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Serge Doubrovsky, l’écriture de la revanche

L’un contre l’autre (Grasset, 2023)


Serge Doubrovsky, l’écriture de la revanche
L'écrivain français Serge Doubrovsky (1928-2017) photographié en 1999 © ANDERSEN ULF/SIPA

L’un contre l’autre, roman resté inédit du père de l’autofiction, écrit à l’âge de 24 ans, nous permet de lire Doubrovsky avant Doubrovsky


Quand un écrivain nous donne de ses nouvelles, un écrivain dont les livres sont en place sûre dans notre bibliothèque, c’est réjouissant. Voici donc le premier roman inédit de l’auteur du Livre brisé (prix Médicis, 1989). Il a pour titre L’un contre l’autre. Nous sommes en 1952, Serge Doubrovsky a 24 ans. C’est un étudiant de l’ENS de la rue d’Ulm, à Paris. Il est né d’un père russe, juif et communiste, parlant mal le français, et d’une mère juive alsacienne, Renée Wietzmann, qui inventa une méthode de sténographie. Les Doubrovsky, rappelle Isabelle Grell, dans sa préface, ont subi l’Occupation, les pires humiliations, à commencer par le port de l’étoile jaune. « La famille sera préservée grâce à un gendarme du Vésinet, nous révèle-t-elle, qui, en 1943, à 8 heures du matin, les prévint qu’il reviendrait les arrêter une heure plus tard ». Il faut vite se cacher ; plus question d’aller au lycée. Un camarade lui passe les cours. Le jeune Serge travaille d’arrache-pied. Il passera l’agrégation de philosophie. Il fera tout pour gommer l’insupportable : être considéré comme un Untermensch par le régime de Vichy aux ordres des nazis.

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Difficultés érectiles

Les femmes occupent une place prépondérante dans l’œuvre de Doubrovsky. Ce premier roman n’échappe pas à cette règle. On retrouve le Quartier latin, l’ambiance est « swing », comme les chansons de Charles Trenet, les filles virevoltent dans les caves enfumées, les garçons ne sont pas aussi fringants – c’est dur d’avoir à assumer la défaite des pères. L’existentialisme domine le microcosme intellectuel. Sartre contrôle les esprits. Du reste, L’un contre l’autre n’est pas sans rappeler Les Chemins de la liberté. La mère de Doubrovsky a dit que son fils révérait Sartre. Le héros de ce roman d’apprentissage se nomme Jean Thévenot, il est normalien. Mais le sexe le hante. Hélas, il n’a pas le physique de son ami Tran, un vrai tombeur celui-là. Il va pourtant trouver la femme qui le fait chavirer : Marilyn. C’est une Américaine, blonde comme une héroïne d’Hollywood. Elle doit le guérir de son cafard, « comme un comprimé d’aspirine guérit d’un mal de tête. » Isabelle Grell, toujours dans sa préface, précise que l’écrivain en herbe, après avoir souffert des oreillons, a des problèmes d’érection. Elle indique également que ce premier roman fut écrit après un fiasco amoureux. L’écriture pour combler le manque. L’écriture pour prendre sa revanche sur l’antisémitisme d’Etat. Dans Fils, Doubrovsky s’écrie : « Quatre ans, j’ai vécu la mort entre les jambes. »

Avant l’autofiction

L’un contre l’autre contient donc des éléments autobiographiques. Mais le fleuve fictionnel irrigue la narration. Il n’est pas encore question de la fameuse « autofiction », terme inventé par Doubrovsky, qui le rendit célèbre. Sa définition ductile fit couler beaucoup d’encre. J’avoue avoir du mal à la résumer ici. Le créateur de ce genre littéraire, fatigué par les polémiques, finit pas avouer, à la fin de sa vie, que l’autofiction, « c’est l’autobiographie moderne ». Dont acte. Comme l’écrit Alain Robbe-Grillet, expert malicieux en brouillage de pistes : « Le biais de la fiction est en fin de compte plus personnel que la prétendue sincérité de l’aveu.”

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Il n’en reste pas moins que certaines scènes de L’un contre l’autre, réelles ou fantasmées, soulignent les qualités stylistiques du jeune écrivain. Exemple ce passage où l’on retrouve les deux amants enfiévrés : « J’étais allongé tout contre elle et ma main, ne connaissant plus d’obstacles, se jouait parmi les richesses de son corps. Sa peau encore grenue sur le rebondissement des fesses, se faisait ensuite polie et tendre, douce à caresser comme de l’ivoire. »

Serge Doubrovsky, L’un contre l’autre, préface d’Isabelle Grell, Les Cahiers Rouges, Grasset.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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