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Magie noire

Simon Liberati publie « La hyène du Capitole » (Stock, 2024).



Liberati (Prix Femina 2011 ; Prix Renaudot 2022) aime la récidive, surtout quand il s’agit de nous entraîner dans la débauche à bord d’une grosse Daimler dont les sièges de cuir bleu sentent le miel et le thé. Dans Les Démons (2020), on avait découvert Taïné et Alexis, duo vaguement incestueux. On les avait quittés à New York. On les retrouve à Rome, dans les années 1970.

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La sœur, Taïné, photographe de talent, toxicomane, lesbienne de choc soumise à ses fantasmes les plus dingues ; le frère, Alexis, écrivain empêché, attiré par la chute, les partouzes, les bulles de champagne. Ils croisent Truman Capote, l’écrivain qui a foutu en rogne le plus grand acteur de tous les temps, Marlon Brando ; Helmut Berger, surnommé « l’Autrichienne », l’amant de Luchino Visconti ; Andy Warhol, et d’autres déjantés flamboyants qui auraient ouvert leur braguette devant les censeurs du wokisme. Heureusement que la mort les a projetés dans l’autre monde, leur évitant d’être confrontés à cette insupportable régression.

Le style de Liberati continue de faire mouche : baroque, lyrique, nerveux, à l’os. Le lecteur est convié à la table d’extravagants capables de vous occire pour éprouver la plus sublime des jouissances. C’est dionysiaque, fuligineux, insensé, à l’image de l’Occident, lieu de la chute où le soir ne cesse de tomber, pour reprendre l’image heideggérienne. La fête s’achève en 1973. Liberati : « La crise pétrolière de 1973 et le magnétisme énergique de New York finirait de vider la vie nocturne de ses vrais héros, accusant cette décadence qui fit de Rome une voie sans issue et un mouroir dès 1975. » Il ne faut jamais contrarier les plans du capitalisme.

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Lors de ces séances de magie noire, nous croisons Dominique Mirhage, « la hyène du Capitole ». Elle apparaît lors d’un dîner, à Rome, un soir d’automne ; on la suit sur une vingtaine de pages, puis elle est rattrapée par son destin ; elle finit mal, dans la puanteur. La photographie de la couverture du roman, prise lors du tournage du film L’Urlo (1970), est celle de Tina Aumont, « la plus belle femme du monde », selon le réalisateur Tinto Brass. Elle a d’immenses yeux noirs, rehaussés de khôl, sa longue chevelure brune encadre un fin visage tourmenté ; elle tient dans la main droite un adorable poussin tout jaune. Elle est Bella dans le roman. « Alexis n’avait jamais remarqué à quel point le regard de Bella était sombre, il en montait une vapeur mélancolique et douce. » On pense qu’elle va être un personnage central. Eh bien, non, elle disparaît presque aussitôt après cette description. C’est comme ça, avec Liberati, et depuis son entrée fracassante en littérature : il faut s’habituer aux apparitions. En revanche, Truman Capote reste un pilier du récit. C’est le privilège de l’écrivain, celui qui vous croque et vous fait entrer, parfois de force, dans ses livres. Il est à Rome, Paris, Palm Springs. Avec sa voix de fausset et son regard lubrique, il virevolte comme le moustique, vous repère et vous suce le sang. Il n’hésite pas à fouiller dans les poubelles de l’élite fortunée et cosmopolite. Taïné et Alexis sont suffisamment désaxés pour finir dans Prières exaucées, son chef-d’œuvre posthume. Mais Liberati offre à ces décadents la pleine lumière dans une histoire contrôlée par le crâne de Yorick.

À propos de la nihiliste Taïné, d’origine russe, Liberati écrit : « Quant à ce que les psychologues appellent ‘’culpabilité’’ et les moralistes ‘’mauvaise conscience’’, elle n’en avait jamais jusqu’ici découvert en elle la trace. » Puritains désexualisés, s’abstenir.

Simon Liberati, La hyène du Capitole, Stock.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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