Il faut chercher pourquoi, une fois que l’on a refermé le court roman de David di Nota, nous éprouvons cette sensation d’avoir rêvé, mais d’un de ces rêves particuliers aux contours très précis et à la logique interne apparemment infaillible. Car après tout, si on résume le contenu de Ta femme me trompe, il s’agit d’une histoire assez simple. Un journaliste, le narrateur, part faire un reportage sur une actrice pornographique « reconvertie dans la défense du christianisme ». Il ne la rencontrera pas, mais se liera avec un homme qui l’invite à regarder des films de l’actrice en question dans sa chambre. Ensuite cet homme fait une crise cardiaque, reste à l’hôpital, et le journaliste devient l’amant de sa femme.[access capability= »lire_inedits »] Celle-ci, finalement, trahira le journaliste, qui avait des informations confidentielles révélant les raisons historiques de l’inaction de la France au Darfour.
Raconté par di Nota, cela prend tout de suite une dimension insolite. Il y a d’abord, chez notre auteur, un ton toujours égal quel que soit le sujet abordé : les pratiques pornographiques japonaises comme les lâchetés de Bernard Kouchner aux Affaires étrangères, la conversation avec une maîtresse plus âgée et donc plus aimablement vicieuse et celle avec un général de haut rang qui a servi en Bosnie. Cette égalité de ton s’appelle l’ironie, et l’ironie de di Nota est celle de Swift, une de ses grandes admirations. Swift était capable de vous expliquer de manière très raisonnable, très argumentée, que le meilleur moyen de réduire la surpopulation et la famine était de manger les enfants des pauvres, à condition de bien les cuisiner.
Di Nota, lui, a écrit, comme son titre l’indique, un anti-vaudeville où le triangle amoureux ne fait pas claquer les portes d’appartements bourgeois mais devient le lieu d’une réflexion amusée et effrayée sur une vieille histoire : le sexe, c’est beaucoup plus que le sexe. C’est de la jalousie, c’est de l’intuition, c’est de la bêtise, c’est de la politique et c’est même une rhétorique : « La sexualité masculine quant à elle est dominée par le zeugma. Un zeugma permet d’accoler deux parties hétérogènes. L’homme n’a nullement besoin qu’une partie renvoie au tout de l’Amour. Ce qu’il cherche, c’est le raccourci qui lui permettra d’accoler deux parties (son propre sexe sur un visage, par exemple.) S’il peut accoler les deux parties, l’homme est content. »
Bien entendu, si vous voulez savoir quelle figure de style représente la sexualité féminine, il vous faudra lire Ta femme me trompe. Et vous pourrez toujours masquer votre curiosité libidineuse en prétextant que l’on croise aussi, dans le roman, la théorie du bouffon de Kafka et des considérations sur Dans les griffes des humanistes, de Stanko Cerovik.[/access]
Ta femme me trompe, de David di Nota (Gallimard).
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