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Shirley Bassey, sacrée galloise

Hommage à une légende capable de retourner un Ehpad


Shirley Bassey, sacrée galloise
Shirley Bassey, Auteurs : Nils Jorgensen/Shutters/SIPA. Numéro de reportage : REX40424381_000132

À 82 ans, la galloise Shirley Bassey vient de recevoir le titre honorifique « The Freedom of the City » de Cardiff. Causeur lui rend hommage à sa façon.


Il est vingt-heures à Beverly Hills. Les invités piétinent devant le buffet comme à la station Châtelet, un soir de grève perlante. Les langoustes en tempura ne supportent pas la moiteur de l’été californien. Le chef cuisinier français avait prévenu qu’il serait intransigeant sur les cuissons. Avec sa collerette tricolore, il impose sa science gastronomique à toute l’assemblée apeurée. Une réflexion sur l’un de ses assaisonnements et il quitte le champ de bataille dans la seconde. Ce Napoléon des fourneaux est la terreur de la jet society. De Pebble Beach à Sacramento, on craint autant ses colères que ses huîtres chaudes, son arme fatale.

Une chanteuse qui vous retourne un Ehpad

La réussite d’une party dépend de son bon-vouloir. Dans les légations étrangères, on suit à la lettre ses directives. Il a décidé de ne plus servir de plats tièdes afin d’éviter tout incident diplomatique. La maîtresse de maison a insisté pour les langoustes, il lui a fait une faveur, son mari chirurgien plasticien ayant consenti un joli rabais sur l’augmentation mammaire de sa jeune fiancée slovène. Le cadeau de ses vingt-deux ans, il ne peut rien lui refuser. Il commence presque à regretter ce geste. Sa hantise que le champagne rosé vire à l’Orangina, sa réputation n’y résisterait pas. Le Consul du Mexique s’en souvient encore. Los Angeles ne l’a jamais revu. Il a hérité, paraît-il, d’un nouveau poste en Terre Adélie. Les fautes de goût défont les carrières plus sûrement qu’une allocution ratée aux Nations unies. Les club sandwich au homard ont eu un franc succès dès l’ouverture du bar. Il n’en reste plus un seul. Les fromages au lait cru sont restés à quai. Le pâté en croûte, après un premier mouvement de recul, a emballé trois mannequins du défilé Victoria’s Secret.

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Les serveuses portoricaines en sueur, ces casques bleus en chemisier blanc et jupe noire, régulent l’accès au buffet. Elles doivent parlementer avec quelques propriétaires texans aux mains baladeuses et cette intellectuelle new-yorkaise qui leur fait du rentre-dedans avec la subtilité d’un supertanker dans le port de San Diego. Dans l’ensemble, Mrs Petterson est ravie du déroulé des événements. Pour moins de 50 000 dollars, on peut recevoir chez soi, sans passer pour une parvenue du Massachusetts. Il manque pourtant un déclic à la soirée, l’élément perturbateur qui rapproche les corps et électrifie les sens. Shirley Bassey, gouailleuse et féline, vous retourne un Ehpad sur un filet de voix.

Les mots en bouche

L’écho de son « Sunny » s’entend jusqu’aux confins du Nevada. Les serpents du désert sonnent en réponse à cet appel lancé du Royal Albert Hall, sa salle de concert fétiche en 1974. Shirley garde en bouche les mots, les pousse jusqu’à leur extrémité sémantique, leur tire toute la pulpe nécessaire, puis elle claque sa phrase d’un revers lifté. Il y a un fouetté dans le timbre de Shirley Bassey qui réveillerait les morts. Sa technique s’apparente au lasso, cette cowgirl envoie tout au fond de la salle les couplets, les fait miroiter de mille reflets et puis, par bravade, par volonté de nuire aussi, elle stoppe net son élan.

C’est elle qui commande

Elle a des manières de vamp insatiable, elle joue avec nos sentiments. C’est elle qui commande. Nous sommes alors suspendus à ses lèvres, plus rien ne compte, Shirley a fait de nous ses pantins désarticulés. Elle nous bouscule, nous dorlote puis nous abandonne dans une travée. Elle ne va quand même pas nous laisser là, au milieu des fauteuils rouges. Elle s’amuse de notre faiblesse. Bonne fille, elle nous récupère au vol, un peu par pitié et par gourmandise. Maîtresse dominatrice, elle ramène son public hagard, saisi par la puissance et la féerie des mots entrelacés. Nous sommes vaincus. Le « Sunny » de Shirley est rageur et indiscipliné.

Il commence sur un mode lent, presque insignifiant, une musique d’ascenseur censée calmer nos ardeurs et Shirley débarque dans le couvent des Ursulines avec la volonté de tout saccager, de terrasser les âmes perdues. Elle cache son visage derrière des arabesques de mains pour mieux nous envoûter. Shirley ne force pas, elle est la force incarnée. Son « Sunny » nous plonge dans une apnée de trois minutes. Sans bouteille d’oxygène. Seule la voix de Shirley nous maintient en vie et la soirée de Mrs Petterson est sauvée !

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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