Vous pensiez comprendre un peu ce qui se passe dans les réseaux auxquels vous croyez être connectés ? Détrompez-vous, Big brother ne vous regarde pas. Il est là, en vous. Ou peu s’en faut. Troisième et dernier tome de L’alignement des équinoxes, thriller signé Sébastien Raizer, Minuit à contre-jour est un vrai final, sombre et déroutant. Follement entraînant, aussi. À l’image de l’ensemble de la trilogie. Heureux le lecteur qui peut maintenant en lire les 1200 pages d’une traite.
Cofondateur des éditions du Camion Blanc, au catalogue rock et punk décapant, et de la sulfureuse collection Camion Noir dédiée à toutes les cultures underground, y compris les moins politiquement correctes, Sébastien Raizer donne avec sa trilogie de L’alignement des équinoxes un thriller dans la lignée de Maurice G. Dantec et de Philip K. Dick.
De Guénon à Joy division
Comme chez Dantec, son écriture est un foisonnement de présences en arrière-plan du texte. Trop nombreuses pour être toutes citées, et sans doute repérées — même pour un familier des univers en question. De René Guénon au groupe Coil ou aux pistes musicales à la Joy Division, en passant par Raymond Abellio et par toutes les couleurs des mondes du Soleil noir. On croirait presque croiser Aleister Crowley, la Golden Dawn, ses rituels magico-sexuels. La présence musicale est essentielle dans l’écriture de Raizer, plus encore que chez Dantec, lequel avait pourtant un style pour le moins post-punk, du moins dans la dernière période de son œuvre. Une présence musicale qui rythme la lecture de L’alignement des équinoxes. Tout aussi important est l’influence ou plutôt la présence réelle de Philip K. Dick, celui de SIVA mais aussi le Dick du Maître du haut château ou des Androïdes rêvent-ils de moutons électriques, titre originel de Blade Runner.
Le roman du réel augmenté
C’est la question que semble poser le thriller. Dans toutes ses dimensions. Car la question se pose autant pour le lecteur que pour les personnages. L’éditeur évoque « un roman du trans-réalisme », ce qui est tout à fait vrai. Trans-réalisme, dans un monde post-démocratique tendant à devenir post-humain. Toutes ces formules, comme le trans-humanisme et toutes les sortes de réalité augmentée sont au cœur des pages de Raizer, l’Intelligence artificielle à l’horizon immédiat. C’est pourquoi la présence de Philip k. Dick est incontournable, tant sa figure hante l’écriture de Raizer. Sa figure et surtout cette sorte de compréhension ou de prémonition, selon lesquelles nous sommes présents en des réels divers, comme ces réels divers sont présents en nous. Ce que les possibilités numériques, informatiques et quantiques viennent plutôt confirmer qu’accentuer. Ici. Dans ce roman, les policiers de la Crim’, Wolf et Silver, affrontent l’émergence de ce qu’ils pensent être un Mal en la personne de la Vipère, liée aux transformations en cours de notre réalité. Et la question du réel augmenté, comme du rôle potentiel d’armes de type drogues neurotoxiques, s’entremêle avec des conceptions plus anciennes du côté de l’Asie et du bouddhisme. C’est pourquoi il n’est pas surprenant que Sébastien Raizer fasse paraître un Petit éloge du zen en même temps que le 3e tome de sa trilogie. Un ensemble où tout commence par la voie du samouraï. Et où tuer, c’est parfois jouer.
Post-punk not dead
Bien sûr, les péripéties et rebondissements ne manquent pas et le cheminement de Wolf et Silver vers « la vérité » est semé d’embûches, sur fond d’actualité. Les pages de Raizer sont ancrées dans le réel le plus direct et le plus contemporain, le plus violent aussi. Dans ce réel d’un monde qui va mal et où chacun perçoit combien les tensions sont palpables, on croise des policiers ne faisant plus la différence entre la légalité et l’illégalité, des truands usant autant de flingues que de réseaux informatiques, les nouveaux locaux de la Crim’, en forme de bunker paranoïde, des start-upers illuminés, des écologistes radicaux prêts à éradiquer l’espèce humaine, des véganes à l’apparence faussement modérée, des extrémistes politiques armés, des complotistes, un psychiatre visiblement fou mais dans tout cela, qui peut véritablement dire qui manipule qui ? Pour ne pas perdre pied dans ce roman noir, métaphysique, crépusculaire, avec Toynbee et Spengler en toile de fond, et de multiples « faits scientifiques » ou prétendus tels aisément accessibles sur Internet (Raizer donne les liens), il faut avoir le réel bien accroché aux tripes.
Et surtout ne pas s’imaginer avec les équinoxes d’ors et déjà correctement alignés. En soi. Un roman noir tout sauf binaire, bien au contraire. Que du bonheur, si l’on ose écrire. Hope you will have a nice trip — search and destroy.
Sébastien Raizer, Minuit à contre-jour (L’Alignement des Equinoxes, 3) (Série Noire, Gallimard) et Petit éloge du zen (Collection Folio, Gallimard).
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