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Se séparer? Quelle bonne idée!


Se séparer? Quelle bonne idée!
Ecole privée dans le quartier du Mirail à Toulouse, 2014 © REMY GABALDA / AFP.

L’exécutif semble avoir relégué le terme séparatisme au placard. Demain, c’est un projet de loi « confortant les principes républicains » qui sera présenté en conseil des ministres. L’analyse de la philosophe Françoise Bonardel.


La chose est-elle vraiment si difficile à nommer qu’un projet de lutte contre les « séparatismes » soit finalement requalifié en loi « confortant la laïcité et les principes républicains » ? Le pluriel n’étant qu’un artifice pour ne pas avoir l’air de cibler d’entrée l’ambition islamique de créer un État dans l’État avant de planter, sur les ruines de la République, l’étendard de la charia. L’abandon pur et simple du mot « séparatisme » confirme ce repli, qu’on espère stratégique. Mais au profit de qui ? De la République bien sûr affirment les politiques qui refusent de voir qu’elle a perdu l’autorité qui, il y a quelques décennies, la faisait à ce point respecter qu’il n’était pas nécessaire de légiférer pour la protéger. Nous n’en sommes plus là et le mot « séparatisme » est aussi, il faut bien le reconnaître, chargé de trop d’ambiguïtés pour être fédérateur, et de trop d’affects comme tout ce qui touche à la séparation. 

Les islamistes veulent séparer le pur et l’impur

Quoi de commun d’ailleurs entre la séparation qui comme l’apartheid isole, discrimine et ghettoïse, et celle qui libère et autonomise ? Lutter pour son indépendance, à titre individuel ou collectif, n’est pas pratiquer le « séparatisme » aujourd’hui reproché aux islamistes radicaux qui ne se contentent pas de vivre de manière pacifique en marge de la société comme le font d’autres communautés dont l’existence passe inaperçue ; la République étant suffisamment généreuse pour abriter sous sa cape, telle la Madone de la miséricorde de Piero della Francesca, les réfractaires et les « marginaux » de tous bords qui sont légion et participent à leur manière à la vie collective. Marianne n’est-elle pas également parvenue à laïciser nombre des vertus chrétiennes après la séparation effective de l’Église catholique et de l’État français ? La vie est faite de ruptures, de compromis plus ou moins honorables et de réconciliations, mais il n’y aura pas, avec les islamistes, de retour des fils prodigues et de festin pour célébrer ces retrouvailles familiales.

La mosquée radicale de Pantin, qui avait critiqué sur Facebook le professeur assassiné à Conflans Sainte Honorine © CHRISTOPHE SAIDI/SIPA Numéro de reportage : 00986850_000004
La mosquée radicale de Pantin, qui avait critiqué sur Facebook le professeur assassiné à Conflans Sainte Honorine © CHRISTOPHE SAIDI/SIPA
Numéro de reportage : 00986850_000004

Mieux vaudrait donc ne pas attendre une Saint Barthelemy pour réaliser pleinement qu’on a affaire à un projet de conquête planétaire et que le « séparatisme », qui offusque notre vision républicaine du « vivre ensemble », est aux yeux de ces intégristes une nécessité quasi théologique – séparer le pur de l’impur – qui est elle-même le prélude à une réunification des sociétés occidentales sous l’égide de l’Islam qui mettra fin au « séparatisme » comme au terrorisme. Que des attentats soient perpétrés dans les pays occidentaux est en effet le signe que l’islamisation qui rendrait de tels actes superflus n’est pas encore achevée. C’est pourquoi l’expression « Islam politique » est à la fois compréhensible en raison de la volonté affichée des islamistes de conquérir le pouvoir, et erronée puisque l’Islam radical veut abolir la politique telle que la conçoivent les démocraties occidentales pour installer à sa place la loi de Dieu par une application stricte de la charia. Ce projet foncièrement théocratique n’a donc rien de « politique », même s’il se sert des institutions en place – du vote démocratique et de la protection de la République en particulier  – pour parvenir à ses fins. 

Le catéchisme républicain ne suffit plus

Toutes les mesures prises pour endiguer, contrer, rendre impossible le « séparatisme » islamique seront certes les bienvenues, mais aucune ne pourra contraindre ceux dont le projet politico-religieux est par nature impérialiste à respecter et à aimer la République. Notre aveuglément est là : dans le fait de considérer l’islamisme comme une errance, une déviance par rapport au véritable Islam – religion de paix comme le savent tous les peuples qui en ont subi le joug ! – et de faire éperdument confiance aux valeurs laïques et républicaines quant à la rééducation les déviants, des délinquants qui un jour nous remercieront de les avoir remis sur le droit chemin républicain. Certains d’entre eux sans aucun doute, mais les autres, l’immense majorité des autres qui, parmi les jeunes musulmans, placent depuis peu les lois coraniques au-dessus de celles de la République ? Comment peut-on encore faire crédit à ce catéchisme républicain inefficace, et bafoué par des actes de barbarie devenus quotidiens ?

La manière dont on parle communément de la « radicalisation » est d’ailleurs représentative de cette psychologie hygiéniste qui, s’exerçant pour la bonne cause, n’aurait bien sûr rien à voir avec certaines rééducations totalitaires de triste mémoire.  Il s’agirait simplement de soigner une maladie, curable dans la plupart des cas grâce à une bonne hygiène de vie républicaine qui s’accommode en la circonstance d’exercer son influence sur des esprits qu’elle juge par ailleurs faibles et influençables. Que dire d’autre, il est vrai, sinon que couper des têtes n’est effectivement pas un projet de vie « normal », mais que la santé mentale ne consiste pas non plus dans l’omission des différences irréductibles entre les groupes humains quant à la manière dont ils entendent vivre en commun. Or, notre obsession de l’entente cordiale à tout prix est si forte que nous ne voulons plus reconnaître l’incompatibilité de certains de ces projets, comme si les plus barbares d’entre eux n’étaient que la déviance pathologique de ceux que nous jugeons sains. Les sociétés postmodernes ne supportent l’altérité qu’après en avoir gommé les aspérités ! Les vertus réconciliatrices que nous prêtons à nos principes et institutions nous égarent, et font finalement le jeu de ceux qui ne cachent ni leur haine ni leur volonté de nous détruire ou de nous convertir. Arrêtons donc de tenir un langage de psychologues compréhensifs, d’éducateurs sociaux compatissants envers ceux qui se présentent ouvertement comme nos ennemis, et qui ne veulent à aucun prix changer de mode de vie.

La “mystique républicaine” chère à Péguy

Le glissement du projet de loi initial concernant le « séparatisme » vers l’adoption consensuelle des valeurs de la laïcité et de la République est donc à la fois réconfortant et  consternant. Réconfortant dans la mesure où il donne l’impression que la République « tient bon » face à ses ennemis, qu’elle défendra ses fondements et ses acquis en se dotant d’un arsenal juridique à la hauteur du fléau qu’elle entend combattre. À quoi bon une nouvelle loi sans cela ? Mais consternant car ce durcissement affiché révèle aussi la fragilité psychique du corps politique et social qui recourt à la loi parce qu’il désespère d’être respecté et aimé, et qu’il ne se remet pas d’avoir offert ce qu’il pensait posséder de meilleur – l’école de la République par exemple – et de ne recevoir en retour que des coups bas et des menaces de mort. Une odeur de trahison flotte dans l’air, que durent respirer les Troyens lorsqu’ils découvrirent dans leurs murs le cheval qui allait précipiter leur perte. On a donc raison de vouloir lutter contre le « séparatisme », mais à condition de surveiller aussi la solidité des murs de nos cités sans avoir à éprouver de honte pour ce geste lui aussi « séparateur ». 

Sylvain Tesson a donc parfaitement raison de rappeler que « la laïcité et la liberté d’expression, certes, cela vaut le coup, mais cela ne suffit pas. »[tooltips content= »Le Point du 10/11/2020. Propos recueillis par Sébastien Le Fol et Saïd Mahrane. »](1)[/tooltips] Mais qui peut dire aujourd’hui ce qui « suffirait », et en vue de quoi ? Si les démocraties occidentales sont à ce point en crise, c’est bien qu’elles ne réussissent plus à trouver en elles ce qui rendrait ce qu’elles incarnent audible et surtout « aimable » : quelque chose du même ordre sans doute que ce que Charles Péguy nommait « mystique républicaine »[tooltips content= »Dans Notre jeunesse en particulier : Mystique et politique, Paris, Robert Laffont (coll. « Bouquins »), 2015. »](2)[/tooltips], et dont il n’a jamais donné une définition précise hormis en l’opposant à la politique et en se disant prêt à mourir pour elle, ce qui n’est pas rien. Quelque chose qui ressemblerait de près ou de loin à ce que Tesson trouve encore dans ses voyages : une aventure à hauteur d’homme, sans décapitations ni prêchi-prêcha laïc et républicain. Mais on ne légifère pas en matière d’affects, et aucune loi ne pourra jamais susciter l’élan d’adhésion et d’amour qui dissuaderait certains d’entrer en guerre contre la République. 

Si la lutte contre le séparatisme se révèle être un moindre mal, ce serait un plus grand bien encore de prendre l’initiative d’une séparation qui mettrait un terme à la régression intellectuelle et culturelle qui nous est collectivement imposée. N’avons-nous pas mieux à faire que de consacrer tant de temps, d’énergie et d’argent pour tenter de préserver l’ordre républicain, et convaincre de la qualité de notre mode de vie ceux qui ont décidé de vivre différemment mais surtout pas ailleurs, là où les conditions de vie seraient pour eux plus précaires ? Il serait grand temps que les peuples européens, et tous ceux qui sont dans le monde victimes de la propagande islamique, retrouvent le fil de leur propre histoire et puissent vivre en paix avec ceux des musulmans qui souhaitent sincèrement s’y intégrer.

Notre jeunesse

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est philosophe et essayiste, professeur émérite de philosophie des religions à la Sorbonne. Dernier ouvrage paru : "Jung et la gnose", Editions Pierre-Guillamue de Roux, 2017.

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