C’est de la dynamite !
« Messieurs, prenez chaque soir avant de vous coucher un Boudard, ne forcez pas sur la dose, un chapitre suffira à retrouver votre vigueur vespérale. En seulement quelques jours, effet maous garanti. Vos épouses vous diront merci ! » aurait pu être une prescription de l’Académie de Médecine à l’attention de tous les anémiés littéraires, les comprimés du gland. Tous ces pisse-froid d’une littérature aussi bandante qu’un après-midi en maison de retraite. Quand la chaleur et la malbouffe tombent sur les corps fatigués, un roman d’Alphonse Boudard (1925-2000) réveille les organismes durement éprouvés par des livres sans sève, sans jus, écrits à la truelle par les arpettes des lettres. À la feignante, sur un transat, ne refusez pas une gâterie du dernier défenseur des bobinards à l’ancienne, le François Villon de l’avenue de Choisy. Le méconnu Saint Frédo sorti en 1993 chez Flammarion n’est pas le plus remarquable des ouvrages de Boudard (La Métamorphose des cloportes, les Combattants du petit bonheur, etc…), il n’en demeure pas moins une agréable mise en bouche, savoureux d’inventions et surtout un saisissant témoignage sur les parcours fracassés des mauvais garçons de l’après-guerre. Avec Boudard, ex-taulard, compagnon de route du Colonel Fabien, décoré par le Général et embastillé pour décapsulage de coffres, on partage le quotidien des Bat’d’Af. C’est plutôt nuit d’été à Fontevrault et galtouse merdique en Centrale que coucher de soleil à Capri et antipasti en terrasse. Son style à la mitraillette, argotique, névrotique est une merveille. Saint Frédo , c’est l’histoire d’une rédemption, celle d’un malfrat, superbe margoulin, tringleur d’élite et baratineur de compétition devenu directeur d’un centre de réinsertion pour jeunes délinquants. Un homme selon la définition voyoute qu’en faisait Boudard : « L’homme, c’est celui qui se défend par le vol, le proxénétisme, à la rigueur l’escroquerie ». « Dans l’univers de la pègre ya des mythes, des figures de légende…les jeunots c’est leur panthéon, leurs icônes…Loutrel, Buisson, Jo Attia, Feufeu, Abel le Mammouth…Spirito et Carbone. Ils rêvent de les imiter, les égaler, comme le jeune bourgeois qui veut devenir Fabius, Giscard d’Estaing ou Philippe Sollers. On se demande si ça vaut mieux » ajoutait-il.
Saint Frédo d’Alphonse Boudard – Flammarion
J’ai attrapé un coup de soleil…
Il y a des plaisirs de lecture qui me sont indispensables, des rituels d’été, des manies de vieux garçon, des errements de bords de Seine. J’aurais passé ma vie à recomposer mon passé à la faveur de romans lus et relus. La littérature n’a pas d’autre vocation que de transformer le présent, lui rendre un aspect à peu près acceptable. Pas une année ne se passe donc sans que je ne relise Paris au mois d’août (Prix Interallié 1964) de René Fallet (1927-1983). Ce bourbonnais de Villeneuve-Saint-Georges fait partie des très grands écrivains du XXème siècle, les encyclopédistes patentés l’oublient trop souvent. Avec sa tête de retraité des chemins de fer, sa postérité littéraire a pris un coup dans le nez. Les délits de sale gueule dans les lettres françaises devraient être plus sévèrement sanctionnés. Sa fibre populaire, son goût pour les mots qui glissent sur le zinc et son amour des friches de banlieue ont pu le faire passer (à tort) pour un amuseur de comptoir, un anar’ rigolard avec son épaisse moustache à la Clémenceau. Alors que Fallet est un moraliste joyeux, un romantique cynique, un écorché qui se marre. Paris au mois d’août , c’est l’histoire d’une rencontre improbable, celle d’Henri Plantin, 40 ans, marié, trois enfants, modeste employé à la Samaritaine et de Pat (Patricia), mannequin anglaise égarée dans la moiteur de la Capitale. « Ce fut alors qu’une douceur inattendue tomba en plein sur le vendeur du rayon Pêche, douceur de soir d’été parisien, mallarméenne, encore qu’il ne sût rien de Mallarmé » écrit-il. Comment ce petit brun ressemblant à Aznavour va pouvoir conquérir cette grande blonde « à la beauté déchirante » ? Il n’est pas besoin de quitter Paris pour connaître le grand frisson des amours de vacances.
Paris au mois d’août de René Fallet – Folio
La révolution n’aura pas eu lieu
La Génération 89 a perdu la bataille du style. On croyait pourtant en eux. Ils étaient les francs-tireurs d’une décennie plombante et radoteuse. Ils allaient fusiller le nouveau roman à thèses, le gros pavé débordant de saindoux et la philosophie squatteuse des plateaux télé. 25 ans plus tard, ils ont échoué. Le combat était trop inégal. Les forces de l’esprit bien-pensant et marchand ont balayé ces hussards de troisième main. Aujourd’hui, ils se terrent dans leur modeste retraite, ils n’ont guère fait fortune. Les plus habiles signent encore des papiers pour quelques nostalgiques, amateurs de belles phrases qui claquent, d’autres peignent, certains sont morts, le meilleur moyen pour effacer, oublier ce quart de siècle malfaisant. Car l’autre camp, celui de la littérature sous-titrée, de l’écrivain tête de gondole, du style mnémotechnique, de l’aliénation scripturale, se pavane, se goberge même. Cette Génération 89 avait été réunie dans L’Infini, la revue littéraire de Philippe Sollers, à l’été 1989, pour un numéro spécial placé sous la direction de Frédéric Berthet. A l’intérieur, des fougueux désabusés, des tendres priapiques, des réactionnaires goguenards, des littéraires en somme : Patrick Besson, Eric Neuhoff, Marc-Edouard Nabe, Denis Tillinac, etc…
L’Infini – Numéro 26 – Génération 89 – Eté 1989 – Gallimard
*Photo: GILE MICHEL/SIPA.00673777_000001
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