L’impératrice comme vous ne l’avez jamais vue. Tu m’étonnes !
Dix ans après un premier film intitulé Finsterword, la réalisatrice allemande Frauke Finsterwalder, 47 ans, se risque à un second (très) long métrage. Sissi et moi. Un film « en costumes », comme on dit. « Moi », ce n’est pas elle, Frauke, mais Irma Sztàray, la dernière dame d’honneur d’Elisabeth d’Autriche, dite Sissi…
Avouons-le, nous n’avions pas vu Finsterword à sa sortie en 2013. Ce qui aiguisait notre curiosité pour Sissi und Dich, c’est d’y retrouver la fabuleuse actrice Sandra Hüller, celle-là même qui tenait si magnifiquement le rôle principal dans Anatomie d’une chute, de Justine Triet – Palme d’or cannoise 2023. Sandra Hüller jouait déjà dans Finsterword ; la voilà donc qui, cette fois, campe Irma, aux côtés de sa compatriote germanique Suzanne Wolff, laquelle endosse le rôle de Sissi. Casting alléchant : l’archiduc Ludwig-Viktor von Habsbourg-Lorraine a les traits de l’acteur Georg Friedrich, qu’on a vu récemment dans Sparta, d’Ulrich Seidl, mais qu’on connait surtout en France pour avoir été dirigé par Michael Haneke dès son premier film, Le Septième continent (1989), puis dans La Pianiste et Le temps du loup… On retrouve aussi, pour incarner le comte Berzeviczy, l’excellent acteur suisse-allemand Stefan Kurt.
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Bref, on n’y allait pas à reculons, à cette projection de presse. On était fondé à croire qu’avec une distribution 100% germanique, et quand bien même la réalisatrice a beaucoup vécu aux Etats-Unis, la reconstitution historique serait conduite avec exactitude. Mais c’est oublier que la doxa féministe prend définitivement ses aises avec la réalité. Sans vergogne, la réécriture de l’Histoire précède l’écriture : « Historiquement, nous affirme Frauke Finsterwalder dans le dossier de presse, l’impératrice Élisabeth a souvent été décrite comme une femme dépressive et psychologiquement instable. Mais cette vision témoigne d’un point de vue masculin et ennuyeux selon lequel une femme au caractère difficile ne peut qu’être malade » (sic ! – je souligne). Et d’ajouter : « Si j’ai choisi le nom d’Irma Sztáray, c’est parce qu’elle a existé à l’époque où se déroule le film (tout de même, on n’en attendait pas moins !). Mais elle n’a pas grand-chose en commun avec l’Irma de mon film. La vraie Irma était proche de ses parents, et en particulier de sa mère aimante. Elle rentrait chez elle pour les vacances et entretenait une relation étroite avec eux. Alors que dans Sissi & Moi, c’est tout le contraire ». De son propre aveu, « l’exactitude historique importait peu ».
Nous voilà donc prévenus : les personnages renvoient à une réalité historique dont le film a décidé de ne tenir aucun compte. Dès lors, il sera permis de leur faire dire n’importe quoi, de leur inventer des situations dépourvues de toute vraisemblance, de leur prêter des rapports improbables, de les habiller sans le moindre souci de véracité « archéologique ». Mais alors, pourquoi faire un film à prétention « historique », si tout y sonne délibérément faux, jusqu’à la bande sonore « pop », agrémentée d’un morceau du groupe Portishead, entre autres trouvailles ? « La seule chose qui était essentielle dans la sélection était que seules des voix de femmes soient entendues », explique benoîtement la cinéaste… En somme, Sissi ne serait qu’un label, celui de « la plus grande pop-star de son époque » (sic) dixit Frauke Finsterwalder. Un label, ça se prête à toutes les déclinaisons. Mêmes les plus anachroniques.
En vérité, l’impératrice d’Autriche, assassinée comme l’on sait à l’âge de 60 ans, n’était plus de toute première jeunesse lorsqu’à partir de 1894 elle prit à son service la jeune comtesse hongroise Irma Sztaray de Stara et Naguy-Mihaly, son ultime dame d’honneur. Peu importe à Frauke Finstervalder : Sissi a perdu 20 ans pour les besoins de la prétendue romance saphique avec Irma. Quant à l’époux, François-Joseph 1er, il est peint sous les espèces du mâle alpha libidineux légitimement éconduit sans ménagement par cette Femme-qui-sait-dire-non-à-l’Homme : « je suis ton mari, tout de même », geint-il piteusement. Burlesque.
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La pente féministe incline ainsi l’improbable scénario de Christian Kracht – conjoint de la réalisatrice, au civil. Certes, l’impératrice d’Autriche s’est étourdie de voyages, de Corfou à l’île de Madère, du château hongrois de Gödöllö au Grand hôtel de Roquebrune-Cap-Martin, des rives de Naples aux eaux de Karlsbad, autant pour échapper à sa tribu que pour fuir l’étiquette de la cour de Vienne. Dans Sissi et moi, paradoxalement, les paysages et les sites architecturaux restituent de façon assez plausible les décors où se manifeste cette opulence princière, par une débauche de panoramas de carte postale, au reste filmés d’un bout à l’autre comme avec une pellicule 16mm : d’où cette image curieusement « crasseuse », dont la « mise au point » semble défectueuse. Tandis que le film réserve aux personnages, à leurs mises comme à leurs postures, et ce en toute connaissance de cause, la plus totale incongruité. Sofia Coppola, dans son Marie-Antoinette, avait donné l’exemple d’un tel travers qui, depuis, a fait des émules. A cent lieues de Visconti, cf. Ludwig ou Le Crépuscule des dieux, où Romy Schneider campait, dans quelques séquences immortelles, une Sissi authentiquement impériale. Dans Sissi et moi, les talentueuses comédiennes Sandra Hüller et Suzanne Wolff se tirent comme elles peuvent de ce script inepte et laborieux.
Irma Sztaray, la vraie, née en 1864, ne s’éteindra qu’en 1940. En 1909, elle a publié ses mémoires : Aus den letzen Jahren der Kaiserin Elisabeth – titre original que l’édition française, parue chez Payot en 2007, traduit Mes années avec Sissi. Le livre est réédité en poche. La dame de compagnie n’y appelle jamais Sissi que « Sa Majesté » : c’était dans l’ordre des choses.
Sissi et moi. Film de Frauke Finsterwalder. Allemagne, Suisse, Autriche, couleur, 2023. Avec Suzanne Wolff, Sandra Hüller, Georg Friedrich, Stefan Kurt, Sophie Huller. Durée: 2h12.
En salles le 25 octobre.
A lire: Irma Sztaray. Mes années avec Sissi. Petite bibliothèque Payot.
Mes années avec Sissi: Par la dernière dame d'honneur d'Elisabeth d'Autriche
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