En ne voulant fâcher personne, la secrétaire d’Etat à l’égalité homme/femme Marlène Schiappa mécontente tout le monde. Malgré quelques rares avancées positives, sa loi contre les violences sexuelles risque de criminaliser la drague sans pour autant sanctionner la montée des agressions sexuelles.
Dans le contexte tragi-comique de cette fin de session parlementaire, sur fond d’affaire Benalla/Macron et de canicule propice à l’échauffement des esprits, le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles ou sexistes porté par la très médiatique Marlène Schiappa a finalement été approuvé à l’Assemblée nationale.
L’allongement de la prescription, une mesure bienvenue
Celle qui vient d’être recadrée par le Premier ministre pour avoir malencontreusement utilisé les moyens de son secrétariat d’Etat afin de promouvoir son dernier livre, s’est félicitée de l’adoption de ce projet de loi dans le cadre de la grande cause nationale du quinquennat : l’égalité entre les femmes et les hommes.
Le texte, voté par moins de 100 députés présents en séance, fait la quasi-unanimité contre lui, à l’exception notable de l’allongement du délai de prescription à trente ans après la majorité pour les crimes sexuels sur mineurs.
Associations féministes et de victimes, oppositions de droite comme de gauche, policiers, juristes, tous dénoncent une loi en partie inapplicable, mélange d’amateurisme et d’effets d’annonce, et très largement amputée des mesures qui l’auraient rendue véritablement novatrice. Exit la présomption irréfragable de non-consentement pour les mineurs de moins de 15 ans. Exit la reconnaissance de l’amnésie traumatique (sujette à débat). Rétropédalage sur le concept fumeux de « délit d’atteinte sexuelle avec pénétration », si proche du viol mais qui, adopté, serait revenu ni plus ni moins à correctionnaliser ce dernier.
Une croisade anti-harcèlement de rue
Bref, il s’agit un texte brouillon et pas franchement révolutionnaire, duquel les principaux acteurs du secteur ont fini par être écartés en raison de leurs nombreux désaccords avec le projet gouvernemental.
Parmi les mesures de ce texte, la création d’un délit d’ « outrage sexuel et sexiste » semble beaucoup réjouir Marlène Schiappa, avec pour objectif la pénalisation du harcèlement de rue. Or, si personne ne peut contester la nécessité impérieuse de combattre l’insécurité endémique vécue par les femmes dans l’espace public – sans que l’on ne souhaite visiblement ni interroger ni nommer clairement les causes réelles de cette régression massive-, les moyens prévus pour cela laissent dubitatif.
A moins qu’il ne prenne l’envie subite à quelque harceleur particulièrement bas du front de venir commettre son forfait au nez et à la barbe d’un fonctionnaire de police ou devant une caméra équipée d’un micro, on imagine mal comment les faits pourront être prouvés, la question de la charge et des moyens de la preuve n’intéressant visiblement pas le législateur. La récente circulation virale d’une vidéo montrant l’agression dont a été victime une femme en terrasse de café à Paris, et dont on a dit qu’elle illustrait la nécessité de cette loi, en prouve en fait l’inanité. Car les images permettent clairement d’identifier des faits de violence (arme par destination, coups, lâcheté des badauds qui font presque regretter que Benalla ne fut pas, là…) mais n’indiquent rien quant aux éventuels propos et comportements outrageants préalables aux faits de violence du présumé harceleur de rue. Sans qu’on ne mette en aucune manière en cause la bonne foi de la victime, remarquons donc toutefois que le dispositif législatif est manifestement inapplicable et inefficace.
Flou comme un outrage sexiste
La loi dispose que « constitue un outrage sexiste le fait (…) d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante [sic], hostile ou offensante [sic] ».
Si les sifflements, regards appuyés, commentaires sur le physique ou autres ne sont évidemment pas mentionnés comme tels dans le texte du projet de loi qui n’a pas osé s’aventurer à ce niveau de ridicule, l’on peut légitimement s’interroger sur l’appréciation de ce qui constitue une situation « intimidante » et « offensante » (« hostilité », on voit à peu près…). L’hyper-subjectivité de ce qui peut paraître intimidant à certain(e)s et pas à d’autres saute immédiatement à l’esprit, tandis que c’est bien le logiciel victimaire qui prévaut dans la qualification idéologique de ce délit. Des sifflements, regards appuyés ou quoi que ce soit d’autre relevant de la drague plus ou moins lourde pourront donc bien évidemment être invoqués par telle ou telle plaignante s’estimant victime, tandis que les agressions sexuelles clairement caractérisables montent en flèche. Sans que leur prise en charge ni le niveau de la réponse pénale ne s’en trouvent accrus.
Egalité ou différences?
Ce qui relève de la civilité et, a contrario, de la hausse des incivilités consécutives à l’ensauvagement de la société, prend sa source dans un défaut global d’éducation, de civilisation en tant que processus de polissage, régression flattée par un hyper-individualisme de masse (dont les revendications communautaristes sont le reflet social). Est-ce à la loi de venir combler en la judiciarisant la disparition de ces principes relevant de l’éducation, des valeurs, de la culture ? N’est-ce pas de facto reconnaître l’échec de ces-dernières ?
Par ailleurs, en intégrant le paradigme moralisateur de l’« offense » ou de l’atteinte à une supposée timidité, le législateur entérine une conception post-moderne très en vogue dans le monde anglo-saxon qui envisage le rapport autrui comme une potentielle intrusion dans la quiétude fantasmée de son identité supposée. Toutes les aspérités du rapport à l’altérité doivent être abrasées, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes d’une matrice idéologique se plaçant constamment sous l’angle de la reconnaissance des différences.
Si c’est un homme qui porte plainte…
La lutte antisexiste reposant par ailleurs sur le postulat salutaire de l’égalité entre les sexes, on voit mal ce qui pourra empêcher un homme de porter plainte s’il se sent atteint dans sa timidité ou offensé sexuellement par la posture provocante et sexy d’une femme avenante. Si bien que le paradigme moral qui prévaut dans ce dispositif est finalement le même que celui qui vante la « pudeur » des femmes, au besoin en les recouvrant d’un voile. Au fond, il s’agit dans les deux cas de se retrancher du désir sexuel des mâles, de ne pas le provoquer, le viol étant la sanction prévisible de l’attitude vestimentaire inverse.
Dans ce schéma, l’Autre est d’emblée posé comme une prédateur ou une prédatrice, un facteur de déstabilisation, un danger potentiel. Or, la lutte contre le harcèlement sexuel sous toutes ses formes nécessite la mise en place de dispositifs réalistes et applicables. Cela requiert aussi des choix sémantiques qui n’enferment pas les rapports hommes-femmes dans une logique moralisante, subjective et victimaire dérisoire par rapport à la cause qu’elle prétend défendre.
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