Plus de trente ans après sa parution, L’Erreur et l’Orgueil, essai décapant du philosophe conservateur britannique contre ce qu’on n’appelait pas encore la French Theory, est enfin traduit. L’intellectuel tory y tire à boulets rouges sur les prophètes de la déconstruction qui irriguent la gauche moderne (Sartre, Foucault, Badiou). Une charge jubilatoire quoique légèrement surannée.
Relativement peu connu du grand public français, le philosophe anglais Roger Scruton est l’auteur d’une quarantaine de livres portant sur des sujets très divers, dont cinq seulement ont été traduits en français. Le dernier vient de l’être sous un titre (L’Erreur et l’Orgueil) qui édulcore quelque peu l’original anglais (Fools, Frauds and Firebrands, 2015), plus suggestif quant aux errances intellectuelles des plus illustres « penseurs de la gauche moderne ». Telle est en effet la cible de l’auteur dont les analyses, brillantes et caustiques, sont dénuées de ce sens du compromis propre au « conservatisme » culturel et politique dont il est l’ardent défenseur. Considérant que ces penseurs ont sapé les bases de la civilité sociale et intellectuelle qui fut celle de la culture européenne, Scruton ne pouvait se contenter de converser sereinement avec cette intelligentsia, qu’il accuse de s’être continûment fourvoyée en abandonnant toute lucidité critique au profit d’idéologies plus ou moins inspirées par le marxisme. Il s’inscrit ainsi dans la lignée du grand précurseur que fut en la matière Albert Camus (L’Homme révolté, 1951), suivi des quelques réfractaires qui mirent eux aussi en doute la cohérence doctrinale et les bienfaits sociaux de la « pensée 68 » (Aron, Hayek, Revel, Ferry-Renaut).
L’histoire mouvementée de ce livre mérite d’être brièvement rappelée, dans la mesure où elle permet de relativiser la critique majeure qu’on pourrait lui adresser : tirer à boulets rouges sur des penseurs qui eurent leur heure
