L’union galactique des fonctions segmentées, UGFS pour les intimes, est un empire lointain, perdu dans l’espace, au XXVIIIe siècle. L’humanité qui y vit est « segmentée » depuis la naissance entre sept systèmes solaires correspondant le mieux aux aptitudes supposées de chacun, mesurées par un test obligatoire pour tous. Suivant le résultat obtenu à l’âge de 13 ans, on est contraint de vivre dans le secteur du travail, de l’ordre, de la créativité, de la spiritualité, de l’échange, de la guerre ou de la jouissance.
Dans ce monde inventé par l’avocat Richard Malka, qui est aussi un grand scénariste de BD, et illustré par l’Argentin Juan Gimenez, on croise évidemment quelques rebelles qui refusent cette « segmentation » contraire à l’universalité de l’esprit humain.[access capability= »lire_inedits »] On ne peut s’empêcher de voir dans ce cloisonnement, qui enferme chacun dans une unique dimension, une idéologie que Guy Debord dénonçait, dès 1967, dans La Société du Spectacle, sous le terme de « séparation » : « La séparation est l’alpha et l’oméga du spectacle. L’institutionnalisation de la division sociale du travail, la formation des classes avaient construit une première contemplation sacrée, l’ordre mythique dont tout pouvoir s’enveloppe dès l’origine. »
Parmi les rebelles et autres fugitifs, on suit en particulier Loth, le garçon, et Jezréel, la fille, qui viennent d’arriver, pour le deuxième volume de cette saga, sur la planète Voluptide, capitale du secteur de la jouissance.
On me dira qu’il y a pire sort que de vivre sur une telle planète. L’ennui, c’est que la jouissance organisée et obligatoire rend la chair triste, surtout dans un monde où il n’y a plus de livres à lire. Et puis, le lecteur attentif verra non sans inquiétude, à l’entrée d’un palais, la statue du marquis de Sade. Sur cette planète, on a, hélas, pris le divin marquis au pied de la lettre, et les perversions qui pourraient nous faire du bien perdent beaucoup de leur charme quand elles sont l’objet d’une nomenclature tatillonne. Sans entraves, impossible de jouir. Où trouver le plaisir quand tout est permis, à l’image de ce loto sexuel dont le gagnant a la possibilité, pendant sept jours, de choisir qui il désire ? Évidemment, du côté des désirés, il est impossible de refuser…
Loth et Jezréel se retrouvent ainsi, malgré eux, dans le zeppelin rose et turgide d’une gagnante, ou encore prisonniers de l’île de Fath, où des gros aimeraient bien leur faire subir les derniers outrages, dont un gavage en règle. Ils ont pourtant autre chose à faire, en particulier trouver un mystérieux bibliothécaire qui pourrait expliquer l’origine de l’UGFS et les aider à sauver l’humanité, alors qu’ils sont toujours impitoyablement poursuivis par les forces de Lexipolis, capitale du secteur de l’ordre…[/access]
Segments, 2-Voluptide, par Richard Malka et Juan Gimenez (Glénat).
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