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William Bernet: le roi du tartare

Au Severo, dans le 14ème arrondissement, on déguste le meilleur tartare de Paris...


William Bernet: le roi du tartare
William Bernet, artisan boucher et patron du Severo, entouré du chef Johnny Beguin et de son associé Gaël Marie-Magdeleine © Winkelmann Bernhard

William Bernet mérite sa couronne. Pionnier en la matière, ce boucher-cuisinier s’est depuis longtemps mué en cuisinier-boucher pour servir au mieux la noblesse de la viande française, la meilleure du monde. 


Dans La Traversée de Paris, Gabin et Bourvil transportaient un cochon entier découpé dans leurs valises, de la rue Poliveau à Montmartre. Lors du premier confinement, en avril 2020, on a vu des types faire à peu près le même trajet, mais en sens inverse, de la rive droite jusqu’à la rue des Plantes, dans le 14e arrondissement. Que portaient-ils ? Des entrecôtes sublimes, pesant jusqu’à 80 kilos, pour les stocker au congélateur, au cas où Macron et ses médecins auraient décidé de nous cloîtrer ad vitam aeternam. Car au coin de cette fameuse rue des Plantes, il y a un aristocrate du bifteck, pionnier des bouchers-restaurateurs et dernier cuisinier parisien à trancher lui-même ses trains de côte : William Bernet ! Quand ce Vosgien passait son CAP de boucherie en 1969, l’auteur de ces lignes, âgé d’un an, tétait encore sa mère en regardant « Bonne nuit les petits » à la télé. Dans les années 1970, Bernet fait son apprentissage chez les plus grands : les Boucheries Nivernaises, créées sous Napoléon III. C’est en 1987 que ce boucher à l’ancienne décide de changer de vie en reprenant un minuscule bistrot oublié du 14e, Le Severo, avec son zinc, son lustre Art déco, son sol carrelé, ses banquettes en moleskine et sa petite cuisine ouverte. Son idée est simple : se mettre aux fourneaux et servir simplement les meilleures viandes de bœuf possible, à une époque où, déjà, trouver une côte de Salers succulente est un exploit. En 1998, il va plus loin et devient le premier cuistot de Paris à créer, dans sa cave, un laboratoire lui permettant de faire mûrir ses carcasses à 2 °C (de vingt à soixante jours pour les faux-filets). En maturant ainsi sur l’os, la viande perd 20 % d’eau, s’attendrit et concentre ses goûts de noisette et d’herbes fraîches. Aujourd’hui, William se flatte d’être encore le seul à trancher ses grosses carcasses de 300 kilos avec ses beaux couteaux Perceval fabriqués spécialement pour lui, à Thiers. « Même les plus grands chefs ne savent pas couper la viande, ils laissent le meilleur… », regrette-t-il.

Au début des années 2000, c’est la reconnaissance internationale : une journaliste gastronomique japonaise (au Japon, ce sont les femmes qui écrivent sur la cuisine, dans des revues de luxe) affirme que « le meilleur tartare de Paris est celui du Severo ». Invité au pays du saké, William est reçu avec les honneurs et ouvre à Tokyo deux restaurants de viande où il propose les mêmes recettes qu’à Paris, comme son délicieux tataki de bœuf : un rosbif saisi à la poêle, bloqué dans le froid avec des glaçons, tranché minute, et servi froid avec des anchois de Galice à l’huile d’olive, du parmesan et des câpres. « L’amour des Japonais pour mes viandes vient du fait que, chez eux, les bœufs sont très gras, c’est du beurre ! Leur nourriture est hors-sol (paille de riz et soja), ce qui leur donne un arrière-goût désagréable, alors que mes blondes d’Aquitaine, mes normandes et mes limousines sont nourries à l’herbe fraîche : leur viande est plus maigre et plus acide, plus goûteuse, plus digeste. »

Le meilleur tartare de Paris, haché épais et assaisonné délicatement, se déguste au Severo, le bistrot du boucher William Bernet, dernier restaurateur à trancher lui-même ses carcasses de boeuf affinées à la perfection.
Le meilleur tartare de Paris, haché épais et assaisonné délicatement, se déguste au Severo, le bistrot du boucher William Bernet, dernier restaurateur à trancher lui-même ses carcasses de boeuf affinées à la perfection.

Nous avons donc testé son divin tartare qu’il prépare à emporter et qui doit être consommé dans les deux heures. William utilise de la bavette de flanchet (appelée aussi petite poitrine, car composée de muscles de l’abdomen), un morceau très plat, sans os, avec des fibres longues et une mâche un peu ferme : « C’est le secret du tartare, il faut de la mâche, je déteste les tartares des palaces qui ressemblent à de la bouillie ! » William hache donc la viande au hachoir réfrigéré à 7 °C en réglant la taille à huit millimètres. L’assaisonnement est très simple pour ne pas couvrir le goût de la chair crue : échalotes, sel, poivre du moulin, jaune d’œuf, huile d’olive, tabasco, sauce Worcestershire, câpres… pas de persil ni de cornichons !

À l’origine, en Russie, le tartare était fait avec du cheval et on y ajoutait du caviar. Les frites et la purée qui accompagnent ce chef-d’œuvre traditionnel sont exquises, mais, évidemment, réchauffées à la maison, ce sera moins bien…

Concluons par un avis aux amateurs : sa tête de veau est une merveille ! C’est une révélation, une œuvre d’art nous ramenant à une époque révolue, quand ce plat de légende typiquement parisien (« Parigot, tête de veau ! ») réconciliait les prolétaires et les bourgeois. Au Severo, William la reçoit entière, issue de veaux fermiers élevés sous la mère, avec les yeux, la cervelle, les oreilles et la langue, avant de la désosser en la coupant en deux, de l’épiler, de la nettoyer, de la blanchir, de l’étaler, de la saler, de l’enrouler dans un torchon et de la cuire six heures dans un bouillon de pieds de veau avec de l’oignon et un peu de sucre. Après une nuit de repos, la tête est découpée en tronçons de trois ou quatre centimètres. Il n’y a plus qu’à la poêler à feu vif avec de l’huile d’olive pour lui donner du croustillant et de l’accompagner, « une bonne vinaigrette (type sauce ravigote) avec des échalotes hachées, des câpres et des cornichons suffit (la sauce gribiche, elle, est une mayonnaise à base de jaunes d’œufs durs pilés, donc, un peu lourde) ». La tête de veau de William fascine par sa tendreté et son fondant, ses saveurs délicates, le croquant de son cartilage, la mâche de son cuir. « L’homme est bon, disait Brecht, mais le veau est succulent. » On s’étonne qu’un plat aussi surréaliste n’ait pas plus inspiré André Breton et Man Ray, alors que Marco Ferreri l’a immortalisé dans La Grande Bouffe avec Michel Piccoli (tête-à-tête jubilatoire).

Pour notre part, nous l’accompagnerons d’un Gamay étincelant, un morgon de Jean Foillard, cuvée Corcelette, par exemple.

Mars 2021 – Causeur #88

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste spécialisé dans le vin, la gastronomie, l'art de vivre, bref tout ce qui permet de mieux supporter notre passage ici-bas

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