Driss Ghali répond à la mobilisation anti-Zemmour de certains milieux musulmans. Selon lui, elle pourrait s’écrouler sous le poids de son insignifiance tant elle est hors sujet. En encourageant une sorte d’auto-stigmatisation, on enferme des Français musulmans sur eux-mêmes.
Dans une tribune publiée récemment dans les colonnes du Monde, le recteur de la Grande Mosquée de Paris a appelé les Français à s’inscrire sur les listes électorales afin de faire barrage à Éric Zemmour.
Le polémiste n’était pas nommément cité, mais il était à l’évidence l’objet de l’admonestation prononcée par le recteur.
Le texte n’a eu de cesse de souligner l’imminence du danger, la prégnance de la haine à l’égard des musulmans et l’urgence d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
L’assimilation des musulmans n’est pas un franc succès
Curieuse demande que celle émise par le recteur de la Mosquée de Paris !
Est-ce qu’il viendrait à l’esprit de l’archevêque de Rabat d’exhorter les Marocains à s’abstenir de voter islamiste ? Est-ce que le grand rabbin de Tunisie s’autoriserait à dire aux Tunisiens tout le mal qu’il pense d’Ennahda ? Bien sûr que non, mais passons ce détail. Admettons que la France soit un pays exceptionnel, à nul autre pareil, un pays au sens moral si aiguisé que le premier venu peut lui faire la leçon, interrogeons-nous alors sur le fond de la question soulevée par le recteur de la Grande Mosquée de Paris: est-ce que Zemmour est dangereux pour les musulmans de France ?
Les trente dernières années nous démontrent que les musulmans de France n’ont pas eu besoin de Zemmour ou des Le Pen pour sombrer. Ils sont parmi les premières communautés représentées en prison, parmi les premiers locataires de logements sociaux, parmi les travailleurs les plus précaires et les moins bien rémunérés. Ce n’est pas ce que l’on peut appeler un succès.
Pire, les seuls endroits où ils avaient une chance de démentir la fatalité ont été soigneusement dynamités par la bourgeoisie française, bien-pensante et sûre d’elle-même. Il suffit de citer l’école publique qui a été transformée en une fabrique à crétins arrogants et fiers de leur analphabétisme. Résultat : un musulman né à Marrakech a plus de chances de rentrer à Polytechnique qu’un musulman né à Aubervilliers ! Interrogez les directeurs de Polytechnique, ils vous confirmeront que les Marocains (du Maroc, pas ceux du 9-3) ont un niveau époustouflant en mathématiques.
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Ajoutez à cela la sous-culture du rap, la malédiction du cannabis qui ramollit les esprits et démoralise les forces vives, la disparition de l’industrie qui pourvoyait des emplois stables et dignes aux immigrés et à leurs enfants, et vous obtenez une génération sacrifiée dans la plus grande indifférence des pouvoirs publics et des autorités dites représentatives de l’islam en France.
Prison mentale
Rien ne change, en dépit des violences régulières dans certains quartiers, car le système politique « adore » cette situation, il en a besoin, il s’en nourrit, il incite les musulmans de France à incarner une caricature d’eux-mêmes : infantilisés, énervés, dépendants de l’aide publique.
Dans la France de la Diversité, la politique n’est plus vraiment permise, puisque dire la vérité n’est plus permis ! Entendant lutter contre l’« engrenage de la haine », le recteur de la Grande Mosquée de Paris Chems-Eddine Hafiz appelle à s’inscrire sur les listes électorales et à aller voter dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 14 février. La prise de parole est soumise au crible préalable du vivre-ensemble qui autorise les bonnes nouvelles et interdit les mauvaises. On ne peut que célébrer les chances pour la France et se taire sur le fiasco de l’immigration et de l’islamisation. La tribune du recteur de la Grande Mosquée de Paris s’inscrit parfaitement dans cette musique de fond qui habite notre démocratie bâillonnée. Il s’agit d’une musique douce mais pauvre, au rythme prévisible et ennuyeux, car elle n’aspire à rien d’autre qu’à couvrir les sons et les cris des victimes qui appellent au secours, tandis que la croisière s’amuse. Quelques exemples à suivre. « Tout ce qui va à l’encontre de notre coexistence constitue un danger pour notre avenir et celui des générations qui nous succèderont ». Ce qui veut dire qu’il vaut mieux fermer les yeux et se taire, que de décrire le réel qui a le malheur de ne pas obéir au credo du vivre-ensemble. Ce credo d’ailleurs n’est rien d’autre qu’un rêve éveillé. Le pays est devenu un coupe-gorge, l’ultra-violence est palpable, les zones de non-droit se comptent par centaines, mêmes des policiers pouvant être égorgés à leur domicile (Magnanville, 2016) ou bien au cœur même du 36 Quai des Orfèvres (2019). Il n’empêche, Monsieur le recteur écrit : « Des femmes et des hommes ont donné leurs vies pour que nous puissions vivre en paix ». Mais de quelle paix s’agit-il ? Celle du Bataclan, de la Promenade des Anglais ou du prêtre égorgé en plein culte catholique à Rouen ? Il ajoute : « ne trahissons pas leur humanisme », comme si l’humanisme avait survécu à l’ensauvagement. Posez la question à la veuve du chauffeur de bus de Bayonne massacré par des sauvages. Existe-t-il d’ailleurs un humanisme en islam ? La question mérite d’être posée, elle admet certainement une réponse nuancée et complexe, mais inutile d’avoir un diplôme de sciences humaines pour s’apercevoir que le sort des femmes dans le monde musulman, y compris dans nos banlieues, n’est pas très « humaniste ». Dans la conception française, l’humanisme passe par l’égalité entre homme et femme et par l’affirmation de l’individu (face à Dieu et face à la nature). Rien dans l’islam tel que les Français le voient pratiquer autour d’eux ne permet de conjuguer islam et humanisme au sens français du terme. « Non, n’est pas politicien qui le prétend. Au mieux, nous avons affaire à des intrus mal intentionnés entrés dans nos vies par effraction ». On croit rêver ! Désormais, pour prétendre à une charge publique en France, il faut peut-être recevoir la bénédiction des autorités musulmanes, et être déclaré conforme aux principes du vivre-ensemble ! A ce rythme, seuls les fous et les folles accepteront de faire de la politique, puisqu’après le passage par la mosquée, il faudra ensuite monter sur le char décoré de la Gay Pride afin d’être adoubé par le lobby LGBT, vivre-ensemble oblige. Plus sérieusement, quiconque, même Zemmour, a le droit de se présenter aux élections, du moment qu’il répond aux critères prévus par la loi. « Seul le bulletin de vote peut stopper l’engrenage de la haine. » Non Monsieur le recteur, la haine ne cède que devant l’amour. Or, la France n’est pas aimée, elle n’est plus aimée ni par ses enfants ni par les étrangers qui y habitent. Elle ne reçoit que reproche et ingratitude. C’est pour cela qu’elle se rebiffe et qu’elle nous envoie des Zemmour pour nous dire combien elle souffre. La meilleure réponse à l’extrême-droite est que nous tous, au-delà de nos doléances, commencions à aimer la France telle qu’elle est, avec ses parts d’ombre et de lumière. Au fond, se lit en filigrane la moraline, cet ingrédient de notre politique déchue qui, à défaut de nous rendre heureux et de nous protéger, nous expose au déclin. Alors, elle nous fait la morale du matin au soir, et nous prend à témoin pour tout et n’importe quoi : « Nos enfants nous reprocheront notre égoïsme si nous continuons à ignorer tous les signes préoccupants qui viennent de la scène politique. » En réalité, nos enfants nous reprocheront notre inconséquence et notre légèreté, nous qui avons délibérément joué avec le feu en obligeant la civilisation musulmane à cohabiter avec la civilisation française. Nous qui avons installé, les uns sur les autres, les couples gays adeptes de la PMA et les familles musulmanes pratiquantes. Nous qui avons accepté que la rue devienne une arène de boxe, que Paris ait sa colline du crack, que Nantes ait perdu sa douceur de vivre… Tout cela nos enfants vont nous le reprocher et amèrement d’ailleurs. Ce n’est pas parce que nous avons peur de la guerre civile que nous devons tirer sur les messagers qui ont un peu plus de lucidité que le commun des mortels. Zemmour est bardé de défauts, mais il est un moins myope que le politicien moyen • Driss Ghali |
La gauche, les indigénistes, la droite dite républicaine et le parti du président voient dans les musulmans un trophée. Ils s’efforcent de les installer dans une « prison mentale » dont les barreaux sont la victimisation, le ressentiment et l’échec socio-économique. Ils ont besoin de musulmans qui souffrent et non de musulmans qui gagnent : les premiers votent pour eux, les seconds votent pour leurs intérêts.
Cruelle destinée des immigrés musulmans. Quand ils vivaient au sud de la Méditerranée du temps de la colonisation, ils étaient perçus comme un bétail électoral que l’on convoque aux urnes de temps en temps pour conférer une légitimité démocratique aux voleurs et aux bourreaux. En France, on leur demande de voter pour un personnel politique déplorable qui les manipule par le discours antiraciste et par l’assistanat. Dans les deux cas, ils ne sont pas pris au sérieux.
Zemmour surgit et met à nu le système. Il est donc voué aux gémonies, tant par les caciques qui se font élire par l’antiracisme et les allocations, que par les assistés qui craignent la fin de la poule aux œufs d’or. Il s’agit de réactions naturelles, humaines, trop humaines, mais qui n’ont rien de surprenant.
Au calme, dans le secret des consciences, l’évidence est difficilement dissimulable. Avec Zemmour, nous aurions une chance de libérer les banlieues et de réintégrer leurs habitants dans la communauté nationale. Les musulmans ont tout à gagner de ce retour de la République dans les zones aujourd’hui sous l’emprise des gangs. Jamais un dealer n’a aidé personne à intégrer HEC ni à devenir PDG d’Air France !
Avec Zemmour, la théorie du genre sera expulsée de nos salles de classe, l’école publique sera sauvée et la télévision publique cessera d’inviter des rappeurs qui chantent « nique ta mère ». Que des bonnes nouvelles pour un musulman ! Au passage, on nous promet la réindustrialisation de la France, ce qui créera des opportunités d’emploi bien rémunérées pour tous les Français, dont les musulmans. Entre chauffeur Uber et ingénieur chez Dassault, je crois que les jeunes issus de l’immigration méritent de travailler chez Dassault !
Ce contexte posé, la mobilisation anti-Zemmour de certains milieux musulmans s’écroule sous le poids de son insignifiance, elle est juste hors-sujet. On peut ne pas aimer Zemmour, on peut s’indigner de son hostilité assumée à l’égard de l’islam, mais on ne peut pas se dire ami des musulmans et se taire sur le piège maléfique dans lequel nombre d’entre eux se sont laissés enfermer.
Sortir du piège maléfique
Si j’étais imam, si j’avais la chance d’exercer cette charge en France, je consacrerais ma vie à briser ce piège maléfique. Cela passe avant tout par la reconstruction de la famille musulmane, très abîmée par le choc de l’immigration qui a disqualifié les parents et transféré le pouvoir, matériel et symbolique, chez les plus jeunes. Il est impératif de refaire de la famille musulmane une pépinière irriguée par la plus haute conception de l’éthique et de la rigueur. C’est le manque de principes et la désinvolture face aux parents qui font que tant de gamins choisissent le chemin de la délinquance et stigmatisent d’eux-mêmes les millions d’autres musulmans de France.
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Si j’étais imam, je mènerais une guerre sans relâche aux trafiquants de drogue qui détournent la jeunesse du chemin de l’effort et de l’excellence. Le cannabis et le mode de vie « racaille » sont des ennemis mortels pour la famille musulmane. Bien plus que l’extrême-droite. Rien, absolument rien ne sera réalisé si nous continuons à nous tromper d’ennemis. Dans cinquante ans, nous en serons au même point et nous verrons d’autres autorités officielles de l’islam en France se plaindre du petit-fils de Marion Maréchal, déclaré favori aux élections présidentielles.
Si j’étais imam, je demanderais aux musulmans de faire confiance à Dieu et à son jugement final. Qu’ils donnent à la France ce qu’elle exige d’eux et qu’ils soient assurés de la miséricorde divine. Qu’ils fassent preuve de retenue sur la voie publique, qu’ils admettent que les lois françaises prévalent sur la charia sans craindre le châtiment éternel pour autant. Je leur dirais que si Dieu les a fait venir en France, c’est pour mettre l’islam à l’épreuve de la tolérance et de l’altérité. La providence les a installés à Sarcelles et à Marseille pour réconcilier l’islam avec la démocratie, l’islam avec l’humanisme. Quel beau projet ! Quelle magnifique mission !
Si j’étais recteur de la Grande Mosquée de Paris, j’irais au contact des fidèles aux quatre coins du pays, avec un bâton dans ma main gauche pour rosser les voyous et un mouchoir parfumé à l’eau de rose dans ma main droite pour essuyer les gouttes de sueur sur le front des millions de Français musulmans qui « triment » en silence. À mes côtés, j’aurais un tijani venu du Sénégal et un chef de service de neurologie d’origine maghrébine. Le premier incarnera l’islam du sourire, l’islam poétique et lyrique dont personne ou presque ne soupçonne l’existence dans les banlieues françaises, un islam qui rend heureux à la différence de l’islamisme qui, lui, rend méchant. Le second incarnera l’excellence et le savoir, l’équilibre des neurones et de la foi, l’envie de vaincre dans la vie, le refus de la médiocrité du rap et du cannabis. À ce tour de France, je participerais volontiers, je porterais les valises de ces illustres participants et je rendrais grâce à Dieu pour les miracles qui seront accomplis. Oui, des miracles ! Car convertir des jeunes égarés du chemin de la révolte stérile vers celui de l’espoir fécond est un miracle ! Et, en guise de reconnaissance, je réciterais dans mon profond intérieur et sans que personne ne s’en aperçoive… « Allah Akbar ».