Stéphane Séjourné, lors d’une interview de Frédéric Haziza sur Radio J, a failli à ses qualités d’homme juste et lucide. Notamment lorsqu’il impute à CNews et aux médias la responsabilité des violences lors des victoires du Maroc ou lorsqu’il prévoit la dissolution de la droite dans l’extrême droite suite à l’élection d’Eric Ciotti.
Stéphane Séjourné, conseiller politique à la présidence de la République puis député européen, président du groupe Renew Europe, devenu courant 2022 secrétaire général de Renaissance, mari, sur un plan personnel, du talentueux ministre Gabriel Attal, n’est pas une personnalité sans relief.
Venu du socialisme, proche de DSK, il a choisi de soutenir la cause d’Emmanuel Macron et il l’a fait avec talent et méthode. Il a notamment organisé la dernière campagne européenne où En Marche a fait quasiment jeu égal avec le RN. Si j’insiste sur son parcours, c’est pour faire valoir la qualité du personnage et donc l’attente qu’on a de ses propos, la présomption de justesse et de lucidité qu’on souhaiterait pouvoir leur attacher au-delà de tout esprit partisan.
Aussi quelle déception quand sur Radio J, au moins à deux reprises, il a failli ! Il est vrai qu’il était questionné par Frédéric Haziza et que l’invité a intérêt – d’ailleurs probablement n’a-t-il été sollicité que pour cela ? – à répondre ce que le journaliste souhaite entendre…
Refus de voir
Comment Stéphane Séjourné peut-il de bonne foi, face aux multiples dégradations et violences qui ont suivi les victoires de l’équipe de football du Maroc, tout particulièrement à Paris, imputer à certains médias, et évidemment CNews, d’en être responsables à cause de leurs inquiétudes légitimes pour le futur – notamment le match Maroc-France du 14 décembre ?
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Même si la hiérarchisation des sujets dans les médias officiels a visé à minimiser les blessures des policiers, le 10 décembre, au bénéfice de l’exaltation collective, il est difficile de les occulter. Est-ce à dire que tous ceux qui regardent la réalité en face et sont instruits par les leçons du passé de toutes les manifestations sans exception – une gangrène, un dévoiement dans la marge des collectifs honorables, moins me semble-t-il par francophobie, comme l’a déclaré Alain Finkielkraut, qu’à cause d’une sorte de passion pour la casse et la brutalité – seraient désireux de voir surgir ce qu’ils pressentent ? Evidemment non.
Si cette absurdité était vraie, les lucides seraient interdits de pensée et d’expression et n’auraient le droit que de faire, après le désastre, le triste bilan.
Jouissance de prévoir
Stéphane Séjourné poussé par Frédéric Haziza ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Après avoir affirmé que certains aspiraient à voir se lever avec malignité des « orages », il a montré que lui-même désirait avec une espérance trouble que d’autres se lèvent pour broder sur cette magnifique formule de Chateaubriand : « Levez-vous, orages désirés » !
N’avait-il en effet rien de mieux à déclarer, interrogé sur la victoire d’Eric Ciotti pour la présidence de LR, que de soutenir – cette sempiternelle tarte à la crème de la pauvreté d’une certaine argumentation politique – que ce dernier avait l’intention de dissoudre la droite dans l’extrême droite ?
Autrement dit, il annonce ce qu’il sait totalement faux mais qu’il désire de toutes ses forces partisanes.
En même temps qu’Olivier Véran, d’ailleurs, tend la main à LR à propos des retraites ! Mensonge ici, opportunisme là.
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Il faudrait pouvoir prendre cette dénaturation délibérée, et ce racolage, comme les signes d’un combat qui n’est tenu de respecter aucune des exigences de l’honnêteté, mais je ne parviens pas à me résoudre à cette approche trop légère. Il est tout de même extravagant que Renaissance, par la bouche de Stéphane Séjourné, dépité de voir le RN radicalement exclu de la moindre entente officielle avec LR, affirme le contraire de ce qui est mais ne soit pas gêné qu’au gouvernement on quémande l’aide d’un parti qui pourtant aurait de si mauvais desseins !
Il y a dans le macronisme une arrogance de la contradiction : on la pratique sans la moindre honte.
Parce que ce qui serait un cauchemar pour beaucoup – LR uni au RN – tournerait au rêve pour eux : ils auraient enfin du grain à moudre contre une droite qui s’obstine à ne pas vouloir ressembler à l’image qu’ils ont d’elle !
Ainsi c’est donc cela la politique d’aujourd’hui, la suite de tous ces « bidules » jetés par Emmanuel Macron dans les jambes de la démocratie, pour la faire trébucher ?
Le refus de voir. La jouissance de prévoir. Occulter le réel. Rêver du pire.
On aurait espéré mieux de Stéphane Séjourné.
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