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Sélection à l’université: les sous-doués à la fac

Le gouvernement refuse de s'attaquer au totem de la sélection


Sélection à l’université: les sous-doués à la fac
Manifestation des lycéens contre "la sélection à l'université", Paris, 22 novembre 2017. Photo: Julien Mattia

Au lieu de lutter contre l’affaiblissement des savoirs et le dépérissement de l’université, le gouvernement Philippe, comme les précédents, refuse de s’attaquer au totem de la sélection à l’université.


Au début des années 1960 seulement 10 % d’une génération atteignait la classe de terminale et pouvait envisager l’accès à un cycle universitaire, que les deux tiers des étudiants abandonnaient avant même l’obtention de leur licence. Mais dans une France d’après-guerre baignée dans l’insouciance des Trente Glorieuses, il n’y avait guère que le général de Gaulle pour s’en émouvoir au sommet de l’État. C’est ainsi qu’il confia à Alain Peyrefitte la délicate mission de traiter les problématiques essentielles d’orientation et de sélection ; autrement dit, de mettre en application le credo de Paul Langevin à la sortie de la Libération : assurer par l’école « la promotion de tous et la sélection des meilleurs ».

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Les événements de Mai 68 eurent raison du pragmatisme visionnaire du Général et ouvrirent la voie à plusieurs décennies d’errances politiques, dont le funeste système APB de Vallaud-Belkacem et la cocasse université-pour-tous-oui-si du gouvernement Philippe sont les derniers soubresauts en date.

Autodéconstructions

On doit à Jean-Pierre Chevènement en 1985 le lénifiant objectif de « 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat en l’an 2000 ». De la loi Jospin de 1989 à la tentative Fillon de 2005, tous – à droite comme à gauche – ont contribué à la réalisation de ce si louable dessein, enivrés des relents égalitaristes de la pensée postmoderne et activement aiguillonnés par la technostructure européenne. Pour y parvenir, on a labellisé des examens techniques et professionnels « baccalauréat », on a significativement abaissé le niveau de l’enseignement primaire et secondaire, on a soutenu avec ferveur le principe d’un collège unique. Dans le même temps, on a pris grand soin de vider l’examen terminal de toute substance afin d’en assurer la péréquation aux « compétences » réelles des élèves. De toute manière, la dictée était culturellement discriminatoire et la dissertation n’était plus en phase avec l’« immédiateté informationnelle du savoir numérique ». L’usage de méthodes mathématiques avancées en sciences physiques ou l’analyse critique de corpus historiques étaient au mieux superfétatoires, au pire déstabilisants pour les pédagogistes ; les QCM sur l’oxydoréduction au bac S et l’analyse des photographies mises en ligne des Noëls solidaires des Obama sur iPad rétabliront le subtil équilibre qu’il convient d’assurer entre la médiocrité de l’examen et celui de ses candidats.

Université: la promotion d’aucuns au détriment des meilleurs

Le redoublement n’existe presque pas en classes préparatoires aux grandes écoles et rares sont ceux qui abandonnent ; à l’autre extrémité du spectre, « une fois entrés à l’université, sur neuf étudiants, en moyenne, trois seulement réussissent à passer en deuxième année », de l’aveu même de notre actuelle ministre de l’Enseignement supérieur. Autrement dit, depuis le général de Gaulle, rien n’a changé : l’absence de sélection produit ironiquement les mêmes effets qu’il y a un demi-siècle. À ceci près que les étudiants d’antan étaient dix fois moins nombreux que ceux qui hantent aujourd’hui les amphithéâtres de nos universités inclusives. La dernière tentative réelle de traitement de la question essentielle de la sélection universitaire date de trente ans. Portée par le ministre Devaquet sous le deuxième gouvernement Chirac de 1986, elle fut balayée par les manifestations étudiantes et marquée du sceau de l’infamie liée au drame de la mort de Malik Oussekine.

Car ce que proposent Emmanuel Macron et son gouvernement n’a que peu à voir avec une sélection ; il s’agit pour l’essentiel de principes de gestion administrative de bon aloi. En lieu et place du grand-guignolesque système de tirage au sort institutionnalisé lors de la précédente mandature, les universités pourront désormais – pour les filières « en tension » (sport, psychologie, sociologie…) – constituer des listes d’attente ou répondre par un « oui, si » exigeant une mise à niveau de la part de l’étudiant. Pour le reste des cursus, l’étudiant restera souverain. Macron ne vainc pas l’opposition étudiante, là où de Gaulle et Chirac ont échoué, il l’anesthésie en gesticulant beaucoup, mais en ne faisant rien.

Le mal du Grand Déclassement

Si la démocratisation de l’accès aux études supérieures qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a permis un accroissement tangible des savoirs et des compétences de toute une génération, qui a en outre pu bénéficier de l’aubaine historique d’une hausse rapide de la demande en profils professionnels qualifiés, on constate depuis plus de deux décennies une tendance inverse : le niveau réel moyen baissant dans un contexte de pénurie d’emplois et de chômage structurel. L’Université se meurt, faute de moyens et de prestige ; les correcteurs à qui l’on intime la complaisance au baccalauréat sont les complices de ce désastre ; les professeurs qui tolèrent, voire encouragent, l’abandon de l’exigence requise par l’apprentissage par cœur de connaissances fondamentales ou par la lecture de grands classiques littéraires sont les fossoyeurs du sens profond de l’égalitarisme républicain. Ce dernier requiert effort et mérite, là où le socialisme ingénu réclame quotas, aplanissement de toute contrainte et régimes d’exception.

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À la seule évocation du concept honni de « sélection », les syndicats étudiants et lycéens de gauche, UNEF en tête, ont réagi en parfaite cohérence avec le conditionnement pavlovien qu’on leur connaît : en appelant la jeunesse de France à descendre dans la rue et en continuant d’exiger « des places supplémentaires dans les filières trop demandées » (sic). Peu leur chaut que les financements publics manquent ou que les débouchés de ces filières si prisées conduisent les rescapés de l’échec massif au cours des premières années universitaires à occuper bien souvent des emplois sous-qualifiés au regard de la valeur faciale de leurs diplômes. Lorsque les beaux jours du printemps reviendront, on attribuera le sentiment de déclassement induit à un marché de l’emploi discriminatoire pour les moins favorisés et l’on ira battre le pavé pour dénoncer l’iniquité du système.

Janvier 2018 - #53

Article extrait du Magazine Causeur




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Docteur en philosophie de l’École normale supérieure, professeur chargé de cours à l’ESSEC et conférencier. Il a dirigé en 2022 l’ouvrage collectif Malaise dans la langue française et a publié Le statistiquement correct aux Éditions du Cerf en septembre 2023.

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