Si les criminels avaient la certitude d’être condamnés à de lourdes peines, ils passeraient moins souvent à l’acte – voire pas du tout. La preuve par Singapour.
Il existe, ici-bas, un pays qui réunit toutes les conditions pour être une plaque tournante de la drogue : il est au cœur d’une des principales aires de production ; le crime organisé y a été solidement implanté jusqu’au début des années 1970 ; sa population est jeune, riche et totalement urbanisée. Ajoutons à cela qu’il s’agit d’un port, parmi les plus importants d’Asie, et que son économie est l’une des plus ouvertes du monde. Et pourtant, le phénomène est presque inexistant et en tout cas totalement invisible. Ce pays, c’est Singapour et la raison de ce miracle est simple : à Singapour, les trafiquants de drogue, on les pend. Impitoyablement, automatiquement, avec certitude. Avec plus de 15 grammes d’héroïne et 500 grammes de cannabis, c’est la potence quasi assurée. Après une interruption due au Covid, la cité-État a procédé à 11 exécutions en 2022 et deux autres rien que pour le mois d’avril 2023, ce qui, avec 5,5 millions d’habitants, fournit le taux de loin le plus élevé des pays développés.
Singapour, loin de nos croyances progressistes: des peines certaines et terrifiantes
Cette pratique choque nos âmes sensibles, surtout si on ajoute quelques autres originalités locales, comme la pratique du « caning » qui consiste à administrer de solides coups de canne en bambou, produisant des plaies de plus d’un centimètre de large, à un patient ou une patiente préalablement ligotée à un trépied. Elle remet en cause nos conceptions dites « éclairées » de la justice, fondées sur l’individualisation des peines, les libertés d’interprétation du juge et la foi dans la perfectibilité de l’être humain. Elle provoque régulièrement les protestations indignées des associations des droits de l’homme. Outre que le peuple singapourien n’en a cure et renouvelle régulièrement et presque toujours unanimement sa confiance au parti au pouvoir, elle pose une question théorique passionnante qui pourrait bien bousculer nos croyances progressistes.
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Cette réflexion sur la sévérité et la certitude des peines émane d’un courant de la pensée néolibérale initié par Gary Becker, professeur à l’université de Chicago et prix Nobel d’économie en 1992. Un jour qu’il est en retard pour faire cours (cela arrive aux meilleurs), Becker hésite à garer sa voiture, de façon parfaitement frauduleuse, sur le trottoir juste devant son amphithéâtre. Il s’y résout au terme d’un calcul coûts/bénéfices, estimant que la probabilité d’une amende est mince et son montant limité. Il en déduit une nouvelle façon de traiter le crime et sa répression : le criminel n’est pas un être faible, victime de ses humeurs ou de la société. Il est un être rationnel disposant d’informations précises, qui arbitre en connaissance de cause. S’il est certain d’être condamné à une peine suffisamment dissuasive, il s’abstiendra. Le maître de Chicago procède ainsi à une double révolution, extrêmement stimulante, qui rompt avec toute la doxa de gauche : l’analyse économique peut s’appliquer à tous les domaines de la vie sociale ; le criminel est un individu libre, intelligent et donc responsable de ses choix, ce qui, en passant, est beaucoup plus respectueux de son être. Les Singapouriens l’ont compris… pour leur plus grand bonheur.
En résumé, pour assurer la sécurité, il faut des peines à la fois certaines et terrifiantes. On peut évidemment refuser la peine de mort, mais en aucun cas ce refus ne doit être fondé sur une conception dégradée et pleurnicharde de la personne humaine.