L’assassinat vendredi du député britannique, Sir David Amess, est désormais considéré par les forces de sécurité comme un acte terroriste. Cet attentat ne représente pas seulement la perte tragique d’un homme qui s’était voué au service public, mais une attaque contre la démocratie elle-même. En cela, il n’est pas sans ressemblance avec le meurtre cruel d’un autre serviteur de l’intérêt général, Samuel Paty.
Au Royaume Uni, comme en France, la tradition des permanences hebdomadaires par laquelle les élus de la Chambre des communes reçoivent leurs électeurs dans leur circonscription fait partie intégrante de la vie démocratique du pays. Il est donc particulièrement significatif que ce soit au début de sa permanence, à midi vendredi, que le député conservateur britannique, Sir David Amess, ait été assassiné par un homme venu sous prétexte de le consulter.
Poignardé à 17 reprises
L’acte, particulièrement barbare puisque le parlementaire a été poignardé 17 fois, est désormais considéré comme un attentat terroriste. Mais un attentat contre qui ou quoi ? Il est très peu probable que Sir David Amess, un homme généralement respecté et aimé même par ses adversaires politiques, ait été choisi comme cible pour des raisons qui lui sont spécifiques. Au-delà de la tragédie de la perte d’un homme qui s’était consacré toute sa vie au service public, lui valant d’être fait chevalier en 2015, il s’agit d’une attaque contre la démocratie britannique. Certes, un élu est le plus vulnérable quand il tient sa permanence, ce qui est le plus commode pour un assassin potentiel, mais cette vulnérabilité, conséquence de la volonté de maintenir le plus de proximité possible vis-à-vis des électeurs, est une expression de la démocratie elle-même. Outre-Manche, on parle actuellement de supprimer les permanences ou de les accompagner de dispositifs de protection policière peu pratiques en réalité, mais la plupart des députés de Westminster ont déjà exprimé leur refus de capituler ainsi devant la menace terroriste.
L’assassin supposé, Ali Harbi Ali, arrêté sur la scène du crime, est un Britannique de 25 ans d’ascendance somalienne, qui vivait avec son père dans un quartier relativement aisé du nord de Londres, en l’occurrence situé dans la circonscription du leader travailliste, Sir Keir Starmer. Son père est un ancien conseiller en communication du premier ministre somalien et se dit « traumatisé » par l’acte de son fils. Celui-ci semble avoir agi seul. Une enquête en cours menée par les forces de sécurité devrait faire la lumière sur la manière dont il a été radicalisé. On sait déjà qu’il aurait été orienté vers un programme purement volontaire pour contrer la radicalisation, mais qu’il n’était pas l’équivalent d’un « fiché S. » Il est possible qu’il ait entretenu des relations avec le réseau terroriste islamiste, al-Chabab, établi en Somalie.
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Le précédent Jo Cox, toujours dans les mémoires
Sa victime, Sir David Amess, était un pilier du système politique britannique. Âgé de 69 ans, il était député depuis 38 ans. Né dans le comté d’Essex, à l’est de la capitale, là où il avait sa circonscription, ses origines – à la différence de celles d’autres politiques conservateurs, comme Boris Johnson ou David Cameron – étaient très modestes. Il était catholique, opposé à l’avortement, était très engagé pour la protection des animaux, et soutenait le Brexit. Il est difficile de voir pourquoi il a été ciblé par son assassin. Celui-ci a pu habiter dans sa circonscription à une époque. Un prédicateur radical londonien, Anjem Choudary, déjà condamné pour ses vues extrémistes, a suggéré que Sir David aurait pu être choisi pour son soutien à l’état d’Israël. En dépit de sa condamnation apparente de l’assassinat, on sent que, pour ce prêcheur de haine, un tel motif constituerait une justification acceptable. Pourtant, si Sir David était secrétaire honoraire du groupe Conservative Friends of Israel (les Amis conservateurs d’Israël), depuis 1998, il était aussi président du groupe parlementaire sur le Qatar. D’ailleurs, les représentants de toutes les mosquées de sa circonscription ont salué en lui un ami de leur communauté pour laquelle sa mort serait une perte considérable. Beaucoup de commentateurs ont tiré des comparaisons avec le cas de la députée travailliste, Jo Cox, assassinée au cours de la campagne référendaire sur le Brexit en 2016 par un individu malade radicalisé par l’influence de l’extrême droite. Certains politiciens conservateurs voient un lien, pour ténu qu’il soit, entre l’assassinat de Sir David et les propos du chef adjoint des travaillistes, Angela Raynor, qui, lors de l’université annuelle du parti, avait qualifié les conservateurs de « scum », c’est-à-dire de racailles ou lie. Pourtant, toutes ces tentatives d’explications sont loin du compte. Tout porte à croire en ce moment que Sir David a été la victime tout simplement du terrorisme international, de ce djihadisme d’atmosphère dont parle Gilles Kepel. Son assassin est en toute probabilité le produit d’un processus qu’on appelle en anglais la « radicalisation en chambre » (bedroom radicalisation), processus par lequel des individus se radicalisent eux-mêmes en surfant sur internet et sans faire partie d’un réseau physique. On craint actuellement que, la pandémie ayant été propice aussi bien à l’isolement physique qu’à des relations numériques, un grand nombre de ces « radicaux de chambre » (bedroom radicals) ne passe à l’action après la fin effective des mesures de confinement. Pourtant, même si ces terroristes font preuve d’une certaine autonomie, ils font partie d’un mouvement sans frontières qui cherche à ébranler l’ordre public dans les démocraties occidentales, surtout en France et au Royaume Uni qui représentent leurs cibles préférées.
Le fait que l’assassinat de Sir David Amess intervient presque un an jour pour jour après l’assassinat de Samuel Paty est probablement fortuit, mais le symbolisme involontaire est parlant : dans le cas français, c’est le système d’éducation qui est attaqué ; dans le cas britannique, c’est le processus démocratique.
Au fond, l’objectif est similaire : détruire les libertés fondamentales sur lesquelles l’Occident s’est construit.
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