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Le smartphone, instrument de la Passion

Un chemin de croix très actuel a été inauguré à Saint-Nizier, à Lyon


Le smartphone, instrument de la Passion
Jésus est condamné à mort - huile sur bois, 65x50cm, Paroisse Saint-Nizier, à Lyon. Artiste: Bruno Desroche © Luc Pâris

Un nouveau chemin de croix a été inauguré à Saint-Nizier, à Lyon. Ceux qui entourent le Christ sont nos contemporains, vieille et efficace recette théologique.


Considérant l’efficace manière dont la plupart des églises sont encombrées de panneaux immondes vantant des causes improbables, considérant aussi les calicots navrants qui s’affichent sur leurs façades avec des photos affligeantes, méditant enfin sur l’étrange monument soviético-onusien qui orne désormais la place Saint-Pierre, on peut douter que l’Église ait encore le moindre sens esthétique. Un petit tour sur Liturgie et sacrements, site de la Conférence des évêques de France, où un dossier est consacré au « dialogue fécond » (sic) entre l’Église et l’art contemporain, achève de convaincre : l’Église est à la ramasse et court après la modernité avec l’énergie désespérée d’une vieille tante de province égarée à la marche des fiertés et s’efforçant d’apprécier la musique et les costumes.

Un anachronisme revendiqué

Le curé de l’église Saint-Nizier a donc fait un choix stupéfiant en choisissant une œuvre qui ne provoque ni malaise, ni déroute, ni scandale – sinon celui du spectacle d’une longue torture publique. Bruno Desroche a peint à l’huile quinze panneaux de bois reprenant le thème du chemin de croix. On reconnaît le Christ et les stations (comme on nomme chaque étape). Pas moyen de rentrer en “dialogue fécond”, on doit se contenter du dialogue de la prière ; qui est assez contemporain aussi ; qui est même très exactement toujours contemporain. Le curé a choisi après avoir demandé l’avis des paroissiens, et même poussé par des paroissiens contemporains, qui avaient admiré deux tableaux déjà donnés par le peintre et avaient exprimé le désir net et sans ambages de compléter la collection qui s’ajustait parfaitement à la contemporanéité de leur foi. Ce sont eux qui ont lancé une cagnotte en ligne. Bref, ce chemin de croix contemporain est une démarche collaborative et démocratique.

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Jésus tombe pour la troisième fois
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Jésus rencontre Sainte Véronique

Bruno Desroches a aussi peint les personnages qui entourent le Christ : passants et bourreaux, soldats et saintes femmes, disciples et adversaires. Ils sont vêtus comme nous, coiffés comme nous, ils ont nos visages. L’idée n’est pas neuve d’actualiser l’Évangile en donnant aux personnages les costumes de l’époque où le tableau est peint. On a prisé le fait d’être contemporain en art avant que “l’art contemporain” ne devienne cette curieuse expression qui désigne un ensemble d’œuvres figés dans les canons de la première moitié du XXe siècle. On savait être contemporain au XVIe, et au XVIIe, et après, en appliquant tranquillement la bonne recette qui consiste à peindre ce que l’on a sous les yeux.

Jesus entouré de passants vêtus de jeans et sweats à capuche

Le spectateur comprend tout de suite qu’il fait partie de cette Passion. Il est dans l’espace du tableau. Et, selon la station devant laquelle il médite, il peut rêver être de ceux qui pleurent ou se demander s’il n’est pas l’un de ceux qui crachent, frappent et se moquent. Car la Passion du Christ est contemporaine : ce qui s’est passé alors, nous dit la bonne théologie, est le résultat de la somme de toutes les fautes commises avant, pendant et après l’incarnation de Jésus. Voilà ce que nous rappelle Bruno Desroche avec ses passants vêtus de sweats à capuche et de jeans, chaussés de sneakers et de bottines, goguenards ou attristés, qui vont prendre le métro ou sortent du supermarché.

Et photographient cette marche grotesque et sanglante avec leurs smartphones, avant sans doute de partager les images sur les réseaux sociaux.  Il est remarquable que le peintre intègre l’œuvre destructrice de la production d’images socialisées dans un dispositif qui n’est lui-même qu’une suite d’images canoniques dans un espace purement social, celui de l’église. Voilà qui est contemporain, pourrait-on ironiser de cette mise en abyme. Mais ces huiles sur bois, que Bruno Desroche, peintre et professeur, a réalisées après avoir joué et photographié les différentes stations avec ses étudiants, sont réelles et non numériques. Elles ne prolifèrent pas. Leur contemplation véritable doit être réelle aussi, suppose un vrai corps cheminant de tableau en tableau, exécutant le chemin de croix comme un musicien exécute une partition (on pourrait ajouter que ce dispositif est donc participatif pour achever de démontrer que l’actuel discours critique s’enivre de mots de peu de poids et s’émerveille d’évidentes platitudes).

Nous voici dans une vraie église, contemplant de vrais tableaux, réalisés à partir de photographies de vrais modèles, et racontant une véritable histoire – nonobstant la question de la divinité du Christ – à des fidèles, des curieux et des passants réels et contemporains. Nous nous contemplons sans l’intermédiaire des écrans fluides, réalisant l’actualité de cette histoire d’innocent sacrifié aux désirs de la foule. C’est peut-être là que peut commencer un dialogue fécond, non entre l’art contemporain et l’Église mais entre l’Église et la société contemporaine, friandes de victimes et de sacrifices.

Église Saint-Nizier, place Saint-Nizier, à Lyon, depuis le 21 septembre.

Bruno Desroche1
Jésus est descendu de la croix


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