Sébastien de Courtois, dans son dernier roman, L’Ami des beaux jours, dresse le portrait d’une génération qui a cherché un sens à sa vie dans les années 90 en menant des combats douteux…
Toulouse, dans les années 90. Sébastien a 18 ans. Frédéric, 20 ans. Sébastien est un grand bourgeois, Frédéric est issu d’une classe modeste. Ils se rencontrent à la Faculté de droit. La reconnaissance est immédiate : Frédéric sera l’astre noir de Sébastien. L’un, lointainement royaliste, est l’homme des compromis, l’autre, anarcho-syndicaliste, l’homme des théories, un personnage fascinant, tous deux « anti modernes par principe, sceptiques par conviction, fatalistes pour le reste ».
Petite Europe sans saveur
Éternelle jeunesse qui aime la littérature à la mode — Jünger, Boutang, Bernanos, Cioran— la musique punk et la politique, c’est-à-dire discourir sans fin, au café Saint Sernin, en descendant pas mal d’alcool. L’amitié se complète par une histoire d’amour pour une jeune femme, « conquise à deux », une professeur de droit, Sophie. Exaltés, assoiffés d’aventures, ils pensent que « la vraie vie est ailleurs ». C’est cela, « les beaux jours » dans la ville rose. Surtout, les deux amis, en mal d’action dans la « petite Europe, sans saveur, des aînés » cherchent une raison de vivre : leur guerre d’Espagne, pour tout dire. Cela tombe bien. L’Europe se déchire avec la guerre en Yougoslavie. Viva la muerte !
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Un jour, Frédéric part, sans prévenir, combattre aux côtés des nationalistes croates: il n’en reviendra pas. Après son départ, le remords d’avoir été lâche taraude Sébastien. Frédéric avait dit: « Ne me cherche pas ».
Trente ans après
Trente années après, la guerre serbo-croate est devenue, pour tous, un souvenir sans signification. À Ankara, devenu journaliste, la vie de Sébastien, « faite de curiosité pour la vie des autres et de fuites, d’amours et d’écriture inachevés », a été chaotique. Qu’est devenu l’ami parti se battre sans lui parce qu’il ne l’en jugeait pas digne ? Fort de quelques lettres et de coupures de presse précieusement gardées, Sébastien part à sa recherche, en ex-Yougoslavie, à Osijek.
Sur le terrain, quand Sébastien met ses pas dans ceux de son ami, le puzzle de la vie de Frédéric se reconstitue. Alors Frédéric prend consistance et humanité, à travers les propos de ceux qui l’ont côtoyé. La béance du passé est comblée. De retour à Paris, Sébastien revoit Sophie, leur fil d’Ariane. Elle est mariée et vice-procureur.
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La guerre, « boucherie héroïque » ou histoire d’ancien combattant, on connaît. Ce qu’on connaît moins, ce sont ces terrains de jeu que furent la Birmanie, l’Afghanistan, le Liban, avec ses phalanges chrétiennes, pour les soldats de fortune, venus de toute l’Europe. Des années après Toulouse, la fascination pour la violence et la mort, incarnée par Frédéric, reste une énigme pour Sébastien : un vertige du vide dénué d’intérêt. Cette guerre d’indépendance est désenchantement. Restent une photo, deux lettres, qui éclairent l’énigme d’un départ et d’une rupture. Sébastien, le narrateur, apaisé, dédie ce livre à ses deux amis. Les dernières pages, chargées d’émotion, font écho à celles, grisantes, de Toulouse.
Entre autobiographie et roman
« La guerre est un formidable accélérateur de liberté pour une jeunesse sans autorité ni consigne sinon celle de l’alcool » écrit Sébastien des jeunes Croates. Ce début dans la vie qu’est L’ami des beaux jours est-il une version de la fureur de vivre d’une génération vouée au choc de la mondialisation? À la fin du livre, l’auteur donne le nombre de Français engagés dans cette guerre de quatre ans—la plus féroce d’Europe—humanitaires et combattants— : 67 volontaires dont 8 tués et 20 blessés. Du côté serbe, il y en eut aussi. Autobiographie et roman, ce livre incite à une réflexion sur l’étrange fascination qu’exercent sur les êtres la violence et la guerre.
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Comme dans ses livres précédents, dont Un thé à Istanbul ou Passer par le désert, l’auteur, grand voyageur, excelle à rendre l’atmosphère des lieux. Toulouse, la Garonne, les cafés remplis de républicains espagnols, les paroles qui saoulent. Puis Istanbul, Ankara. La Yougoslavie prend vie sous nos yeux « un petit coin d’Europe centrale où les gens sifflent les couchers de soleil et les cigognes passent dans un ciel d’aquarelle… sur le bras liquide du Danube ». Enfin Paris, avec « la Seine qui panse les plaies ». La plume est rapide, le trait sûr.
Une émotion mélancolique sourd de la précision des détails. Ce roman, plein de nostalgie, est aussi une petite page de la grande histoire.
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