Dans un roman qui ne ménage pas la pudibonderie de ses lecteurs, Hélène Maurice revient sur le parcours extravagant de Shannen Doherty, actrice de Beverly Hills 90210 décédée le 13 juillet qui n’est jamais parvenue à se déparer de son image de peste à Hollywood.
La couverture bariolée est couverte de bobines de cinéma, de pop-corn, de masques de Janus… Avec L.A. Artificial (Les presses littéraires), son premier roman, Hélène Maurice nous replonge dans la Californie du début des années 90. Le corps de Kurt Cobain n’a pas encore été retrouvé mort, au bout de son troisième jour de décomposition. Roberto Baggio n’a pas encore envoyé son tir-au-but mémorable, dans les nuages du Rose Bowl de Pasadena. L’héroïne n’a pas encore flingué toute la génération grunge. Pour l’instant, les GI’s mènent leur opération de gendarmerie internationale contre Saddam Hussein. Et toutes les chaines diffusent en boucle les images de la guerre dans le sable. Toutes, sauf la Fox, qui programme à heure de grande écoute un soap, Beverly Hills 90210 (rebaptisé Holmby Hills, dans le roman). L’équivalent, si l’on était méchant, de nos sitcoms de la même époque.
Ça tombe bien, l’Amérique ne demande pas mieux que se vider le crâne. Des personnages un peu niais vivent des amourettes d’adolescents. Les acteurs sont des gosses de riche, ou carrément la fille du producteur (« une véritable petite pute », dont « le succès auprès de la gent masculine étonnait d’autant plus son père qu’il la trouvait laide et refaite »), Sharon O’Brien est une petite nénette échappée du Maryland. Brunette au léger strabisme, elle crève l’écran et vampirise la série, au point de vite pouvoir se permettre toutes les extravagances en coulisse. Jusqu’à coucher avec l’acteur qui joue son frère jumeau dans la série, contre toutes les promesses faites à la production au début du tournage !
« Qu’est-ce qu’on en à foutre de ce soap ? »
« Qu’est-ce qu’on en à foutre de ce soap ? », se demande Jay Martel, journaliste chez Rolling Stone, qui va bientôt se voir imposer à la une de son magazine, référence de la culture rock, la bobine des trois principaux acteurs de la série, a priori fort éloignée de l’underground musical. On pourrait bien se poser la même question.
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Dans son roman, Hélène Maurice nous fait voyager dans les quartiers de Los Angeles, que l’on connait mieux, grâce à la magie du cinéma, que ceux de Grenoble ou Châteauroux. Elle parvient à nous faire passer de la vacuité du monde des petits acteurs californiens au bouillonnement grunge de la même époque. C’est que l’ambiance cocaïnée de la jet-set ne suffit pas à Sharon O’Brien, il lui faut aussi des rockers sales aux bras mutilés par les piqûres. Le roman est par ailleurs émaillé de références musicales de l’époque: de Here comes Your Man à Novocaine for the Soul en passant par Killing in the Name, on se plait à se perdre dans le juke-box mental de l’auteur.
Dans les romans de Bukowski, les types s’enfilent des bières ou s’adonnent à « la meilleure baise de l’histoire ». Il ne faut pas être bégueule non plus quand on ouvre L.A. Artificial : scènes de baise sous défonce (ou l’inverse), éjaculations buccales, introduction d’ecstasy dans le vagin en plein cunnilingus… Il y en a pour tous les goûts.
Mais c’est aussi un intéressant flashback qui nous ramène à une époque où l’industrie du divertissement n’était pas encore tout acquise au progressisme, une époque où les séries télévisées étaient d’abord destinées à un public WASP conservateur, et où des scénaristes démocrates tentaient timidement d’imposer quelques thèmes osés comme le SIDA. Épisode après épisode, les réalisateurs de Holmby Hills avancent ainsi dans leur scénario en ayant la sensation un peu prétentieuse de bousculer la société. Plus tard, Sharon O’Brien s’affichera, elle, aux côtés du Parti républicain, moins par soudaine adhésion politique que par goût du contrepied… et pour ramasser un gros chèque. Encore une manière de s’attirer l’hostilité de ses pairs, habitude qu’elle élève au rang d’art. Toute ressemblance…
Jeunes harpies, désinvolture et gode ceinture
Le roman, cru, direct et efficace, a été publié le 9 juillet. Il a pris une autre dimension puisqu’on apprenait quelques jours plus tard le décès de Shannen Doherty à 53 ans; elle a totalement inspiré le personnage principal. On s’attache à ses coups de sang, à sa manie d’arriver une heure en retard chaque jour sur les tournages. Quand le producteur convoque trois ou quatre acteurs pour leurs écarts de conduite, l’un est pris « d’une diarrhée aussi fulgurante que phénoménale ». Shannen-Sharon, elle, lui fait parvenir le courrier suivant : « Je ne suis pas une fille que l’on convoque. Avec tout mon respect, je vous embrasse patron ! Sharon ». Des ligues de jeunes harpies, grosses dondons d’abord fans de la série mais qui veulent absolument en voir exclue Sharon, s’amusent ensuite à lui pourrir la vie, à cause de l’énorme écart entre le personnage et l’existence dissolue de l’actrice. Il faut dire qu’à une remise de prix des Golden Globes, alors que ses collègues acteurs disent tout leur amour du taï-chi ou de leurs animaux, Sharon, sans pression, lâche : « Qu’est-ce que j’aime bien faire ? Eh bien… sortir avec des garçons ! Voilà ce que j’aime vraiment ! ». De quoi rendre encore plus hystériques de colère les groupies du show.
En quelque sorte, Sharon / Shannen Doherty avait préparé le terrain aux starlettes Disney des années 2000, brandies comme des références du puritanisme à leur début dans les sitcoms sucrées de Disney Channel avant d’apparaitre bien plus délurées sur scène quelques années plus tard, à la manière d’une Miley Cyrus, qui peut désormais chanter avec un gode géant autour de la ceinture ou les doigts dans les parties génitales.
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