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Séisme: pourquoi les Marocains acceptent-ils l’aide espagnole (et pas la nôtre)?

Le dessous des cartes...


Séisme: pourquoi les Marocains acceptent-ils l’aide espagnole (et pas la nôtre)?
Préparation de l'aide militaire pour le Maroc, Saragosse, Espagne, 10 septembre 2023 © AP/SIPA

L’Unité militaire d’urgence (UME) de l’Espagne se rend donc au Maroc. Alors que la France a également proposé son aide officiellement de son côté, et que cette dernière a été refusée jusqu’à présent… Le séisme de Marrakech jette une nouvelle lumière sur les relations entre Espagne et Maroc. Analyse.


Le temps des réactions

Le 8 septembre 2023 au soir se produisait dans la province marocaine d’Al Haouz, à 70 kilomètres environ de Marrakech, un séisme d’une magnitude de 6,8 sur l’échelle de Richter qui a causé d’importants dégâts. Au moment où nous écrivons ces lignes, on comptabilise plus de 2 000 morts et presque autant de blessés, même si le bilan risque de s’alourdir dans les prochains jours. L’émoi international, renforcé par les images de la catastrophe et de ses conséquences qui ont rapidement circulé en ligne, se retrouve aussi en Espagne.

En effet, les médias de notre voisin ibérique ont immédiatement fait leurs gros titres à ce sujet et les réactions de la classe politique ainsi que de la société ont été nombreuses. Le président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez (PSOE), a exprimé son effroi et ses condoléances au peuple marocain, de même que bon nombre de personnalités. Le roi d’Espagne, Philippe VI, a lui aussi adressé un message à son homologue, Mohammed VI.

Le chef du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sánchez, image d’archive © SIPA

Les autorités espagnoles ont rapidement proposé leur aide au Maroc, notamment à travers l’Unité militaire d’Urgence (Unidad Militar de Emergencias, UME). Créé en 2005, ce détachement a pour objectif de venir en aide aux populations civiles dans le cadre de catastrophes naturelles ou industrielles, de risques graves et de tous types de calamités publiques. Il a l’habitude d’intervenir dans d’autres pays. Son assistance a d’ailleurs été officiellement requise par Rabat le dimanche 10 septembre, ainsi que l’a confirmé le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares.

Un voisin proche

Ce désastre, dont on mesure mal encore l’ampleur, contribue à relancer les analyses et considérations autour des rapports hispano-marocains.

Dans sa partie la plus étroite, entre Tarifa (Andalousie) et le cap Spartel (région de Tanger-Tétouan), le détroit de Gibraltar sépare les deux pays sur 14 kilomètres seulement. Par ailleurs, l’Espagne est le seul pays européen à entretenir une frontière terrestre avec le Maroc (et même avec toute l’Afrique), au niveau des villes autonomes de Ceuta et Melilla. Ancienne puissance coloniale sur place par le biais d’un protectorat (1912-1956), l’Espagne a aussi été présente dans l’actuel Sahara occidental de 1884 à 1976. Quelques siècles auparavant, c’est le Maroc qui avait indirectement été la puissance dominatrice en péninsule ibérique à travers les dynasties berbères des Almoravides (1040-1147) et des Almohades (1121-1269). 

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La proximité géographique et les liens historiques s’ajoutent donc à des relations diplomatiques intenses, même si elles se tendent à intervalles réguliers. Il faut dire que les défis communs et les sources de désaccords ne manquent pas : lutte contre l’immigration illégale et le terrorisme, revendications territoriales, partage des ressources, etc.

Des territoires contestés

Les autorités marocaines considèrent effectivement que les villes autonomes de Ceuta et Melilla sont sous occupation espagnole – même si, au regard du droit international, il ne s’agit pas de colonies. Elles sont sous domination de notre voisin ibérique depuis une époque bien antérieure à la constitution du Maroc en tant qu’État-nation reconnu comme tel : 1640 dans le premier cas (après avoir été cité portugaise à compter de 1415) et 1497 dans le second.

Cela n’empêche pas Rabat de mener depuis plusieurs années une politique contraire aux intérêts de Madrid sur place. La frontière entre Maroc et Espagne au niveau de Ceuta (84 000 habitants) et Melilla (86 000 citoyens) a en effet rouvert en mai 2022, après vingt-six mois de fermeture. Cette décision, prise par le gouvernement du Maroc le 13 mars 2020, avait d’abord pris comme prétexte la pandémie de Covid-19. Toutefois, l’exécutif du Royaume chérifien avait maintenu sa mesure après la première vague épidémique afin de forcer l’Espagne à modifier sa position concernant le Sahara occidental…. Or, une telle frontière internationale est extrêmement fréquentée, notamment par les Marocains qui viennent faire leurs achats ou travailler sur place. Les échanges commerciaux de diverses natures sont également importants et se trouvent aujourd’hui pénalisés. Les postes douaniers ne fonctionnent pas à plein régime en raison d’un manque de coopération du Maroc. Cela pose des problèmes aux porteadoras, ces Marocaines qui transportent à pied des ballots de marchandises qu’elles vendent de manière informelle.

Cependant, les revendications de Rabat se portent aussi sur les « places de souveraineté » (plazas de soberanía) espagnoles, confettis d’empire situés sur la mer d’Alboran (partie occidentale de la mer Méditerranée) : îles Zaffarines, îles Alhucemas, rocher Vélez-de-la-Gomera et îlot Persil. En juillet 2002, un bref conflit militaire a même opposé les deux pays autour de ce dernier morceau de territoire, après le débarquement de six soldats marocains. L’îlot avait finalement été récupéré par un commando espagnol dans le cadre de l’opération Romeo-Sierra.

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Dans les cas les plus extrêmes, les nationalistes marocains réclament même la souveraineté de leur nation sur les îles Canaries. De fait, le gouvernement de Rabat cherche à étendre ses eaux territoriales dans l’océan Atlantique afin de bénéficier de nouvelles ressources sous-marines. Au cœur des intérêts bilatéraux se trouve le mont Tropico, à 269 milles nautiques au sud d’El Hierro (îles Canaries). Du tellure, du cobalt et des terres rares pourraient en être extraits, soit autant de minerais stratégiques en ce début de XXIe siècle.

L’épineuse question migratoire

Le Maroc constitue un point de passage obligé pour les migrations subsahariennes, renforcées par les flux migratoires venus de son propre territoire. La pandémie de Covid-19 et la grande précarité dans certaines franges de la population marocaine (jeunesse, Berbères) accroissent le nombre de candidats au départ – alors même que, sur les 5,42 millions de ressortissants étrangers vivant outre-Pyrénées, on en compte déjà plus de 775 000 d’origine marocaine.

Dans le domaine, la coopération entre les deux nations n’est pas toujours évidente. La dernière grande tragédie en date s’est produite le 24 juin 2022, lorsque 2 000 immigrés clandestins (majoritairement soudanais) ont tenté de franchir la frontière au niveau de Melilla. Ils ont alors été violemment repoussés par les forces de l’ordre marocaines. Il s’est ensuivi la mort de 23 à 37 personnes selon les sources et un scandale diplomatique de premier ordre. Une affaire qui rappelle la polémique d’El Tarajal (Ceuta), qui avait conduit au décès de 15 migrants le 6 février 2014.

Le gouvernement espagnol n’a, au demeurant, pas de position fixe sur la barrière (valla) qui sépare les deux villes autonomes du territoire marocain. Ces dispositifs, constitués de fils de fer barbelés, de clôtures, de lames coupantes, de caméras à infrarouges et de capteurs divers, ont été en partie désarmés par l’actuel ministre de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska. L’opposition au gouvernement de Pedro Sánchez considère qu’il s’agit d’une cession aux formations politiques et aux organisations de gauche, ce qui risquerait de compromettre la sécurité du pays.

Quand l’histoire coloniale s’en mêle

La position du Parti populaire (PP) et de Vox concernant le récent revirement des socialistes au Sahara occidental est similaire. En novembre 1975, le roi Hassan II décide de forcer les autorités espagnoles, affaiblies par l’état de santé précaire de Francisco Franco, à se retirer du Sahara espagnol. S’étendant sur une superficie de 280 000 kilomètres carrés et peuplée d’environ 82 000 personnes (dont 15 000 Européens) en 1974, cette région placée entre Maroc, Algérie et Mauritanie est agitée depuis 1973 par un mouvement opposé à la domination marocaine : le Front Polisario.

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Son actuel secrétaire général, Brahim Gali, maintient la lutte contre ce qu’il considère comme un occupant illégal. Également président depuis 2016 d’une précaire République arabe sahraouie démocratique, il est activement soutenu par l’Algérie. Néanmoins, il doit faire face à la présence effective des troupes marocaines sur 80% du territoire dont il revendique l’indépendance. Construit de 1980 à 1987, un « mur des Sables » d’une longueur de plus de 2 700 kilomètres est protégé par un corridor de mines ainsi que 100 000 militaires. L’objectif de Rabat est d’empêcher toute pénétration sahraouie dans la zone, riche en potasse et stratégique en raison d’une zone économique exclusive intéressante (minerais sous-marins, ressources halieutiques, etc.)

Le grand jeu international

Pendant près de cinquante ans, Madrid a cherché à préservé le statu quo entre les belligérants, prônant une solution qui passerait par un référendum d’autodétermination. De fait, l’Organisation des Nations unies défend la même posture. Elle continue de considérer que l’Espagne est la puissance administratrice sur place, même si sa présence y est désormais nulle sur le plan politique.

Brahim Gali et Alger soutiennent une telle idée et la population locale continue d’utiliser la peseta comme monnaie d’échange ainsi que les cartes d’identité de l’époque coloniale. Ils peuvent compter sur l’activisme de la gauche « radicale » espagnole, aujourd’hui incarnée par la coalition Sumar, qui promeut la pleine souveraineté de la République arabe sahraouie démocratique. Née en 1994 dans les camps de réfugiés sahraouis de l’ouest algérien, la députée nationale espagnole Tesh Sidi est une des figures visibles de ce combat. Fort d’une stratégie internationale habile et de soutiens à l’étranger, le Maroc fait reconnaître pleinement sa position (celle d’un Sahara occidental autonome mais bel et bien marocain) sur la région par les États-Unis de Donald Trump en décembre 2020. En juillet 2023, c’est au tour d’Israël de faire de même.

Tentant de désamorcer le blocage de Ceuta et Melilla ainsi que de réduire l’hostilité marocaine, Pedro Sánchez décide en mars 2022 de rompre avec une tradition ancrée à gauche en acceptant le plan marocain d’autonomie. Un mouvement qui prend de court ses interlocuteurs, y compris du côté d’Unidas Podemos (depuis intégré à Sumar). Il entraîne également le boycott par Alger des entreprises espagnoles opérant avec l’Algérie ou sur son territoire. De même, cette dernière boucle sa frontière avec son voisin occidental et ferme le gazoduc Maghreb-Europe, qui connecte ses champs pétroliers au Maroc puis à la péninsule ibérique. En réponse, depuis juin 2022, Madrid fournit à Rabat du gaz acheminé par méthanier vers les côtes espagnoles.

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Les autorités espagnoles attendaient beaucoup de ce changement diplomatique majeur : réouverture complète de la frontière avec Ceuta et Melilla, collaboration plus active dans le domaine migratoire et fin des revendications territoriales. Pourtant, plus d’un an après cette décision, les rapports bilatéraux restent complexes et Madrid prend peur face au réarmement marocain des derniers mois.

Quant à la droite espagnole, elle accuse Pedro Sánchez d’avoir cédé face à Mohammed VI car ce dernier disposerait peut-être d’informations compromettantes à son sujet. L’Union européenne suspecte effectivement le gouvernement du Royaume chérifien d’avoir espionné le téléphone du chef de l’exécutif espagnol ainsi que celui du ministre de l’Intérieur et celui de la ministre de la Défense, Margarita Robles, grâce au logiciel israélien Pegasus.

Malgré tout, ces différentes crises démontrent que destin de l’Espagne et destin du Maroc sont étroitement liés. De même, Madrid est forcé de prendre en compte la position d’Alger et d’abattre habilement ses cartes dans un jeu multilatéral des plus complexes. Cette absence de « lune de miel » dans la région, contrairement à ce qu’escomptait le gouvernement Sánchez, doit pousser notre voisin pyrénéen à mettre sur pied une véritable politique d’État en la matière.

En attendant, à l’image de ce qui s’était passé en 2004 après le séisme d’Alhucemas, l’Espagne se trouve aux côtés de son partenaire méridional pour parer au plus urgent.



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Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires.

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