Simonin, l’élégant


Simonin, l’élégant

grisbi albert simonin

Vous ne voulez pas passer pour un cave ? Alors, oubliez les livres en toc, les polars faisandés, les essais où l’on entrave que t’chi, toute cette bafouille pour  loquedus, cette littérature d’empaffés qui envahit les librairies chaque année. Armez-vous plutôt du « Petit Simonin illustré » et vous pourrez tirer en rafales sur les prétentieux. Les Editions Sillage ont eu la choucarde idée de rééditer le fac-similé intégral datant de 1957. Paru à l’origine aux Editions Pierre Amiot, avec une lettre-préface signée Jean Cocteau et des illustrations de Paul Grimault, ce dictionnaire d’usage est indispensable dans la bibliothèque d’un honnête homme. Ne faites pas l’impasse sur ce document comac ! C’est riche, poétique, amusant, historique, nostalgique, terriblement français en somme. Albert Simonin (1905-1980) n’était pas n’importe qui dans le monde des lettres de l’après-guerre. Une épée. Une pointure. Le Châteaubriand de la pègre selon la formule célèbre de Léo Malet. Ce gamin de la Chapelle (XVIIIème arrondissement) qui avait seulement fréquenté l’école communale de la rue de Torcy mettait au tapis académiciens et professeurs agrégés par sa prose vibrante sortie d’un cul-de-basse-fosse et pas d’un colloque emperlousé.

En publiant  Touchez pas au grisbi !  dans la Série Noire en 1953, Marcel Duhamel avait flairé le bon filon. Cheyney et Chandler n’avaient qu’à bien se tenir. Simonin hissait enfin le drapeau tricolore sur la noire. Au passage, il faisait aussi le casse du siècle. Mac Orlan saluait l’artiste. Le Prix des Deux Magots lui tombait dessus quinze jours à peine après la sortie du livre. Villon avait trouvé un héritier à travers les âges. Céline se gaussait. Et les lecteurs en redemandaient. Suivront « Le Cave se rebiffe » (1954), « Grisbi or not Grisbi » (1955) et plus tard, sa pièce maîtresse, la trilogie du « Hotu ». Sans omettre, évidemment, les innombrables adaptations au cinéma de Becker, Grangier, Verneuil ou Lautner. Si Audiard lui a volé la vedette, gravant en lettres d’or, son nom en haut de l’affiche, le dialoguiste devait beaucoup au travail de Simonin. Cocteau n’avouait-il pas ce rôle de défricheur des lettres sauvages, d’aventurier du mot interlope : « vous m’avez puissamment aidé à la découverte d’une langue vivante, au beau milieu de notre époque à demi-morte de fatigue à force de se perfectionner ou de courir en rond ».

Voici deux exemples extraits de ce dictionnaire à méditer par les temps qui courent:

Adjas (mettre les). – locution verbale

Partir, décamper, fuir. Expression dérivée de l’arabe, implantée dans le milieu par les hommes ayant servi en Afrique aux bataillons d’infanterie légère. EXEMPLE : Faut mettre les adjas avant l’arrivée des perdreaux sinon on sera bourrus.

Gambille. – nominatif féminin.

  1. jambe

EXEMPLE : Léone, la mère-pipi du Mystific, ça a été un prix de Diane. Maintenant encore, à soixante piges, elle a qu’à montrer ses gambilles, et les michetons quimpent.

  1. danse

EXEMPLE : Faut voir Bubu et Annette tourner leur java : c’est de la belle gambille !

Mais réduire Simonin à l’argot serait se méprendre sur son génie de la phrase qui claque, du verbe qui tue et de cette façon si personnelle de diffuser une ambiance « vieux Paris ». Quand Simonin écrivait, il passait son smoking sur son bleu de chauffe. Quelle élégance, quelle précision, le milieu avait trouvé son Champollion.

 

Le Petit Simonin illustré, Albert Simonin – Dictionnaire d’argot – Editions Sillage

À signaler en Folio/Policier la réédition  de Touchez pas au grisbi ! avec une préface de Patrick Pécherot

Le Petit Simonin illustré - dictionnaire d'argot

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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