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Séparatisme: pourquoi l’Etat ne doit pas se mêler de théologie

Un « islam gallican » est voué à l’échec


Séparatisme: pourquoi l’Etat ne doit pas se mêler de théologie
Le président Emmanuel Macron aux Mureaux (78), le 2 octobre 2020 © Eric TSCHAEN/POOL/SIPA Numéro de reportage : 00984097_000011.

Si les mesures annoncées par Emmanuel Macron aux Mureaux sont encourageantes, la société française doit avant tout remplir le vide idéologique qui pousse certains jeunes en manque de repères vers l’islam radical


Le 2 octobre dernier, le Président de la République a prononcé un discours attendu contre le séparatisme islamiste. Au-delà des constats exposés sans tabous et avec clarté, le chef de l’État a annoncé une série de mesures devant être adoptées dans les semaines à venir : renforcement de la présence de l’État « au bas de chaque tour », extension du principe de neutralité aux salariés des entreprises délégataires, contrôle accru du monde associatif, limitation stricte de l’instruction à domicile, fin des ELCO[tooltips content= »
Enseignements langues et cultures d’origine »]*[/tooltips] et plus généralement, réduction de l’influence étrangère (fin de l’« islam consulaire »).

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L'Etat est laïc, la société française... vraiment plus. Emmanuel Macron à Bourtzwiller le 18 février 2020 © Sebastien Bozon/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22429774_000003
L’Etat est laïc, la société française… vraiment plus. Emmanuel Macron à Bourtzwiller le 18 février 2020 © Sebastien Bozon/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22429774_000003

D’importance variable, la plupart de ces mesures ne peuvent nuire au combat contre ce « radicalisme séparatiste » même si leur efficacité sera étroitement liée à leur déclinaison pratique. Cependant, d’autres éléments composant le projet illustrent une volonté d’influencer le dogme lui-même, la religion en tant que telle malgré les précautions oratoires indiquant qu’un « islam gallican » n’était pas souhaitable et que la structuration de l’islam n’était « bien sûr pas le travail de l’État ».

Un « islam des Lumières » façonné par l’État 

En contradiction avec une certaine tradition laïque française, la volonté affichée de favoriser un « islam des Lumières », en formant une génération d’imams et d’intellectuels défendant un « islam pleinement compatible avec les valeurs de la République » semble contre-productive.

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En effet, quelle légitimité a l’État pour définir ce qui serait un « bon islam » ? Est-ce son rôle de dire comment les musulmans doivent interpréter leurs textes ? À travers le CFCM, créé à l’initiative de l’État en 2003, l’État entend agir sur le culte de manière indirecte en labellisant des formations et des imams. Quelle efficacité espérer d’une telle démarche alors que l’on tente justement d’agir sur une partie de la population qui refuse l’institutionnalisation classique du culte, qui remet en cause les circuits traditionnels, dénonce les imams considérés comme étant des « vendus » et utilise la toile pour puiser ses sources ?

L’attachement à la Nation, le patriotisme ne se décrète pas : c’est en faisant respecter un pays fort qu’il sera aimé

Mères voilées en colère à l'école Emile Roudayre de Perpignan, juin 2019 © RAYMOND ROIG / AFP
Mères voilées en colère à l’école Emile Roudayre de Perpignan, juin 2019 © RAYMOND ROIG / AFP

De même, les annonces visant à réduire l’influence de pays étrangers révèlent une intention louable mais cela ne répond pas aux enjeux. Les musulmans français ne doivent en effet pas être condamnés à vivre leur culte à travers leurs origines familiales, ce qui sous-entend que leur religion est étrangère à notre société. De nombreuses études démontrent cependant que les imams / prêcheurs les plus radicaux sont les Français : être un imam français ou francophone n’est pas un gage de non-radicalité. À l’inverse, les imams envoyés par des pays où le contrôle sur le religieux est fort sont généralement moins virulents…

Faire respecter l’État pour faire aimer la France

Malgré les réserves exposées, ce discours a le mérite de nommer les difficultés, d’appréhender leur complexité et de promettre de s’y attaquer de façon multidimensionnelle. L’État, avant toute chose, doit s’attacher à faire respecter la loi sans se soucier des croyances des uns et des autres. Si un individu pense que sa religion l’autorise à tuer, le rôle de l’État n’est pas de le convaincre du contraire mais de faire respecter l’interdit, peu importe l’avis des théologiens.

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Depuis des années et avec nombre de chercheurs, nous constatons par ailleurs un lien évident entre la petite délinquance et la radicalisation (cf. le parcours de la grande majorité des djihadistes français). Détruire ce lien en renforçant la présence étatique est une composante essentielle de cette lutte. La puissance publique doit ainsi assumer une répression ferme en réponse à chaque acte délictueux, élément clé d’une politique de prévention. Cela suppose probablement des moyens supplémentaires, pour certains déjà annoncés (policiers, greffiers, juges) et la construction de places de prison permettant d’augmenter les chances d’une réinsertion réussie à travers une peine purgée de manière utile (discipline mais conditions humaines, obligation de travail ou de formation etc.).

Au-delà d’une énième politique annonçant l’ « égalité des chances » avec le risque de tomber dans une forme de discrimination positive, il convient de remplir un vide idéologique qui pousse certains jeunes en manque de repères et d’autorité vers le radicalisme. L’attachement à la Nation, le patriotisme ne se décrète pas : c’est en faisant respecter un pays fort qu’il sera aimé. La promesse d’émancipation intrinsèque à la République ne peut se réaliser qu’en assumant le rôle de l’État : autorité et affirmation de nos principes à travers l’application des règles, sans haine mais avec vigueur.

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est sociologue spécialiste de l'islam de France. Dernière publicatioin: « De la fatigue d’être soi au prêt-à-croire. Lutter contre la délinquance pour combattre le radicalisme islamiste », Editions du Puits de Roulle.

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