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Retours perdants

La rentrée affligeante des deux adversaires de la présidentielle 2007


Retours perdants
Paris, 21 juin 2007 © HADJ/SIPA

Ségo et Sarko, entre avenir compromis et ambitions avortées, les retours perdants. L’analyse politique de Céline Pina.


Avoir été devient souvent difficulté à être, quand les feux de la rampe s’éteignent.

Ségolène et Sarkozy ont donc tenté de faire leur grand retour en cette rentrée 2023. Une tentative de retour qui n’a pourtant rien d’une renaissance pour l’un comme pour l’autre. Ségolène Royal a voulu imposer sa présence à son camp, en tentant une OPA sur la liste LFI, au nom de l’union de la gauche. Jean-Luc Mélenchon, évidemment, a bien essayé de son côté de l’instrumentaliser pour déstabiliser le PS, mais même en tant que semeuse de zizanie, il n’y a définitivement plus « d’effet royal » sur qui que ce soit. De son côté, Nicolas Sarkozy cherche à prendre une place de vieux sage, à la fois faiseur de rois et mentor ; il se voudrait l’arbitre des élégances politiques. Le titre de son nouveau livre, Le temps des combats, n’annonce ni retraite ni recul. Mais là aussi, il ne suscite qu’une indifférence polie dans son propre camp.

Vieilles « gloires »

Pourquoi le retour des vieilles gloires de la politique ne fait-elle pas recette, alors que le grand remplacement des élus par le « nouveau monde » macroniste a échoué et redonné de la valeur à l’expérience ? Peut-être parce que le passé qu’ils incarnent n’est pas un temps qui nourrit la nostalgie, mais celui qui explique en partie les raisons de notre déclin. Ils ne sont pas les gardiens d’une sagesse oubliée mais font partie des problèmes qu’ils prétendent résoudre. Ils ont de l’ambition pour eux-mêmes, mais n’ont jamais vraiment réussi à faire croire qu’ils en avaient pour la France.

A relire, du même auteur: La plus grande trahison du PS

Alors Nicolas Sarkozy essaie bien de distribuer ses oracles à droite mais force est de constater que sa parole n’est ni un repère ni un guide. Son refus de soutenir Valérie Pécresse, candidate de son camp à la présidentielle, l’a marqué du sceau de la traitrise. Une accusation qui jalonne tout son chemin politique. Son actualité reste donc et demeure l’accumulation de ses déboires judiciaires. Il garde néanmoins l’aura d’un ancien président de la République, et incarne de ce fait quelque chose malgré tout. Il en a conscience et n’a pas renoncé à toute dignité : on ne devrait pas le retrouver chroniqueur chez Cyril Hanouna dans cette vie.

Pathétique Ségolène Royal

De son côté, Ségolène Royal, elle, essaie pathétiquement de surnager. Quitte à devenir la tatie Danielle de son ancienne famille politique : sa proposition d’être tête de liste d’une liste d’union de la gauche aux Européennes, proposition faite lors des universités d’été des Insoumis, ne pouvait qu’embarrasser les autres partis qui essaient de s’extirper de la tutelle pesante de Jean-Luc Mélenchon. Il faut dire qu’elle n’a pas grand-chose à son crédit pour incarner un recours potentiel. Son bilan politique est maigre et son heure de gloire a été une défaite retentissante à la présidentielle de 2007. De cette bataille perdue n’est née aucune guerre gagnée. Mais pire encore, à l’heure où elle aurait pu incarner une forme de conscience morale, elle n’a jamais fait preuve du moindre courage. Personne n’oubliera que non contente de ne pas soutenir la jeune Mila, elle l’a brutalement critiquée alors même que cette jeune fille était menacée de mort. Cela donne la dimension d’un être. Nul n’a oublié non plus sa contestation du massacre de Boutcha, en Ukraine, pas plus que la comédie de ce poste d’ambassadeur des Pôles dont elle n’a rien fait, car elle considérait que c’était une marque de considération qui lui était due.

Les carrières d’opportunistes au service de leur propre cause ne laissent guère de traces collectives. Il ne s’agit pas ici de critiquer Ségolène Royal pour avoir su saisir les occasions qui passaient à sa portée. Jeune énarque, elle a su tirer profit de la prise du pouvoir par François Mitterrand et construire sa carrière. Ce qui est triste est de ne pas en avoir fait grand-chose d’utile pour le collectif.

On peut néanmoins la créditer d’avoir su saisir l’air du temps et d’avoir compris en 2007 que la gauche était dans l’impasse. Il y a ainsi quelque chose d’Emmanuel Macron chez Ségolène Royal. Elle a eu, comme lui, une intuition politique féconde : l’idée que le PS de Mitterrand était mort et qu’il fallait rebâtir la légitimité de la gauche en s’emparant du thème de l’autorité et de l’ordre juste. Mais il se trouve que, si en 2007 le PS était déjà un canard sans tête, il courait encore à ce moment-là. En 2017, il n’était plus qu’un grand cadavre à la renverse et notre président actuel, qui avait eu, lui, l’intuition de la fin des partis, a pu l’enjamber sans autres formalités. Il aura réussi, là où elle a échoué, mais quant à faire quelque chose des opportunités saisies, là aussi le parallèle s’impose et il est cruel pour Emmanuel Macron comme pour Ségolène Royal. Ces deux personnages ont toujours été au rendez-vous d’eux-mêmes, mais n’ont pas le courage politique qui permet de faire l’histoire au lieu d’être balayé par elle.

Les vues de Sarkozy sur l’Ukraine contestées par le camp du Bien

C’est aussi le cas de Nicolas Sarkozy qui peine à laisser l’empreinte d’un grand dirigeant. L’ancien président est même soupçonné par ses détracteurs d’être au service d’intérêts étrangers. Sa proposition de travailler à la neutralité de l’Ukraine et de reconnaitre l’annexion de la Crimée a fait bondir le député EELV Julien Bayou. Lequel a dit sur LCI, « on le comprend mieux quand on sait qu’il est acheté par les Russes ». Un certain nombre d’experts, comme Bruno Tertrais ou François Heisbourg, ne se permettent pas ce type de mise en cause mais ont été néanmoins choqué par l’analyse de Nicolas Sarkozy et le peu de recul sur la situation dont elle témoigne.

A lire aussi, Ivan Rioufol: Comment éviter le grand basculement identitaire

En 2007, le reportage de Karl Zero, Ségo et Sarko sont dans un bateau, montrait à quel point les deux protagonistes de la présidentielle de 2007 avaient des profils proches. Tous deux quinquagénaires, exploitant leur vie privée à des fins médiatiques, habités par le même besoin de réparation d’une enfance vécue comme humiliante, ils bousculaient leur camp par leur modernité. Alors qu’ils tentent tous les deux de faire leur rentrée, c’est encore le parallèle de leur situation qui frappe. Ces vieilles gloires ne suscitent qu’indifférence auprès des leurs et ne signifient rien pour les générations qui viennent. Mais surtout, tous deux ont une terrible épée de Damoclès au-dessus de leur tête, celle de l’opprobre et du ridicule. Pour Nicolas Sarkozy, l’horizon est judiciaire, le jugement de l’affaire Bygmalion se profile et 2023 a déjà vu sa condamnation à un an de prison ferme en première instance dans l’affaire des écoutes. Si le jugement est confirmé, devenir le premier président de la Vème République à être condamné à de la prison ferme est peut-être historique, mais ce n’est pas ce que l’on espère quand on veut laisser une trace dans l’histoire. Du côté de Ségolène Royal, la tentative d’être tête de liste aux Européennes a échoué, mais il reste encore la carte Hanouna à jouer. Ségolène Royal est une des nouvelles chroniqueuses de l’émission de C8 TPMP. Là c’est le besoin d’exister à tout prix qui conduit à une forme de déchéance.

Alors que l’avenir de la France et des Français s’annonce difficile, l’expérience politique d’élus ayant eu de hautes fonctions aurait pu être un atout pour le pays.

Hélas l’exemple que donnent les anciens protagonistes de 2007 est loin de les hisser à la hauteur de l’enjeu. Quant au vainqueur de 2012, son mandat fut si piteux, qu’il n’a même pas pu se représenter.

En 2007, Ségo et Sarko étaient dans le même bateau. La question était de savoir qui tomberait à l’eau. En 2023, ils y sont encore mais ce n’est plus parce que leurs ambitions sont concurrentes mais parce qu’ils rament beaucoup pour ne guère avancer.



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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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