A Montréal, un spectacle sur la culture noire mis en scène par un blanc a été annulé à la suite de pressions d’antiracistes.
Après le suprémacisme blanc, voici l’afro-suprémacisme. La formule surprend, mais ne soyons pas aveuglés par la culpabilité coloniale. Les idéologies produisent souvent des doubles, des alter egos, des figures inversées dont elles se nourrissent. Le communisme s’est servi du fascisme, et inversement. C’est même l’une des raisons pour lesquelles Hannah Arendt les avait regroupés sous la même étiquette, celle du totalitarisme.
L’afro-suprémacisme s’est développé en réaction au racisme blanc, mais n’a pas résisté à la tentation de reproduire les mêmes tendances essentialistes et ségrégationnistes. Aux États-Unis, dans les années 1960, le suprémacisme noir était déjà représenté par les Black Panthers et la Nation of Islam, deux mouvements politiques auxquels Martin Luther King a refusé d’adhérer. En France, les Indigènes de la République ont aussi développé une sorte de suprémacisme arabo-musulman rimant avec le rejet des Blancs. Mais nous ne savions pas que le premier mouvement s’enracinerait au Québec, terre paisible et consensuelle.
« Appropriation raciste »
Le 26 juin dernier, une centaine de manifestants (noirs et blancs) se sont réunis devant un théâtre à Montréal pour dénoncer la tenue d’un des spectacles les plus courus du Festival de Jazz. Considéré comme une « appropriation raciste », le spectacle Släv, du metteur en scène québécois Robert Lepage, avait pourtant pour objectif de promouvoir la culture noire. Mais ce n’est pas ce qu’en ont retenu les manifestants…
Au lieu de saluer l’initiative de Robert Lepage, ils ont insulté le public en l’exhortant à ne pas participer à la continuation symbolique de la traite négrière. Une femme noire venue assister au spectacle a même été qualifiée de « suprémaciste blanche » par des manifestants enflammés. Une scène irréelle dans un Québec qui devenait, tout d’un coup, une parcelle boréale de l’ancienne Afrique du Sud. Un scénario inimaginable dans la métropole d’une province qui se transformait, par la magie du progressisme, en une enclave des États confédérés du Nord. À une différence près : c’était maintenant la gauche qui prônait l’apartheid. Le monde à l’envers.
« Les Blancs ne devraient pas profiter de la souffrance des Noirs »
Les manifestants ont tenté d’expliquer leur démarche malgré l’absurdité qui l’entourait. Selon leurs représentants, le fait qu’un metteur en scène de « race » blanche puisse monter un spectacle sur le thème de l’esclavage représente un grave outrage pour tous les Afro-descendants du monde. De même, le fait qu’une chanteuse blanche puisse interpréter des chants d’esclaves noirs serait scandaleux. Une femme métisse serait-elle autorisée à le faire, elle qui représente à la fois le Mal et le Bien, l’oppresseur et l’opprimé ?
L’un des organisateurs de la manif a déclaré que « les Blancs ne devraient pas profiter de l’histoire, de la culture et de la souffrance des Noirs ». Un autre militant antiraciste a prononcé un discours dans lequel il a dit que les producteurs du spectacle « prenaient le contrôle de la douleur des Noirs, de leur souffrance et de leur histoire pour des billets de 60 à 90 $ ». La ségrégation raciale serait beaucoup plus respectueuse de leurs droits. Chacun son coin, chacun sa « race », chacun son histoire. C’est la devise de cette nouvelle gauche qui a réussi son coup: toutes les représentations du spectacle ont été annulées.
La guerre civile de l’antiracisme
Seuls les Noirs pourraient donc parler d’eux-mêmes. Pour un Blanc, parler des Noirs – même promouvoir et encenser leur culture ! –, ce serait désacraliser leur aura rédemptrice. Ce serait piller leur trésor de chagrin. Ce serait rendre les Noirs esclaves une seconde fois. Bientôt, un juge de la bienséance raciale vous attendra à l’entrée des salles de spectacle pour vérifier si vous êtes assez foncé pour correspondre à tel événement. Dans son fameux Message to the Blackman in America de 1965, Elijah Muhammad, le dirigeant de la Nation of Islam, déclarait : « Les Noirs ont un cœur d’or, d’amour et de miséricorde que la nature n’a pas donné à la race blanche ». Un grand message d’amour universel que les nouveaux antiracistes semblent reprendre en chœur.
Il est fascinant de constater que des antiracistes aient pu manifester contre la tenue d’un spectacle antiraciste, preuve que le ridicule ne tue pas et que le mouvement se noie dans son propre délire. Robert Lepage est loin d’être considéré comme une personnalité de droite au Québec, bien au contraire… Dans la presse, son spectacle a même été qualifié « d’hymne à la diversité, à la mixité sociale, aux mélanges des peuples et à l’espoir ». Dorénavant, la gauche régressive, s’entretue, s’entredéchire, c’est la guerre civile dans ses rangs. Ce sont les bolcheviks contre les mencheviks. Les puritains contre les vierges offensées.
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