Que deviennent les hommes à l’heure où la révolution des mœurs – la révolution morale – souffle en tempête sur l’Occident ?
Nid à névroses, la famille est aussi un refuge. La mère, le père, l’Œdipe, et l’amour comme ciment. Il en va ainsi pour la plupart des gens en Occident depuis l’invention de la famille moderne au xviiie siècle, avec des variantes, des ambivalences. Que s’est-il donc passé pour qu’aujourd’hui des essaims de guêpes survoltées attaquent en piqué la figure paternelle ? Elle est étrange, tout de même, cette obsession du grand démon blanc hétéro-patriarcal. Je m’étonne qu’on n’aille pas fouiller ce qui se passe là-dessous, dans ce brasier de rage en fusion.
La librairie Mollat prise pour cible
À des degrés divers, tout ce qui se rapporte au sexe et, par extension, au genre, contient de la violence. Pour le féminisme radical, comme pour son versant woke, la figure paternelle, entourée de ses rejetons mâles, incarne cette violence – image de la domination à tous crins, symbole de la tyrannie sans frein. La réaction à cette violence fantasmatique, quoique trop souvent réelle, est également une violence, mais de nature différente. Si vindicatifs soient-ils, le néoféminisme comme le wokisme restent dans les limites du respect de l’intégrité physique. Ils aspirent à une emprise de type totalitaire sans recourir aux pratiques meurtrières des révolutions rouges ou brunes. Ils n’en restent pas moins des violences.
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Récemment invité à Bordeaux par la librairie Mollat pour présenter son dernier roman, Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé, Frédéric Beigbeder suscite la colère des gardes roses de la révolution morale, qui manifestent devant la librairie préalablement taguée. Parmi ces tags, celui-ci : «Tu as un discours de violeur. » Toujours cette rengaine absurde.
La vénérable Sorbonne n’échappe pas à la déglingue, cette fois dans le cadre des études de genre. Fin mars, dans une vidéo, Emmanuelle Hénin, professeur de littérature comparée, condamne les impostures du déconstructionnisme, décrit leur influence au sein de l’université, et pour finir dénonce « l’avènement d’un crétinarcat » où se repère évidemment la critique d’un patriarcat mis à toutes les sauces. Des propos polémiques mais argumentés, sans aucune attaque ad hominem. Or voilà que deux de ses collègues, responsables de l’« Initiative genre » de Sorbonne-Université, postent sur leur site et envoient à une large liste de diffusion un « billet d’humeur », en écriture inclusive, qui se veut une « réponse aux insultes » intitulé « Sainte Bécassine », et dont voici le premier paragraphe : « Dans une vidéo récente diffusée sur Twitter par Le Figaro, une professeure des universités se permet d’insulter des collègues proches, certes non nommé.e.s, mais identifiables de manière implicite : celles et ceux qui utilisent les outils des études de genre, de la déconstruction, ou encore de l’intersectionnalité, installeraient un “crétinarcat” au cœur de l’institution. Ces mauvaises manières sont-elles nouvelles ? Que nenni. Cette dame et ses sombres acolytes sont coutumiers du fait. »
Démolir la figure paternelle
Rien de bien méchant, direz-vous. À ceci près que la suite déborde d’injures d’une telle violence qu’une citation s’impose, hautement révélatrice du dogmatisme woke : « Comment la chose pourrait-elle dès lors penser avant de parler ? Il ne lui reste effectivement que l’invective pour toute panoplie. D’ailleurs, la chose parle-t-elle seulement ? Non, la chose est parlée. En elle, ça parle, et c’est bien en cela qu’elle n’est que métaphore, ou symptôme, d’un phénomène d’une tout autre ampleur. C’est quoi, ça ? Un mélange infâme, de ressentiment, de peur, de fantasme, et même d’idéologie douteuse, puisque l’on renifle dans son infect potage les relents de haines recuites. Notre prophète de pacotille n’est en vérité qu’une pauvre marionnette qui ânonne son gloubi-boulga. Vous savez ? Cette ragougnasse dont seuls raffolent les dinosaures bipèdes de l’espèce des Casimirus. Dans un grand saladier, vous mélangez de la confiture de fraises, du chocolat en poudre, de la banane écrasée, de la moutarde très forte et de la saucisse de Toulouse. Sans doute commencez-vous à concevoir quelque idée de ce que nous sert cette fripouille. » Diatribe telle quelle, que je cite un peu longuement parce qu’elle trahit la projection repérable à l’emploi des termes jetés comme un aveu caché, « ressentiment », « peur », « fantasme », « idéologie douteuse », « relents de haines recuites », tout ce qui caractérise justement la démarche woke et l’agressivité dont elle se nourrit.
Déconstruire le patriarcat, c’est-à-dire démolir la figure paternelle sans se soucier des conséquences sociales et sociétales à terme, ne prend pas nécessairement des formes brutales. Prenez l’idée de l’invisibilité des femmes. Par exemple, dans MGEN Actus du 8 mars, la mutuelle proclame : « On s’engage pour les droits des femmes. » Et de préciser, au sujet de la question du genre, placée au cœur de la crise du Covid : « Cette crise a aussi mis en lumière des secteurs dits “féminins” : ceux de la santé, de la grande distribution, du commerce de détail… invisibilisés en période ordinaire et pourtant vitaux en période extraordinaire ! » Difficile de trouver mutuelle plus humaniste que la MGEN. Pourtant l’accent porté sur l’invisibilité des secteurs dits féminins constitue une forme de violence, dès lors qu’elle passe sous silence, et de facto exclut, l’invisibilité des secteurs masculins qui devraient également être mis en lumière, infirmiers, éboueurs, chauffeurs routiers, ouvriers dans les métiers soumis aux trois-huit, etc., secteurs non moins « invisibilisés en période ordinaire et pourtant vitaux en période extraordinaire ». Ce deux poids, deux mesures est problématique. En Occident, notamment en France, les femmes ne sont pas plus invisibles que les hommes, ou plutôt ne le sont plus. L’élection de Sophie Binet à la tête de la CGT, la désignation de Marylise Léon pour succéder à Laurent Berger et diriger la CFDT valent confirmation d’un véritable renversement dans le champ des pouvoirs, et ce ne sont pas les seuls, tant s’en faut. On peut se réjouir de cette évolution. Mais l’insatiable surenchère du néoféminisme, comme l’expansion du wokisme au sein de l’Université et de l’Éducation nationale, n’en deviennent que plus intolérables.
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