Se sentant délaissée par l’Union européenne au moment de la crise du coronavirus, la Serbie n’en est pas à sa première déconvenue avec Bruxelles. Au-delà de son adhésion, c’est surtout la question du Kosovo qui nourrit les rancœurs des Serbes. A la veille des élections législatives, le député Jovan Palalić, du Parti Populaire Serbe, livre pour Causeur une analyse de la situation.
Causeur. Le 21 juin prochain ont lieu des échéances importantes pour la Serbie, avec des élections législatives décisives. Après plus de huit années au pouvoir, pensez-vous que la coalition nationale SNS-SPS- SNP dont vous faites partie va être réélue ?
Jovan Palalić. Je suis convaincu que notre coalition, et j’entends surtout par-là la coalition de mon parti « Parti Populaire Serbe » et celui du président de la Serbie, l’emportera avec une large majorité aux législatives. Les résultats de notre gouvernement étant plus que visibles, nous sentons le soutien des citoyens au niveau quotidien. La Serbie est devenue un grand chantier, le chômage a radicalement diminué, des autoroutes modernes ont été construites, les salaires ont augmenté, la stabilité monétaire a été assurée, il y a une grande croissance des nouvelles technologies et il y a une claire politique externe et nationale. Après une décennie de pouvoir de gauche et libéral, qui a mené l’État au bord de la banqueroute, maintenant il y a un sentiment d’ordre et de stabilité. La dignité nationale et la foi en l’avenir de la nation sont de nouveau présentes.
La crise du COVID-19 semble avoir été bien gérée par le gouvernement serbe, grâce notamment à des mesures drastiques dès le 20 mars : état d’urgence, fermeture des frontières et masques obligatoires. La Serbie a reçu pendant cette crise une aide humanitaire importante de la Russie et de la Chine. Comment voyez-vous l’avenir de votre pays : plutôt arrimé au bloc euro-atlantique ou bien rejoignant la sphère eurasiatique?
Dans une situation difficile et complexe, comme était la crise pandémique du Covid-19, notre gouvernement a pris des décisions difficiles, et parfois impopulaires, afin de réduire la menace à la santé des citoyens au minimum. Et la meilleure preuve de notre réussite est le soutien que nous recevons des citoyens. Malheureusement, au début de la crise nous n’avions ni l’appui, ni la compréhension de la part de l’Union européenne, et nous n’étions pratiquement abandonnés qu’à nous-mêmes. Une énorme déception pour les citoyens et le gouvernement. Toute personne ayant eu des illusions sur le fonctionnement et la solidarité de l’Union européenne (moi, je n’en ai jamais eu), n’en a plus, et ces illusions sont désormais perdues dans une grande mesure.
Pour les Serbes, il n’y a pas de plus grandes valeurs que celles de la liberté et de la patrie souveraine
La Serbie est un pays sérieux et, pendant des années, elle a aussi construit de bonnes relations et partenariats avec d’autres puissances, ce qui avait comme résultat que la Russie et la Chine lui sont venues au secours toutes les deux. Pourtant, cela ne signifie pas que nous voulons un alignement quelconque car la politique serbe a depuis toujours été fondée sur la défense ferme de l’indépendance de l’État et de sa pleine souveraineté, ainsi que de la liberté de créer sa politique nationale. Dans la paix, nous gardions cette position en développant de sincères partenariats et respects mutuels avec tous les pays où nos intérêts coïncidaient, et, dans la guerre, nos moyens étaient le courage et les armes. Ainsi, notre avenir est dans l’indépendance, la liberté et la coopération avec tous. Pour les Serbes, il n’y a pas de plus grandes valeurs que celles de la liberté et de la patrie souveraine.
Votre gouvernement négocie depuis 2009 l’intégration à l’Union européenne. D’un autre côté l’Union européenne est en train de se décomposer, avec la sortie du Royaume-Uni et peut-être de l’Italie. Comment voyez-vous l’avenir de la Serbie vis-à-vis de l’Union européenne ? Quelles relations entretient la Serbie avec l’OTAN?
Je suis d’avis que, depuis le début, Bruxelles a eu une attitude insincère envers la Serbie au sujet de l’affiliation à l’Union européenne. Parmi les pays membres de l’Union européenne, nous avons remarqué une montée du scepticisme vis-à-vis de l’élargissement après le début de la crise économique mondiale en 2008, et depuis cette période le scepticisme ne s’est qu’agrandi. Ensuite, il a aussi progressivement débordé en Serbie, si bien que maintenant le sentiment prédominant auprès des citoyens est que nous ne serons jamais membre de l’Union européenne. En même temps, la bureaucratie bruxelloise a posé comme condition pour l’adhésion que la Serbie reconnaisse pratiquement l’indépendance du Kosovo. D’un autre côté, cette même Union ne peut pas promettre ni définir un délai approximatif quant à la date d’une adhésion. Nous le comprenons clairement comme du chantage et une demande de donner tout pour rien. Ces négociations se sont maintenant transformées en une pure fiction car l’Union européenne ne les mène pas pour notre adhésion, mais pour tenir les Balkans sous contrôle et empêcher l’impact des autres puissances. La Serbie, quant à elle, le sait très bien et n’acceptera jamais d’être partie d’une organisation en divergence que, petit à petit, abandonnent les anciens membres, si la condition d’y adhérer est de renoncer au Kosovo en tant que partie de son territoire, là où ont été créés l’État, la culture, la foi et la nation même.
Pour les bureaucrates à Bruxelles, le Kosovo n’est qu’un problème non résolu et un mal de tête, alors que pour nous le Kosovo est le cœur de la nation. En raison de cela, nous ne pouvons pas nous comprendre. En ce qui concerne l’alliance de l’OTAN, c’est une alliance militaire qui a brutalement bombardé la Serbie en 1999 pendant 73 jours afin que le Kosovo lui soit ôté, et cette alliance nous a faits beaucoup de dommages, tant humains que matériels. Le peuple serbe ne l’oubliera jamais et c’est pour cela que nous tenons une position de neutralité militaire. Nous coopérerons avec tous mais sans affiliation. Nous renforçons notre armée afin de conserver la liberté et l’indépendance.
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Les pays balkaniques traversent une crise importante, entre crise migratoire, crise économique et autorités corrompues. Quelle sont les solutions pour que les Balkans sortent du marasme ?
À part des peuples balkaniques eux-mêmes, qui ont souvent montré un comportement immature et irresponsable face à cette situation complexe, l’Union européenne est la plus grande coupable de la description précise de la situation dans les Balkans que vous avez donnée dans votre question. L’absence d’une vision quelconque pour ce territoire instable depuis toujours – dès le moment où la décision de décomposer l’ancien État yougoslave en plusieurs petits États, sans solution de leurs questions nationales et sans solution de la question des frontières des nouveaux États – a ouvert un espace convenable pour l’influence des autres puissances, en initiant ainsi un jeu dont on ne voit pas la fin. Les Balkans sont surtout une question européenne car les Balkans sont partie intégrante de l’Europe. En perdant de plus en plus son soft power en raison de ses promesses non tenues, l’Union européenne perdait avec le temps l’impact auprès des élites balkaniques. Les autres puissances ont pénétré dans cet espace géopolitiquement important en profitant des faiblesses de l’Union européenne ainsi que des États balkaniques eux-mêmes.
Sur cette route stratégique reliant l’Europe et l’Asie, elles ont accompli ses objectifs particuliers à l’aide de différentes méthodes telles que les bombardements – une des plus brutales, l’impact dans les domaines de l’énergie et sécurité, l’achat des entreprises stratégiques et le prêt de crédits à bas prix, la provocation de la crise migratoire, et même du terrorisme. On soutient même des régimes autoritaires comme celui du Monténégro qui, dans l’Europe du XXIe siècle, veut détruire une Église, l’Église orthodoxe serbe qui existe depuis mille ans, afin de créer son « Église » étatique, en spoliant les monastères et églises construits il y a plus de 500 ans. Ce qui n’a toujours pas été permis aux États balkaniques est d’essayer de trouver leur propre solution malgré le jeu des intérêts des grandes puissances dans la région.
Les peuples balkaniques devraient arriver seuls à un nouvel accord de stabilité dans la région. Un accord qui créerait un espace stable pour environ 25 millions d’habitants, potentiellement avec le marché commun, avec les frontières définies et les États remis en ordre. Ce serait le chemin vers un nouvel avenir des Balkans. Au lieu d’encourager des rivalités et conflits pendant des siècles, les grandes puissances devraient soutenir cette stratégie si elles veulent sincèrement la paix dans cette partie de l’Europe. Je pense qu’il est temps pour un grand accord parmi l’Europe, la Russie et les États-Unis au sujet des Balkans, justement sur ces bases, sinon, dans le cas contraire, les autres puissances « non-européennes » profiteront de cette situation dans les Balkans pour des objectifs complètement opposés.
Les Balkans représentent une instabilité au sud-est de l’Europe, entre route des migrants, terrorisme islamiste et comportements mafieux. Quels sont les facteurs de cette situation ? Quels acteurs selon vous agitent ces menaces ?
Comme j’ai souligné dans les réponses précédentes, la position des Balkans stratégiquement importante au carrefour de routes, civilisations et religions, était depuis toujours attirante pour l’influence des grandes puissances. Aujourd’hui, à côté de l’Union européenne et de façon différente, à travers leur impact politique, culturel, religieux, militaire, économique et énergétique, sont aussi présents les États-Unis, la Russie, la Chine, la Turquie, mais aussi certains pays arabes, tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, et même l’Iran.
De toute façon, c’est l’Europe qui perd le plus car la conscience sur l’héritage historique de l’époque de la présence de la Turquie ottomane dans cette banlieue de l’Europe est convenable pour créer une atmosphère où il est normal d’entasser des migrants aux frontières avec la Bosnie-Herzégovine et la Grèce, ainsi que de créer des centres de l’islam radical et des cellules terroristes. D’un autre côté, les économies faibles permettent la percée économique de la Chine, et même de la Turquie. On doit trouver quelque part une résultante, conditionnellement dit, des « puissances de l’ouest » – parmi lesquelles je compte aussi la Russie – afin que les Balkans, tellement faibles, ne deviennent pas le polygone d’un affaiblissement ultérieur de l’Europe et de la civilisation européenne.
La Serbie a toujours été une alliée fidèle de la France depuis plus de deux siècles. En France cette mémoire s’est estompée et le président Macron avait fait une erreur le 11 novembre 2018 en plaçant le président Vučić au 3° rang derrière lui. De quelle façon pensez-vous ranimer l’entente traditionnelle entre Français et Serbes ?
La France est le plus grand ami et allié de la Serbie en Europe. Cette amitié a été forgée dans l’héroïsme de nos ancêtres qui luttaient ensemble pour l’indépendance et les idéaux d’une Europe des nations libres et démocratiques. À Belgrade, même aujourd’hui, la langue française a une place spéciale dans les écoles. Même si les Serbes étaient déçus par plusieurs gouvernements français dans les années 1990, ceux-ci ayant soutenu même les terroristes islamiques contre un peuple chrétien et fraternel, nous savions dans la profondeur de nos âmes que le peuple français était notre peuple fraternel et amical. Je voudrais souligner ici, en tant qu’ami de la France, que pendant toute la période de la crise dans les Balkans et dans un sens politique, ce n’était que le parti « Rassemblement national » qui conservait et soignait cette amitié et alliance de nos peuples, de manière constante et conséquente et sans hésitation. Tout Serbe a été blessé par le faux drapeau du Kosovo que nous avons vu dans la cathédrale de Notre-Dame. Nous étions aussi blessés quand nous avons vu que ce n’était pas le président de notre État, État vainqueur, qui était aux côtés des leaders des pays vainqueurs, mais que c’était les représentants de ceux qui avaient lutté comme nos adversaires, et même de ceux qui n’existaient pas en tant qu’États.
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Mais maintenant il est temps pour une nouvelle alliance de la Serbie et France, dans cette Europe qui change. Nous devons non seulement renforcer nos relations culturelles et nous soutenir politiquement à chaque occasion, mais nous devons aussi renforcer notre coopération économique et les échanges de nos nouvelles générations qui sont le fondement de tout notre espoir. Les générations qui construisent les sociétés fondées sur le savoir, les nouvelles technologies, un nouveau patriotisme tant national qu’européen, et qui, enracinées dans la tradition mais tournées vers un avenir moderne, construiront de nouveau une Europe forte et puissante, une Europe des nations libres, sur les fondements forts que nos ancêtres ont consolidés.
La question du Kosovo est capitale pour l’avenir de la Serbie. Au moment où reprennent les négociations entre Belgrade et Priština, quelle solution proposez-vous ?
Selon la Constitution de la Serbie, le Kosovo est sa partie inaliénable et sa province. D’après la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui a mis fin aux bombardements de la Serbie, le Kosovo est défini comme notre territoire. C’est seulement dans ce cadre que nous pouvons chercher une solution à son statut. Nous sommes prêts au compromis, nous sommes prêts à l’autonomie le plus possiblement imaginable, mais seulement dans les cadres desdits documents. Nous sommes prêts à négocier aussi longtemps qu’il sera nécessaire. Nous attendons la suite des négociations, pourtant nous voyons des positions concurrentes et non harmonisées de l’Europe, représentée par M. Miroslav Lajčak, et des Etats-Unis, dont le représentant est M. Richard Grenell, envoyé du président Trump. Sur la table, il n’y a rien, sauf les obligations provenant des accords précédents, que les autorités du Kosovo n’ont pas réalisées. On ne peut pas faire du chantage avec les Serbes, nous n’allons pas prendre de décisions sous pression. Celui qui essaie de procéder ainsi, ne connait pas du tout les Serbes et est entré non préparé dans ces négociations. Pour la Serbie, le Kosovo ne sera jamais un État indépendant. Tout Serbe sait que, si le Kosovo nous était ôté à jamais ou si nous y consentions sous pression, nous finirions par ne pas exister en tant que nation. Le Kosovo est le cœur de la nation pour les Serbes.
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