Le film « Les SEGPA au ski », actuellement en salles, et la polémique qui l’accompagne et que nous évoquions lundi dans nos colonnes1, accentuent l’image stigmatisante d’une orientation scolaire pourtant bénéfique aux collégiens qui y sont envoyés.
Déjà il y a deux ans, après la série du même nom, la sortie du film « Les SEGPA » m’avait particulièrement agacé humainement et professionnellement. Se payer la tête des élèves en grande difficulté n’a jamais été ma tasse de thé, mais en plus ce film compliquait considérablement le travail d’orientation auprès des parents des élèves concernés. Et voilà que les mêmes cinéastes récidivent ! À croire que la recette est bonne, et que se faire du fric sur le dos des plus fragiles, là, n’émeut personne ou du moins pas trop bruyamment. D’ailleurs on attendrait avec délectation les éternels excités de la signature bienveillante pour une petite défense des opprimés : que doivent donc penser de ce film les élèves réellement concernés par cette filière qui leur permet pourtant de progresser, et pour les plus nombreux de s’en sortir convenablement ? Passons, sinon l’attente risque d’être longue…
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Laissez bosser les SEGPA, les vraies !
Alors voilà que sort le film « Les SEGPA au ski » qui comme le précédent ne va pas arranger les affaires des professionnels de l’Education nationale… ni des familles dont l’enfant est en situation très compliquée sur le plan scolaire. Déjà dès le début du scénario, on est obligé d’être très sévère : recalé sans aucune espèce de scrupule car les filières SEGPA (section d’enseignement général et professionnel adapté) n’existent pas au lycée ! Donc très loin de passer le bac et d’aller le préparer en classe de neige – option ski peut-être ce super diplôme ? Bien sûr comme je n’irai pas voir ce film, ma critique s’arrêtera ici et je préfère aborder l’existence réelle de ces SEGPA, et dire ce qu’elles sont et pourquoi il est essentiel d’en avoir une bonne image et de les protéger de ces regards malveillants afin de les voir perdurer dans nos collèges.
Ajoutons simplement qu’il serait sympathique que les médias s’intéressent à ces élèves autrement qu’à l’occasion d’un film et du bazar dans les cinémas, effectué par les super spectateurs venus accueillir la projection à leur façon… Où sont les esprits fragiles et tourmentés ? Dans les salles obscures vraisemblablement davantage qu’en SEGPA…
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Déjà tordre le cou à une idée reçue : les élèves en SEGPA n’y sont pas en raison de leur comportement perturbateur, voire extrêmement violent, comme on peut l’entendre et le voir dans ces séries ou films. Il est vrai qu’à une époque les élèves difficiles étaient plus volontiers orientés dans cette filière afin de préserver un peu les classes ordinaires du collège. Mais cela est révolu, et l’orientation s’effectue sur la base exclusive des difficultés scolaires.
Mais l’intérêt majeur de cette orientation est dans la restauration de l’image que ces enfants ont d’eux-mêmes. En difficulté depuis de nombreuses années, en fin d’école élémentaire ils ont une image dévaluée d’eux-mêmes, ils expriment souvent qu’ils sont nuls et n’arriveront à rien dans la vie. Peu à peu, en réussissant les apprentissages proposés, en progressant à leur rythme, ils retrouvent une raison positive d’être scolarisé, ils persévèrent et finissent par donner le meilleur d’eux-mêmes. Alors, évidemment ils n’effectueront pas de longues études supérieures, mais ils feront ce que leurs capacités leur permettront de faire dans la mesure où nous auront su, nous adultes professionnels ou parents, voir leur potentiel et favoriser leur réussite.
Difficile d’obtenir l’accord des familles
Chaque année depuis quinze ans, je prévois l’orientation de plusieurs élèves de CM2 afin de leur faire bénéficier de ce dispositif. Pour ces élèves et leur famille, cela est une vraie opportunité de voir enfin les progrès dans les apprentissages et les sourires sur les visages ! Certains élèves en témoignent quelques temps plus tard en donnant quelques nouvelles et en venant radieux à l’école montrer leur réussite affichée clairement sur leur bulletin et leur posture. Pour la majorité d’entre eux, ils seront dans l’avenir des adultes totalement intégrés dans la société avec une activité professionnelle dont ils pourront être fiers.
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Bien sûr il faut les convaincre, il faut travailler avec leurs parents pour dépasser l’image stigmatisante de cette orientation. Bien sûr, cette année alors que je prévois la pré-orientation de quatre élèves, cela sera encore plus délicat à effectuer pour avoir l’assentiment des familles et surtout la volonté des élèves concernés de poursuivre leurs efforts au sein de ces classes, trop souvent décriées et salies sur les réseaux sociaux. Bien sûr il faudra encore plus de courage à ces pré-adolescents pour accepter ce que nous professionnels de l’Éducation nationale mettrons encore plus de temps à leur proposer et à leur présenter… Bien sûr, au final cela sera bénéfique pour ces élèves. Mais à quel prix ? Merci qui ?
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