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Deux hommes et un couffin

La porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot accuse Marion Maréchal d’ «homophobie décomplexée et hallucinante»


Deux hommes et un couffin
Le styliste Simon Porte Jacquemus © SYSPEO/SIPA

Quiconque ose demander au couturier homosexuel Simon Porte Jacquemus et à son compagnon qui est la mère de leurs jumeaux, se voit accusé d’homophobie. Pourtant, la GPA, interdite en France, demeure une question éthique légitime.


Décidément il est de plus en plus compliqué d’aborder sans passion et anathèmes certaines questions fondamentales tant elles sont devenues des façons de faire le procès en fascisme des uns et en égocentrisme destructeur des autres. Le tout sans que tout ce cirque ne se termine jamais sur une façon intéressante d’analyser ce que ces accès de fièvre disent d’une société en pleine implosion.

Cette fois-ci, c’est Marion Maréchal qui se retrouve dans la tourmente pour avoir retweeté un post paru sur X émanant de Gossip Room, site spécialisé dans les nouvelles liées au monde du divertissement, qui annonçait que le designer Simon Porte-Jacquemus et son compagnon étaient devenus papas. Commentaire lapidaire de la numéro 2 de Reconquête : « Où est la maman ? ».

Fantasmes

La formulation du tweet initial du site people pouvait effectivement donner l’impression que l’on était dans un monde fictionnel où les hommes accouchent et où les femmes sont évacuées de l’histoire. Il se trouve que les images, qui accompagnaient les félicitations adressées aux deux hommes devenus pères, évoquaient également le monde de la maternité et de l’accouchement. Voilà pourquoi cela ne pouvait que faire remarquer l’invisibilisation de la femme qui venait d’accoucher comme la volonté de l’effacer pour déployer le récit d’un enfantement fantasmé. À ce titre la question « où est la mère » n’est pas illégitime et se pose d’autant plus que le refus des réalités biologiques est un des marqueurs d’une abolition du réel au profit d’une fiction où seule la volonté et le désir individuel comptent.

Le problème, c’est qu’en matière d’adoption cette fiction ne date pas d’hier. L’adoption plénière notamment efface l’origine des enfants et met en place une nouvelle filiation. Si un couple de même sexe adopte un enfant, les deux partenaires seront co-adoptants et auront une responsabilité parentale partagée. Ainsi, si pour faire un enfant, il faut bien un homme et une femme, pour l’élever les configurations peuvent être plus diverses et deux hommes peuvent parfaitement en être chargés. Effectivement, sur ce point-là, la réaction de Marion Maréchal peut être interprétée comme relevant d’une difficulté d’acceptation de l’homoparentalité.

GPA hors la loi

Autre point, si la communication du couple Jacquemus évacue soigneusement la question de la mère, c’est aussi parce que les deux hommes ne sont pas en règle vis-à-vis de la loi française. En effet, les jumeaux sont manifestement nés suite à une GPA, Gestation Pour Autrui. Un acte qui consiste pour des couples riches, à louer le ventre d’une femme pauvre pour y placer des embryons. Emmanuel Macron s’était même engagé en 2017 à maintenir l’interdiction de la GPA en en faisant « une question d’éthique et de dignité ». Il faut dire que le trafic financier autour de la GPA fait de l’enfant un bien que l’on peut vendre ou acheter le ramène à un statut d’objet. La mère et l’enfant sont réduits au statut de moyens au service des désirs d’autrui. Le corps devient une ressource comme une autre. Selon Sylviane Agacinski, qui a beaucoup travaillé sur ces questions, la GPA s’apparente au retour d’une forme d’esclavage où certains hommes ne sont plus sujets mais objet de droit, où certaines circonstances les réduisent à l’état de choses, susceptibles d’être vendues ou échangées, où leur corps n’est plus inaliénable mais peut être acheté ou occupé.

Il y a ici une dimension ultralibérale qui s’exprime : le droit est une triangulation. Le contrat ne met pas deux personnes en relation mais trois : les deux co-contractants et l’Etat qui assure le cadre au sein duquel le contrat est passé et qui permet d’en imposer le respect si l’un des partenaires est défaillant. Sans cette triangulation, il n’y a pas contrat, c’est la loi du plus fort qui s’abat sur le plus faible, du plus riche qui s’exerce sur le plus pauvre.

À ce titre il y a un vrai souci à hurler à l’homophobie pour exhiber sa vertu et à faire dans le même temps impasse sur les questions éthiques que pose la GPA. D’autant qu’en majorité ce sont aujourd’hui des couples hétérosexuels qui y ont recours. Poser la question de la mère est dans ce cadre pertinent, quel que soit le couple en cause, et ne marque pas une « homophobie décomplexée ». Même si dans le cas de Marion Maréchal on peut penser que le couple homosexuel n’est pas son idéal de configuration familiale et même si on peut penser qu’il est déplacé de se servir d’une annonce liée à la vie privée d’un couple pour déployer un discours politique.

La GPA vient d’être reconnue comme un crime au niveau de l’Union européenne au même titre que l’esclavage ou la prostitution forcée

Ce qui serait réellement homophobe serait de penser que les deux hommes en question ne sont pas susceptibles d’élever un enfant et de leur contester ce droit. En revanche être choqué de l’évacuation de la mère comme de l’utilisation de la GPA s’entend. D’ailleurs, l’Union européenne vient de réaffirmer son refus de la GPA en adoptant une loi qui la criminalise. Mais surtout, il y a une réalité de l’homophobie qui, elle, n’est pas combattue parce qu’elle heurte les représentations qui voient dans le vieux blanc d’extrême-droite, l’acmé de l’homophobie. Or aujourd’hui l’homophobie est plutôt l’apanage du jeune musulman. En effet, les agressions contre les homosexuels sont en forte hausse et sont liées en partie à l’explosion de l’islamisme et au rejet de l’homosexualité dans les cultures arabo-musulmanes. Comme dans le cas de l’antisémitisme, le vieux fond culturel d’extrême-droite n’a pas disparu mais de nouveaux acteurs apparaissent.

Pour preuve ? Alors que Rima Hassan voyait dans la possibilité de tomber à bras raccourci sur Marion Maréchal, l’occasion de se poser en grande conscience morale, ce que son image de soutien du Hamas rend impossible, elle a été vite rattrapée par la patrouille islamiste et son aversion de l’homosexualité. Un certain Youssef Hindi lui rappelant « qu’on ne combat pas le Diable sioniste en faisant équipe avec Sodome et Gomorrhe ». On ne saurait être plus clair. Et cette façon de penser ne s’exprime pas que sur X, mais est à l’origine de nombreux guets-apens tendus aux homosexuels. Rappelez-vous la démission de l’élu socialiste Boris Venon aux Mureaux qui disait avoir vécu 11 agressions physiques à raison de son orientation sexuelle. Suite à cela, un reportage tourné dans les quartiers difficiles des Mureaux avait montré le rejet très fort de l’homosexualité notamment chez les jeunes musulmans. État des lieux confirmé par un sondage IFOP en 2019 : 63% des musulmans estimaient que l’homosexualité était un crime contre 14% chez les catholiques (10% chez les personnes se déclarant sans religion). L’écart est énorme et parle de différences culturelles profondes.

Il y a là un travail important à faire auprès d’une population pour réellement faire progresser l’acceptation de l’homosexualité. Et se défouler à bon compte sur Marion Maréchal ne résoudra en rien le problème de fond de la réalité de l’explosion de l’homophobie.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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