À une époque où chacun est libre de choisir son destin, et même son appartenance sexuelle, indépendamment de ses origines, on ne contestera pas à un enfant né de juifs le droit de changer de bord.
Shlomo Sand n’est pas le premier à en avoir plus que marre d’être juif aux yeux des autres. Les juifs plein pot le disent eux-mêmes en soupirant : « C’est dur d’être juif ! »
Avant Shlomo Sand, le dénommé Karl Marx avait fait beaucoup plus fort : plutôt que chercher à « cesser d’être juif », Karl fit comme s’il ne l’avait jamais été. Il ne mentionna jamais ni son rapport ni son non-rapport à la judéité. Motus et bouche cousue pour lui et son entourage. Pourtant, à cette époque où un enfant n’avait que quatre grands-parents, les quatre grands-parents de Karl Marx étaient juifs. Certes, son père s’était converti et l’avait converti à une religion chrétienne, par obligation professionnelle. Heine l’a écrit : « Pour les juifs, la conversion est le ticket d’entrée dans la société. »
N’empêche. Comme Mallarmé aurait aimé l’écrire, jamais la conversion n’abolira l’origine.
Karl Marx se vécut et s’exprima toute sa vie en ennemi des juifs, au point de définir son objectif ultime, l’émancipation humaine, par le désenjuivement de l’humanité.[access capability= »lire_inedits »]
Son essai Sur la question juive se termine ainsi : « L’émancipation du juif dans la société, c’est la société s’émancipant de la judéité. »
J’ai fait remarquer dans un livre sur ce texte de Marx[1. Marx, les Juifs et les Droits de l’homme. À l’origine de la catastrophe communiste, Denoël, 2011.] qu’il n’était pas facile d’abolir ses origines, et que le seul individu qui ait réussi ce prodige, et encore seulement après sa mort, était le nommé Jésus. « Nobody, but Jesus. » Encore fallait-il qu’il n’y eût pas un géniteur juif, que sa mère fût née sans la marque de fabrique de l’espèce humaine − le péché originel −, que son disciple le plus autorisé eût décrété « Il n’y a plus ni juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme », et qu’enfin il fût devenu Dieu le Fils. En l’absence de ces conditions, aucun descendant de juifs ne peut cesser d’être juif par ses origines. Car être juif, c’est d’abord être né de parents juifs. On ne devient pas juif, on naît juif. Et c’est une donnée irrémédiable, pour ne pas dire une maladie incurable. Si chaque descendant de juifs est absolument libre de ne pas se vivre comme juif, de ne plus vouloir penser en juif, sentir en juif et agir en juif, son passé, lui, est définitivement ce qu’il a été. L’origine ne cesse pas. On ne discutera donc que la formulation « cesser d’être juif ». N’est pas Jésus qui veut.[/access]
Comment j’ai cessé d’être juif, Shlomo Sand, Flammarion, 2013.
*Photo : ygurvitz.
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