Quand un pays ressemble encore à l’image que l’on se fait de lui…
Il est bon parfois de communier avec ses icônes. De retrouver dans la chaleur romaine d’une fin d’été, les bases solides d’un pays qui ne trahit pas totalement ses mythes et ses traditions. Qui n’a pas versé abusivement dans une automatisation et une uniformisation à outrance. Qui conserve un sens du service développé et une forme d’humanité rieuse, taquine, à la limite du persiflage, qui rend les rapports moins électriques et surtout moins conflictuels. Et pourtant, qu’il est difficile, voire impossible de résister au rouleau compresseur de la ville occidentale calibrée, indifférenciée, numérisée, à la fois quelconque et anxiogène, où toutes les boutiques se ressemblent et où les aliments ont le même goût lyophilisé. En dépassant les Alpes, le Français habitué à un abaissement généralisé de son niveau de vie, qui doit faire face à un délitement intellectuel et commercial conjugué, se surprend à observer chez ses voisins, des gestes du quotidien disparus depuis des lustres. Des habitudes de consommation qui pour des élites déconstruites sembleraient insignifiantes, mais qui pour un simple citoyen revêtent une portée extraordinaire. C’est à l’aune de ces « minuscules » attentions que l’on prend notre déclassement en pleine poire. Il y a encore en Italie, des barrières contre la déshumanisation galopante, des prestations dignes des années 1950 qui éblouissent par leur simplicité biblique. Il ne s’agit pas ici d’une étude approfondie, sociologique, à vocation universitaire, simplement le constat banal d’une réalité qui fait mal. Les exemples sont à portée de main, pullulent à chaque coin de rue, et l’on se rend compte que nous autres Français, avons perdu la bataille du savoir-faire et du savoir-être depuis trente ans, que notre réputation de gastronome et d’élégant, de filières d’excellence et de traçabilité sécuritaire reposent sur un mensonge. Aurions-nous été mystifiés ? Le « Made in France » fait sourire de rage lorsqu’on le compare au « Made in Italy », à sa puissance économique, à sa diversité locale et à son enracinement. Promenez-vous dans les couloirs de Fiumicino et ceux d’Orly, et vous constaterez, à l’heure du déjeuner, un décalage de civilisation. Partout à l’aéroport de Rome, vous pouvez manger de la « vraie » nourriture, préparée sous vos yeux ; des pâtes, des pizzas, des salades et non pas d’insanes sandwichs ou des produits empaquetés, conditionnés et servis avec une évidente mauvaise volonté ; un affront à notre héritage boulanger et pâtissier. Nous vivons au royaume des hypermarchés et de la standardisation, des ronds-points et des éoliennes, des interdictions et d’une littérature en poudre. Tout semble si fade, si fat dans notre hexagone après un séjour passé en Italie. Nous sommes embourbés dans d’asphyxiantes directives administratives et soumis aux lobbys gloutons. En France, nous avons certes de grands chefs et nous mangeons collectivement, majoritairement de la nourriture industrielle, réchauffée et préparée en laboratoire. Il serait discourtois d’oser mettre sur le même plan de très nombreuses brasseries parisiennes et les trattorias romaines. Déguster des rigatoni all’amatriciana ou des tonnarelli cacio e pepe, des plats classiques du répertoire, nécessitant que peu d’ingrédients et une rudimentaire bassine d’eau chaude relèverait d’un défi insurmontable à Paris où un céleri rémoulade de bonne facture devient un « petit luxe ». En résumé, pour quelques euros, il est possible de s’offrir une nourriture réelle, non déconnectée du vivant. À force de vouloir notre bien, notre santé, notre servilité, nous avons oublié le sens du bon et du beau, du fait-maison et du partage.
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Nous sommes penauds et un peu désemparés de la persistance d’un pompiste (un humain donc) qui vous sert de l’essence, une incongruité énorme, une aberration quasi-historique. En Italie, le self-service n’a pas gangréné les mœurs. On peut se demander jusqu’à quand les digues feront office de rempart culturel. Étrange expérience également pour un Parisien d’aller à la Poste centrale de Rome. Point de machines à affranchir soi-même, mais bel et bien un guichetier à l’ancienne, derrière un comptoir qui prend soin de coller lui-même des timbres (de collection) sur vos cartes postales. Vous croyez rêver. Vous vous demandez combien pourrait vous coûter une telle délicatesse en France. De toute évidence, un pays où un taxi vous ramène à 150 km/h sur l’autoroute a toute mon affection, mon indulgence et ma partialité. Un pays où Adriano Panatta commente le foot à la télé me ravit. En rentrant en France, on peut se consoler en allant voir le film « Seconde jeunesse » avec Stefania Sandrelli encore à l’affiche dans quelques salles et puis écouter les standards de Toto Cutugno.
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