Qui va succéder à Richard Descoings à la tête de l’IEP de Paris ? Après le décès brutal de son emblématique patron, l’institution de la rue Saint-Guillaume est en plein processus de recrutement. Un poste envié aux commandes d’un établissement de classe internationale. Et les premières critiques se font entendre sur le manque de transparence de la procédure. D’un point de vue formel, le directeur de l’IEP de Paris est nommé par décret du Président de la République. Cependant il est prévu que les candidats soit auditionnés au préalable par le comité de direction de l’IEP ainsi que par le comité de sélection de la Fondation nationale des sciences politiques, fondation de droit privé qui a la tutelle de l’IEP.
Quatre candidats ont été reçus jeudi 12 juillet par le comité de l’IEP, présidé par Michel Pébereau, ex-patron de BNP Paribas : Hervé Crès, actuel directeur par intérim, Dominique Reynié, politologue habitué des médias et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (proche de l’UMP), Jean-Michel Blanquer, directeur général de l’Enseignement scolaire (nommé par la droite) et ex-recteur de l’académie de Créteil et Gilles Andréani, conseiller-maître à la Cour des comptes.
Mais d’autres candidats déclarés n’ont pas eu cet honneur comme Guillaume Klossa, président du think tank Europa Nova ou Olivier Faron, directeur de l’ENS Lyon. En coulisses, l’Elysée s’agacerait de cette procédure. Pour déminer le terrain, Jean-Claude Casanova, président de la FNSP, a promis que « certains candidats seront reçus » en sus. Le nouveau directeur devrait être nommé à l’automne. Un tel verrouillage est difficile à avaler pour les candidats non auditionnés, sachant que l’Etat assure les deux tiers du budget de l’établissement.
Et ce n’est pas le seul scandale sur l’opacité de l’IEP de Paris. Hasard du calendrier, la Cour des comptes vient de rendre un rapport provisoire sur les finances de Sciences Po dénonçant « un système global non vertueux . Sur la liste des récriminations : le manque de transparence dans la rémunération du comité de direction de l’IEP, la mission Descoings de 2009 sur la réforme du lycée qui a coûté 1 million d’euros à la FNSP, des frais de fonctionnement mal gérés, des profs qui n’assument pas leurs 128 heures de cours… Le rapport final devrait être rendu en septembre.
En décembre dernier, Médiapart avait déjà pointé le montant des primes attribuées au comité de direction : 295 000 euros en 2011 répartis entre dix personnes. Richard Descoings, disait toucher 27 000 euros bruts par mois, hors primes alors qu’un président d’université ne gagne « que » 6000 euros.
Mais Sciences Po a un statut aussi particulier que problématique. Si l’IEP est un « grand établissement » public, il est aussi sous la tutelle de la FNSP, de droit privé. « Une confusion des genres permanente » selon les magistrats de la rue Cambon.
Cette gestion peu orthodoxe tant sur le plan des finances que des nominations est à lier avec le pouvoir qu’a acquis Sciences Po sous Descoings. De 4200 étudiants en 1999, l’IEP de Paris accueille aujourd’hui près de 9600 étudiants, 6 campus des premiers cycles ont été ouverts en province et l’établissement a acquis un grand rayonnement international. Son budget est passé de 40 millions en 1997 à 145 millions en 2010.
Mais l’appétit voire la mégalomanie de Descoings n’a pas servi que l’IEP, il a surtout servi Descoings lui-même. Un de ses plus gros coups, la signature de conventions avec des lycées de ZEP, l’a propulsé à la une des médias, en faisant le spécialiste télégénique de l’éducation. Issu du Conseil d’Etat, grand vivier d’énarques de gauche, ex-du cabinet de Jack Lang, on aurait pu le voir faire carrière aux cotés du PS, mais c’est Sarkozy qui l’a fait entrer sur le devant de la scène politique avec sa mission sur le lycée en 2009. Même s’il a toujours démenti nourrir cette ambition, les rumeurs ont couru sur sa possible arrivée au ministère de l’Education nationale. A l’inverse d’autres directeurs d’établissement prestigieux, Descoings a acquis une surface politique et médiatique sans pareille. Dès lors, l’IEP de Paris est plus devenu un instrument à son propre service qu’un établissement de service public, ce qui explique sans doute une telle opacité dans sa gestion.
Et l’habilité de Descoings dans les hautes sphères n’est pas étonnante. Par sa nature, Sciences Po est au carrefour de tous les pouvoirs. L’établissement n’a pas attendu Descoings pour former toutes les catégories d’élites ou presque : hauts fonctionnaires, conseillers politiques ou cadres des grandes entreprises. Ses enseignants et chercheurs en économie (Jean-Paul Fitoussi, Eric Heyer, Elie Cohen…) ou en science politique (Pascal Perrineau, Dominique Reynié…) sont des habitués des médias. Les trois derniers présidents de la République en sont issus mais seul Nicolas Sarkozy n’a pas réussi à en sortir diplômé. Pierre Moscovici, ministre des Finances, diplômé de Sciences Po, a été prof … à Sciences Po. Cette domination des élites pose parfois problème. En cela, comme le relate Le Monde, la rédaction du rapport de la Cour des comptes a été difficile, puisque que nombres de magistrats y enseignent, sans compter les anciens élèves.
Surtout, à la différence de l’Ena ou de Polytechnique, Sciences Po forme des journalistes. Une façon d’étendre son réseau dans toutes les hautes sphères de la société. Vu comme une « voie royale » vers les écoles de journalisme les plus prestigieuses (comme le CFJ), l’IEP de Paris possède sa propre formation en journalisme depuis 2004. Comme l’a montré Marianne2, l’école a non seulement formé mais aussi employé des journalistes comme enseignants ou intervenants. Parmi les ex et actuels profs : Etienne Mougeotte (ex-Figaro), Nicolas Demorand (Libération), Nicolas Beytout (Les Echos), Thomas Legrand (France Inter), Pierre Assouline, Raphaëlle Bacqué (Le Monde), Michèle Cotta… Pour ne citer que les plus connus.
Bref, il est impossible de faire un pas dans un lieu de pouvoir quelconque sans rencontrer une personne liée à Sciences Po. Et ce n’est pas un hasard si la culture générale a été supprimée du concours d’entrée. Sciences Po n’est plus un lieu de savoir, c’est devenu un lieu de pouvoir, une sorte de dîner en ville géant basé sur l’entre-soi et les privilèges personnels. Et financé par vos impôts.
*Photo : that ambitious girl
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