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Sexisme: le mythe du continuum

On sait comment ça se termine?


Sexisme: le mythe du continuum
Paris, novembre 2019 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Le néoféminisme s’institutionnalise. L’une de ses thèses les plus farfelues et les plus populaires est ainsi reprise, sans aucune distance, par la plupart des journalistes et une nouvelle campagne officielle nationale de « sensibilisation ». Pourtant, il existe parmi les meurtriers se rendant coupables d’un « féminicide » une part non négligeable d’hommes qui n’avaient jamais levé la main au préalable sur leur victime. Ce sont les malheureux « crimes passionnels », qu’on n’a plus le droit d’appeler ainsi. Ingrid Riocreux, spécialiste du langage médiatique, analyse ce qui est problématique dans le nouveau spot du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.


Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a produit un spot censé prouver les ravages du sexisme :

Il s’agit là de la version courte d’une bande sonore plus longue, disponible sur le site du HCE, que vous pouvez écouter en cliquant sur ce lien.

Réaliste et angoissante, cette fiction sonore signée Carole Fives (le texte ici) n’invente rien ; elle est même très bien écrite. Mais illustre-t-elle vraiment le sexisme ? Un conjoint suspicieux et étouffant potentiellement violent, une entreprise qui craint le manque de disponibilité d’une jeune maman, un dragueur lourd dans la rue : ce sont des types humains, au même titre que la peste capricieuse, la femme manipulatrice, la patronne tyrannique, etc.

Le grand tort de cette fiction est donc de mettre en système des types masculins pour en faire des symboles de l’oppression collectivement subie par les femmes. On pourrait faire la même fiction avec des femmes dans le rôle des méchantes. Y compris dans le domaine conjugal: là aussi, tout le monde sait « comment ça se finit » ; s’il ne fait pas partie du lot de ceux qui meurent des violences de leur femme (un toutes les deux semaines), monsieur se suicide… et on dira qu’il avait « des problèmes au travail ». 75% des suicidés sont des hommes : combien se tuent à cause de leur conjointe ? Auparavant, le monsieur aura subi mille insultes et humiliations, sexuelles, physiques, psychologiques, jusqu’aux rumeurs malveillantes répandues par sa conjointe pour l’isoler dans la honte… et reçu quelques objets dans la figure (une femme ne frappe pas, elle lance des objets). Mais c’est bien connu, quand un homme frappe sa femme, on dit qu’il frappe sa femme. Quand une femme lance des chaussures à la tête de son conjoint, on appelle cela une dispute.

Nicolas et Lucie

La fiction du HCE se conclut ainsi : « le sexisme, on ne sait pas toujours quand ça commence, mais on sait comment ça se termine : tous les trois jours en France, une femme est tuée parce qu’elle est une femme ». Si c’est vrai, la fiction du HCE ne le démontre pas. Le personnage de « Nico » va peut-être tuer « Lucie », mais certainement pas parce qu’elle est une femme. D’ailleurs, si « Nico » était homosexuel, il ne se comporterait pas différemment : il fliquerait son conjoint de la même manière. C’est le grand angle mort des violences conjugales : à côté de la proportion des femmes tuées par leur conjoint, combien le sont par leur conjointe ? A côté des hommes qui tuent leur femme, combien d’hommes tuent leur mari ?

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En réalité, la rhétorique implicite du spot est très perverse : elle suggère un continuum logique entre la vision patriarcale du couple et la violence. « Nico » dit à « Lucie » qu’il n’est pas d’accord pour qu’elle reprenne le travail : la thèse de l’emprise affleure déjà, quand une autre interprétation peut être proposée ; les séances de préparation au mariage ne sont-elles pas justement l’occasion pour les futurs époux de confronter leur vision du couple et leurs représentations respectives sur des questions aussi fondamentales que le travail des femmes ? Si la maman de « Nico » ne travaillait pas, ne peut-on pas comprendre que « Nico » ait du mal à tolérer que Lucie ne se consacre pas exclusivement au foyer et mène une vie qu’il assimile, pour sa part, à celle de son propre père ? Peut-être le couple de « Nico » et « Lucie » est-il miné depuis le début par cette confrontation de deux modèles de familles divergents. Peut-être auraient-ils dû plus mûrement réfléchir leur union pour ne pas se trouver dans une situation conflictuelle.

La liste des sept péchés capitaux complétée

Le continuum logique s’applique de même au chef d’entreprise qui préfère favoriser une candidature (homme ou femme, on ne saura pas) moins risquée pour son entreprise que l’embauche d’une jeune mère fatiguée et peu disponible. Là encore, qu’y a-t-il de choquant, pire, qu’y a-t- il de potentiellement violent dans ce choix, exprimé d’ailleurs fort poliment par un chef d’entreprise qui prend le temps de rappeler la candidate et de la rassurer sur ses compétences?

Enfin, doit-on vraiment penser que tous les gamins mal élevés nourris au porno sont des meurtriers potentiels ?

Non seulement je ne vois pas où commence le sexisme dans ce spot, mais je ne vois pas pourquoi il se terminerait plus mal en tant que tel. Sexisme, féminicide: on croirait que la liste traditionnelle des péchés capitaux était incomplète; ou plutôt, on a l’impression qu’il faut lui en substituer un nouvelle, où la relation aux femmes devient critère déterminant. Pour ma part, je ne crois pas que quiconque tuerait une femme parce qu’elle est femme, sauf peut-être dans les pays où on noie les nouveau-nés de sexe féminin ; mais je sais que le meurtre est au bout de la colère, de la luxure, de l’orgueil et de l’envie. Et que l’on tue un homme ou que l’on tue une femme, ce qui me révulse, c’est que l’on tue un être humain.

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Agrégée de lettres modernes, spécialiste de grammaire, rhétorique et stylistique. Dernier ouvrage: "Les Marchands de nouvelles, Essai sur les pulsions totalitaires des médias" (L'Artilleur, 2018)

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