Les passeurs ne sont pas les seuls à surfer sur les vagues migratoires. Profitant de la misère humaine, des ONG sans scrupules frayent avec les trafiquants et violent les lois internationales sous prétexte d’idéaux anarchistes, altermondialistes et « antifascistes ».
Il est des causes pour lesquelles certains, en manque de gloire, sont prêts à s’affranchir des règles de droit, y compris aux dépens de la sécurité d’êtres humains et de la stabilité de nations souveraines. C’est le cas de l’ONG berlinoise Jugend Rettet (littéralement « la jeunesse sauve »). Fondée en 2015 par un lycéen de 19 ans, l’organisation réunit rapidement assez d’argent pour acquérir le Iuventa, un navire de 33 mètres destiné au sauvetage en mer. Or, elle se distingue vite par son peu de respect pour les protocoles établis, notamment par Rome : omissions délibérées de rapports, navigation dans des zones de restriction et autres libertés prises avec les règles, comme le rapportait La Repubblica dans une enquête hélas peu remarquée[1].
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Si venir en aide à des personnes en danger de mort est un impératif moral, auquel certaines ONG et organisations nationales et internationales se dévouent avec sérieux, entretenir sciemment les réseaux de passeurs et l’immigration clandestine est tout autre chose : on est dès lors en droit de se demander si les migrants ayant embarqué sur ces navires ont véritablement été « sauvés » ou s’ils sont plutôt les victimes collatérales d’une collaboration de fait entre passeurs criminels et jeunes altermondialistes en quête de sainteté politico-médiatique.
Pia Klemp, capitaine du grand soir de la révolution
La militante allemande, découverte par le grand public il y a quelques années lors de la crise des migrants en Méditerranée, est la madone de l’immigration débridée. Biologiste de formation, elle se tourne rapidement vers la cause des migrants en dirigeant les navires de sauvetage en mer Sea-Watch 3 et Iuventa. Plus récemment, en août 2020, elle prend la barre du Louise Michel, une ancienne vedette des douanes françaises reconvertie et financée par l’artiste britannique Banksy.
Dans un livre publié cette année en français[2], Klemp propose une vision romancée de ses interventions, quitte à prendre quelques libertés avec la réalité. Dans un style punk chic empreint de jeunisme et de références à la lutte révolutionnaire, la capitaine allemande se dépeint en sauveuse de l’humanité et pourfendeuse des nations souveraines. Avec des méthodes peu soucieuses de démocratie et d’État de droit. Il faut dire que Klemp a été à bonne école : c’est une ancienne de Sea Shepherd, ONG aux pratiques contestées dont le fondateur, Paul Watson, qualifié par certains d’écoterroriste et qui cumule les déboires avec la justice, ne cache pas ses penchants pour les méthodes autoritaires ni sa misanthropie. L’Allemande a aussi passé beaucoup de temps entre les côtes libyennes et l’Italie, se targuant d’avoir prétendument sauvé des milliers de vies, en jouant au chat et à la souris avec les garde-côtes.
En réalité, l’activisme « humanitaire » de Pia Klemp n’est que l’autre nom d’un militantisme d’extrême gauche. Elle déclarait d’ailleurs au Guardian en août 2020 : « Je ne vois pas le sauvetage en mer comme une action humanitaire, mais comme un combat antifasciste. » Une prose que certains recyclent en politique, comme son petit camarade Julian Pahlke, devenu depuis député Vert au Bundestag. De fait, les méthodes en vigueur sur le Iuventa ou le Louise Michel laissent pantois et tutoient la culture woke : prétendant mettre en œuvre un « projet féministe », l’équipage de ce dernier a annoncé que seules les femmes étaient en droit de s’exprimer au nom du navire. Curieuse idée de l’égalité hommes-femmes. Mieux : Lea Reisner, infirmière et chef de la première opération de sauvetage, affirmait alors que le projet était « résolument anarchiste, destiné à rassembler une variété de luttes pour la justice sociale, y compris pour les droits des femmes et des LGBTIQ, l’égalité raciale, les droits des migrants, l’écologie et les droits des animaux. » Carton plein !
Carola Rackete, apprentie rebelle
Elle a fait la une de tous les journaux en juin 2019 lorsqu’elle a amarré de force son navire dans un port de Lampedusa, mettant au passage en danger une vedette des garde-côtes italiens ; ce qui lui a valu d’être arrêtée avant d’être relâchée quelques semaines plus tard. Adepte de la victimisation permanente, Carole Rackete a de maintes fois répété, notamment dans la presse allemande, qu’il n’y a pas selon elle de distinction entre immigration économique et réfugiés, mais une « migration forcée » de masse dont les « pays européens industrialisés » sont les premiers responsables.
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Rackete a, elle aussi, publié un livre[3] pour narrer ses exploits héroïques en Méditerranée. On y retrouve quelques poncifs de la cause altermondialiste, comme la désobéissance civile (traduisez : la violation des lois) et « l’urgence environnementale », raccourci facile pour justifier les vagues migratoires. Celle qui n’hésitait pas à proclamer dans le Bild que l’Europe devait accueillir « au moins un demi-million de personnes » rien que pour les camps de réfugiés en Libye, manie avec brio la rhétorique tiers-mondiste. « Rackete donne des leçons de morale aux Italiens », ironisera le célèbre présentateur télé Jörg Thadeusz dans une tribune très à-propos[4].
Les pratiques plus que douteuses de certaines ONG
Dans un édifiant reportage paru en mars dernier[5], nos confrères suisses du Temps recensaient les points noirs découverts par la justice italienne au terme d’une enquête très approfondie, résumée dans un rapport de 651 pages, confiée au magistrat Maurizio Agnello, procureur adjoint au tribunal de Trapani, en Sicile. L’enquête visait trois ONG, dont Jugend Rettet.
L’article révèle que ces organisations de sauvetage auraient « développé des relations de proximité avec les trafiquants afin d’être averties à l’avance des départs de bateaux transportant des migrants et d’être ainsi les premiers sur place ». Les ONG auraient « agi de concert et contourné le système de secours mis en place par les autorités italiennes ».
Mais il y a plus inquiétant : afin de maintenir de bons rapports avec les trafiquants, les ONG « les auraient souvent laissés récupérer les embarcations utilisées pour transporter les migrants, afin de les réutiliser ». De plus, les enquêteurs italiens ont visiblement découvert un groupe WhatsApp dont certains messages auraient contenu les coordonnées GPS pour des rendez-vous avec les embarcations des passeurs (notamment celles de la milice Anas al-Dabbashi, principal groupe de trafiquants libyen[6]), ainsi que des conversations téléphoniques où l’on entendrait certains militants prôner le mépris des procédures officielles.
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L’affaire est pendante devant les tribunaux italiens. En tout état de cause, elle a le mérite de mettre en lumière les dérives de certaines ONG qui sapent par ailleurs le travail effectué par d’autres pour contrer les filières d’immigration clandestine qui sont à l’origine des drames humains en Méditerranée. Une évidence que pourtant peu ont eu le courage de rappeler, à l’image de Wolfgang Schäuble ou Sebastian Kurz.
L’indispensable effort diplomatique
Il faut reconnaître que certaines situations en Méditerranée sont très complexes et que les garde-côtes libyens sont loin d’être des enfants de chœur. Souvent corrompus, certains sont soupçonnés d’exactions graves envers les migrants, comme Abd al-Rahman al-Milad, ancien garde-côte de Zaouïa, un ripou arrêté en octobre 2020. Mais la coopération internationale demeure primordiale ; et si Frontex n’est pas exempte de reproches non plus, c’est sur le terrain de la coopération opérationnelle que l’effort doit être porté.
[1]. Francesco Viviano, Alessandra Ziniti, « L’inchiesta: “Iuventa voleva tagliare fuori la Guardia costiera italiana” Il giallo della chat con gli scafisti », la Repubblica, 4 août 2017.
[2]. Pia Klemp, Les Vivants, les morts et les marins, Fleuve noir, 2021.
[3]. Carola Rackete, Il est temps d’agir,Iconoclaste, 2020.
[4]. Jörg Thadeusz, « Recht gilt nur bis Böhmermann und Rackete kommen », Berliner Morgenpost, 6 juillet 2019.
[5]. Antoine Harari, Marco Bova, « Trois ONG de sauvetage en mer accusées de complicité avec les passeurs criminels », Le Temps, 11 mars 2021.
[6]. « En Libye, les milices de passeurs sont de retour pour la saison des migrants », Middle East Eye, 18 mai 2020.