducteurs (SIA – Semiconductor Industry Association) voit également la nécessité de jouer autrement. Selon elle, des restrictions supplémentaires sur les puces visant la Chine présentent un risque pour la compétitivité de l’industrie américaine des semi-conducteurs. Ces restrictions pourraient perturber les chaînes d’approvisionnement et créer une incertitude importante sur le marché. La SIA a exhorté les deux gouvernements à engager un dialogue plutôt que d’intensifier les tensions. Dans une interview accordée en mai à Bloomberg, le PDG de SIA, John Neuffer, a souligné que la Chine représentait le plus grand marché pour les semi-conducteurs américains.

Malgré les préoccupations en matière de sécurité nationale soulignées par le gouvernement américain, Neuffer a affirmé que les sociétés américaines de semi-conducteurs ne peuvent pas se permettre d’ignorer le marché chinois.

Source : Revue Conflits


  1. Cf. Technology Discovery, TechInsights Finds SMIC 7nm (N+2) in Huawei Mate 60 Pro, 8 September 2023.
  2. SMIC : Semiconductor Manufacturing International Corporation est une société chinoise de fonderie de semi-conducteurs cotée en bourse, partiellement détenue par l’État chinois. Il s’agit du plus grand fabricant de puces sous contrat en Chine continentale. SMIC a son siège à Shanghai et est constituée aux îles Caïmans.
  3. Cf. TechNews : la liste (en chinois) des 46 fournisseurs par catégorie, le 5 septembre 2023.
  4. Cf. YICAI, le 6 septembre 2023.
  5. Cf. Alex Wang, La guerre des semi-conducteurs sino-américaine : la messe est-elle dite ? Revue Conflits, le 17 août 2023.
  6. Idem.


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Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.

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