Quand il évoque les menaces émanant des groupuscules à l’ultra-droite ou à l’ultra gauche, le quotidien de gauche fait preuve ces derniers temps d’un étonnant deux poids deux mesures. Un peu comme pour la menace islamiste. Causeur fait le point.
Dernière minute ! Après la polémique liée à une manifestation d’ultradroite samedi à Paris, le ministre de l’Intérieur a annoncé ce mardi à l’Assemblée nationale avoir demandé aux préfets d’interdire toute manifestation de ce type à l’avenir. « Les préfets prendront des arrêtés d’interdiction et nous laisserons les tribunaux juger de savoir si la jurisprudence permettra en effet de tenir ces manifestations » a-t-il notamment dit à la députée de gauche Francesca Pasquini, qui lui reprochait la manifestation du samedi 6 mai. |
Libération, un quotidien “sérieux” et “pas chiant à lire”?
« Oui, Libé est et restera un quotidien de gauche. Mais cet engagement politique n’empêche pas que cela soit un quotidien sérieux sur le plan journalistique. Et Libé a une qualité essentielle : il n’est pas chiant а lire » avait déclaré son directeur général, Denis Olivennes, dans un entretien au Point, en 2020. Libération est actuellement le chantre de l’extrême gauche. Sans craindre le ridicule, les journalistes y usent et abusent d’expressions politiques anachroniques, de sous-entendus démodés, de réflexions outrancières et pathétiques. On patauge dans le pathos gauchiste. Quand il s’agit d’inverser le réel, de dénoncer « l’extrême droite » ou de flirter avec l’islamo-gauchisme, cela peut atteindre des hauteurs stratosphériques. À titre d’exemple, le numéro du vendredi 5 mai vaut vraiment le détour, on ne regrette pas ses 2,70 euros.
Comment réussir à ne rien dire sur les blacks blocs et autres antifas d’extrême gauche (voir notre dossier actuellement en kiosques) qui profitent des manifestations contre la réforme des retraites pour brûler et piller des commerces, incendier des voitures, détruire le mobilier urbain et agresser les forces de l’ordre ? Rien de plus simple: il suffit de décrire un danger fantasmatique, de le monter en épingle, d’en faire des tonnes pour effrayer le lecteur et surtout pour lui cacher la vérité sur l’origine politique et idéologique des véritables casseurs. Comme les journalistes de Libé n’ont pas pu, et pour cause, imputer à des groupes de « nazis » les récentes exactions lors des manifestations, ils nous ont resservi, réchauffé, le mensonge qui fut le prétexte à leur incroyable Une du 16 décembre 2022, deux jours après le match France-Maroc : “Nuit bleue, peste brune”. Cette nuit-là, les journalistes de Libé ont vu un « sinistre augure des violences d’extrême droite », écrivent-ils aujourd’hui. Chagriné d’avoir été raillé par votre serviteur ou par Amaury Bucco (Cnews) et Gilles-William Goldnadel (Valeurs actuelles), le quotidien consacre sa Une du 5 mai et les quatre pages suivantes à « la descente avortée des “nazis des temps modernes” », c’est-à-dire à l’arrestation d’une quarantaine de militants d’ultra droite prévoyant, semble-t-il, de faire le coup de poing avec des supporters marocains lors de la Coupe du monde de football. Rappelons que la seule « descente » d’envergure qui eut lieu cette nuit-là fut celle de jeunes Français d’origine maghrébine contre la communauté gitane de Montpellier, suite à la mort d’un jeune homme fauché par une voiture… Libération évita soigneusement d’entrer dans les détails de cette « gitannade » et préféra délirer sur de fantasmées « hordes de fachos déployées ici ou là dans l’hexagone ».
La France (de gauche) a peur
Alexandra Schwartzbrod, la directrice adjointe de la rédaction du quotidien, aime à se faire peur et à faire peur à ses lecteurs. Son édito du 5 mai sort du même tonneau que celui du 16 décembre. « Les documents que nous révélons font froid dans le dos, écrit-elle. Ils nous expliquent que ce sont des néonazis qui ont voulu s’en prendre aux supporteurs marocains. […] Il faut aller jusqu’au bout de ce récit malgré la nausée qui nous saisit à certains moments. » Il y aurait de quoi avoir les chocottes si cela n’était pas aussi grotesque. L’extrême droite, Éric Zemmour et le député RN Grégoire de Fournas contribueraient à « attiser la haine envers toutes celles et ceux qui ne sont pas blancs », et le gouvernement, plutôt que de concentrer ses attaques sur LFI, ferait mieux d’empêcher la montée du RN, écrit l’éditorialiste avant de se rendre sur le plateau de France Info où elle a son rond de serviette.
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Enquête exclusive
« Libération révèle les coulisses de l’opération qu’une quarantaine de militants d’ultra droite entendait mener cette nuit du 14 décembre. » Impatient de découvrir les révélations que promet le journal, nous poursuivons notre lecture. Le long et fastidieux dossier qui suit, censé nous donner des sueurs froides, contient les CV de quelques-uns des militants d’ultra droite arrêtés le soir du match. Rien que de très banal : un « néonazi aristo », une paire d’excités nostalgiques du IIIe Reich, un quartette de suiveurs qui aiment se battre, un brelan de décérébrés alcooliques – c’est, en gros, l’effectif des « hordes nazies » qui s’apprêtaient à fondre sur les supporters marocains ce fameux soir du 14 décembre. Ces terrifiants et « authentiques nazis des temps modernes » n’ont pas l’air très futés – en tout cas, ils le sont beaucoup moins que les centaines de blacks blocs d’extrême gauche qui parviennent, eux, à échapper aux filatures, aux fichages et, donc, aux arrestations préventives qui soulageraient pourtant les manifestants pacifiques, les paisibles commerçants, les policiers, les gendarmes et les pompiers.
Curieusement, Libération est dans l’incapacité de révéler quoi que ce soit sur les milices de la “Jeune Garde Antifasciste” et sur son chef de file Raphaël Arnault. Réputé pour ses appels à la violence (mais attention, c’est pour contrer l’extrême droite, c’est pas pareil), cet ami de Jean-Luc Mélenchon et de Louis Boyard a récemment été invité à l’Assemblée nationale par Aurélien Taché et la Nupes pour discuter des moyens de combattre… « le terrorisme d’extrême droite ». On se pince. Pourquoi ne pas convier dans l’hémicycle Edwy Plenel, afin de discuter avec lui des moyens à mettre en œuvre pour lutter contre « l’islamophobie et le racisme systémiques » en France, tant qu’on y est ?
Pendant ce temps-là, l’extrême-gauche brûle du flic
L’inénarrable Claude Askolovich ne pouvait pas ne pas faire la publicité de ce numéro de Libé sur France Inter. Trop occupé à chanter les louanges de l’immigration, du multiculturalisme et du wokisme, Claude Askolovitch n’a lui non plus rien à dire sur les exactions des groupuscules d’extrême gauche ayant mis le feu aux poubelles, aux immeubles, aux voitures et même aux policiers lors des dernières journées de protestation contre la réforme des retraites. Par conséquent, il reprend à son compte l’information de Libé sur ces 40 « jeunes gens pétris de haine » et omet de parler de ces centaines de gentils garçons qui détruisent tout sur leur passage et cherchent à casser du flic lors des manifs. Libération et Askolovitch se pommadent la conscience mutuellement, sans jamais déroger aux principes basiques et mensongers de la gauche médiatique – l’inversion du réel constituant la pierre angulaire de cet édifice idéologique.
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Mais revenons au Libé du 5 mai. On y apprend, page 6, que Jean-Luc Mélenchon est un homme politique tout ce qu’il y a de conciliant et à qui il est « très malhonnête de reprocher une forme d’apologie de la violence ». Le quotidien ne voit aucun lien entre la façon qu’a LFI de s’opposer au gouvernement et la violence des blacks blocs. Il sera intéressant de voir de quelle manière ce « journal sérieux » traitera, s’il la traite, l’information récente concernant l’élu LFI Christophe Prudhomme. Lundi 8 mai, ce dernier a en effet scandé, accompagné d’une troupe de joyeux lurons robespierristes, un slogan douteux devant le siège de Renaissance: « Louis XVI, on l’a décapité, Macron, on peut recommencer ». Mais sans doute est-il « malhonnête » de voir là une « forme d’apologie de la violence ».
Libération plus intéressé par la prose de François Burgat que par celle de Florence Bergeaud-Blackler
Nous tournons les pages et tombons cette fois sur un article dont l’objectif est de mettre en doute le sérieux du travail de Florence Bergeaud-Blackler. Son livre sur les Frères musulmans [1] créerait un « certain malaise chez les chercheurs ayant, pour certains, travaillé avec elle ». Au détour d’une phrase, les journalistes précisent, pour déprécier son travail, que Mme Bergeaud-Blackler n’est « ni historienne, ni politiste, ni sociologue », comme si sa formation anthropologique et ses 30 ans de recherches sur le sujet valaient pour rien. Les mêmes relativisent et laissent planer le soupçon du mensonge : « L’anthropologue affirme recevoir des menaces de mort sans toutefois en préciser l’origine ». La suite est à l’avenant. Sur Twitter, Florence Bergeaud-Blackler précise avoir demandé à plusieurs reprises à Simon Blin (l’un des deux journalistes de Libé ayant écrit cet article sournoisement à charge) de l’interviewer sur le contenu de son livre. Simon Blin a refusé. Normal: pour parler du contenu de ce livre il aurait fallu le lire. Or, Simon Blin s’est contenté de citer les réflexions acides de l’islamophile et antisioniste compulsif François Burgat. Cet « islamologue » médiapartien, ami de Tariq Ramadan et admirateur du Hamas, a toujours eu les yeux de Chimène pour le mouvement frériste qu’il compare aux mouvements révolutionnaires anticapitalistes et anti-impérialistes d’Amérique du Sud, le castrisme en particulier. Sur son compte Twitter, François Burgat, enivré d’avoir été si complaisamment cité par Libé, écrit : « Après le “J’accuse” de Zola, le magistral coup d’épingle de Libé qui dégonfle la vilaine baudruche nauséabonde du “frérisme” ! Article historique ! » Historique, assurément, c’est ce que pensent les islamistes. La lecture du Libé du 5 mai leur a permis d’affiner la liste des plus éminents idiots utiles à leur cause hégémonique, ces alliés de circonstance pour lesquels ils n’éprouvent que du dégoût. L’histoire nous enseigne pourtant qu’une fois parvenus à leurs fins, les révolutionnaires (léninistes, maoïstes, castristes, islamistes) estiment le plus souvent que ces « alliés » ne leur sont plus d’aucune utilité, voire même qu’ils sont devenus nuisibles – il s’ensuit le plus souvent quelques opérations aussi sommaires qu’efficaces, purges, procès, emprisonnements et exécutions ne surprenant que les idiots devenus inutiles et ne comprenant généralement pas comment ils ont pu arriver là, devant la porte du cachot ou au pied de l’échafaud où ils se promettaient pourtant de traîner leurs adversaires.
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Oui, les mélenchonistes et les islamistes pensent que Libé n’est pas chiant à lire. Les premiers aspirant au Grand soir révolutionnaire, les seconds à un califat européen – et chacun croyant se jouer de l’autre en s’alliant avec lui – ils apprécient la simplicité retorse avec laquelle le quotidien sert leur cause en ne désignant qu’un ennemi à abattre, « l’extrême droite ». Pour le moment, chacun y trouve son compte. Pour le moment.
[1] Florence Bergeaud-Blackler, Le frérisme et ses réseaux, l’enquête, 2023, Éditions Odile Jacob.
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