Le président élu Bassirou Diomaye Faye est sorti de prison 10 jours avant le scrutin présidentiel et est polygame, il a nommé le populiste Ousmane Sonko Premier ministre.
L’année 2023 fut particulièrement agitée au Sénégal, pays d’Afrique qui entretient depuis longtemps d’excellentes relations avec la France. Pôle de stabilité démocratique au cœur de l’Afrique de l’Ouest francophone et membre incontournable de la CEDEAO, le Sénégal a néanmoins dû faire face à des troubles sociaux relativement importants et inhabituels qui auront mis en exergue les mutations qui s’opèrent sur l’ensemble de la région.
Le 6 juillet 2023, ici-même sur Causeur, nous revenions sur l’annonce inattendue de Macky Sall qui renonçait alors officiellement à briguer un troisième mandat dans l’optique de restaurer le calme dans les rues de Dakar[1]. Une décision qui avait été saluée par d’importants grands dirigeants et responsables mondiaux, notamment le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres qui avait tenu à féliciter l’ancien président du Sénégal pour son sens des responsabilités, tout en indiquant que son discours constituait « un exemple très important pour son pays et le reste du monde ». La suite ne lui a que partiellement donné raison.
Un nouveau binôme à la tête de l’exécutif sénégalais
L’élection présidentielle qui s’est tenue le dimanche 24 mars constitue d’abord et avant tout une victoire des institutions sénégalaises. Elles ont démontré leur maturité démocratique et leur résilience. Alors que de nombreux observateurs craignaient que la situation ne débouche sur des troubles civils, tout s’est déroulé dans le calme le plus parfait. Les militaires sont restés dans leurs casernes et les résultats ont été connus rapidement – bien plus tôt qu’aux États-Unis en 2020, soit dit en passant ! Libéré de prison dix jours avant le vote, l’opposant au pouvoir Bassirou Diomaye Faye a été élu dès le premier tour. Âgé de 44 ans, ce contrôleur des impôts a joué les remplaçants pour le meneur du Parti des Patriotes africains du Sénégal (Pastef), Monsieur Ousmane Sonko.
Indépendant depuis 1960, le Sénégal avait pour l’heure toujours connu des élections apaisées. Ce ne fut pas le cas cette fois-ci. Le pays s’est agité, singulièrement sa jeunesse urbanisée et travaillée par de nouvelles idées, inspirées du panafricanisme. On a d’ailleurs pu voir à plusieurs reprises le très médiatique Juan Branco s’immiscer dans la vie politique locale, représentant notamment les intérêts d’Ousmane Sonko. Malheureusement, nombre de critiques formulées à l’encontre de Macky Sall étaient tout particulièrement injustes. Choisissant la voie du développement économique libéral, l’ancien président sénégalais était aussi un soutien clair des pays occidentaux qui a tout fait pour lutter contre les radicalités politiques mais aussi religieuses.
Il faut bien comprendre que depuis son élection en 2012, Macky Sall avait su préserver le Sénégal des terribles difficultés expérimentées par certains de ses voisins mais aussi de l’islamisme, tant djihadiste que politique, dans un pays qui a toujours su avoir un rapport raisonnable à la chose religieuse. Au Mali, au Burkina ou en Guinée Conakry, des gouvernements ont été renversés sans que la menace djihadiste ne soit endiguée. Des pays autrefois paisibles comme le Bénin ou le Togo assistent aussi à une progression du salafisme politique. Sera-ce toujours le cas demain à Dakar alors que le sentiment anti-occidental est en pleine explosion, alimenté d’ailleurs par des extrémistes venus d’Occident comme par des pays antagonistes dans la région à l’image de la Russie toujours à la manœuvre dans l’espace francophone ?
Une décolonisation qui n’en finit jamais
Paradoxal, le Sénégal fait figure de bon élève pour n’avoir pas sombré dans le coup d’Etat lancé par une junte comme c’est la triste norme régionale depuis quelques années… tout en envoyant des signaux faibles inquiétants. Ainsi, le président Bassirou Diomaye Faye s’est affiché avec ses deux épouses, revendiquant une polygamie pourtant en déclin. S’il ne nous appartient pas de juger les mœurs de pays souverains, la polygamie provoque d’importantes tensions sociales et est un pratique particulièrement préjudiciable aux femmes modestes. Cela manifeste aussi une volonté affichée d’éloignement de notre modèle, qui n’est plus considéré comme un objectif à atteindre.
Ousmane Sonko, lui aussi passé par l’administration fiscale, ça ne s’invente pas, est un personnage ombrageux. Ayant commencé sa carrière politique en 2014, il a rapidement été élu député puis maire de Zinguichor, principale ville de Casamance. Allié à Abdoulaye Wade, l’ancien président sénégalais, aux dernières élections législatives, il défend des idées controversées que l’on pourrait rapprocher de celles défendues par le militant béninois Kemi Seba – du moins en apparence. Il n’a ainsi pas hésité à encourager le président malien Assimi Goïta, opposant déclaré à la France, ou à se réclamer de l’idéologie panafricaine. Il s’agit, au fond, d’un populiste chimiquement pur pratiquant la dialectique clivante de l’ami et de l’ennemi, dénonçant les « élites » d’un pays qu’il juge corrompu par la France.
Sa popularité a d’ailleurs explosé après qu’il a été accusé de viols répétés prétendument commis entre juin 2020 et février 2021 sur une jeune masseuse prénommée Adji Sarr. Cette accusation a provoqué la levée de son immunité parlementaire… ainsi que d’importantes manifestations de soutiens où ont défilé des milliers de jeunes gens. Il s’est ainsi rendu à sa convocation au tribunal pour s’expliquer sous les vivats de la foule, avant d’être arrêté pour troubles à l’ordre public. Un tribun de la plèbe était né ! Reste pourtant de multiples dossiers sensibles à traiter, tels que l’exploitation des hydrocarbures, et des défis infrastructurels. Si la contestation peut avoir du bon, le binôme Sonko-Faye qui rappellera furieusement la période transitoire où Medevedev occupait pour la galerie la première place dévolue à Vladimir Poutine, devra aussi se pencher sur les affaires courantes.
Les promesses ne finissent pas dans les assiettes. Pour l’Elysée, il sera aussi compliqué de composer avec un personnage plutôt hostile et soutenu par l’extrême-gauche française, surtout au Sénégal qui est une pièce maîtresse de la stabilité de toute la façade atlantique. C’est aussi un avertissement. Sans frais ? Il va falloir prendre la mesure de la nouvelle opinion africaine, très politisée et désireuse d’une rupture, se pensant enchaînée à son passé colonial. Là-bas aussi, la rupture semble plus vendeuse que la réforme.
Directeur d’Afrique Magazine, Zyan Liman expliquait au micro de France Info qu’ « au Sénégal et dans plusieurs pays de la zone, il y a la sensation que tous ces discours sur la croissance, l’émergence, l’Afrique nouvelle, ne se traduit pas par des concrétisations sur le terrain et seraient captés par une certaine élite internationalisée, bourgeoise, francophone, parisienne ». Le Premier ministre Sonko a présenté son gouvernement comme entérinant la « rupture ». Quelques éléments rassurants se détachent néanmoins. Le général Birame Diop, ancien chef d’état-major, a été placé à la tête des forces armées, et le général Jean-Baptiste Tine, ancien haut commandant de la gendarmerie nationale, à l’Intérieur. Le nouveau ministre de la Justice, Ousmane Diagne, est un ancien procureur général à la Cour d’appel de Dakar, sérieux et professionnel.
Outre ces nouveaux éléments, des profils incarnant la stabilité des institutions et des politiques menées sous Macky Sall ont été maintenus, à l’image de Serigne Guèye Diop, ministre de l’Industrie et du Commerce. Oumar Samba Ba, déjà Secrétaire général de la présidence sous la précédente mandature a été maintenu. Un choix qui permet d’assurer la continuité de l’Etat, comme c’est le cas au Sénégal depuis Léopold Sédar Senghor.
Finalement, le gouvernement est bien plus prudent que ne le laissait supposer la campagne. Si la moitié des ministres sont issus des rangs du Pastef, ils ont pour la plupart de l’expérience. Yacine Fall, vice-présidente du parti de la majorité chargée des relations internationales, aura la charge des Affaires étrangères. Gageons que nous sachions arrondir les angles… La tâche, si elle ne semble pas insurmontable, n’est pas gagnée d’avance.
[1] https://www.causeur.fr/macky-sall-renonce-a-se-representer-retour-au-calme-a-dakar-262903
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