Paris, un lieu commun
Depuis la publication, le 3 janvier, dans Newsweek, d’un article sur « La chute de la France », le french-bashing bat son plein. En effet, si, chez nous, ce réquisitoire lourdaud truffé de contrevérités a déclenché beaucoup de sarcasmes, d’ailleurs justifiés, partout ailleurs, il a fait des petits.
L’une des dernières francophobes déclarées est Scarlett Johansson. Invitée au « Late Show » de David Letterman, l’actrice, qui vit sur la rive gauche (de la Seine, of course, quel autre fleuve a une rive gauche ?) depuis quelques mois, s’est plainte avec virulence de la grossièreté et de l’agressivité des Parisiens.
On peut hausser les épaules devant tant de lieux communs (qui a jamais rencontré un Parisien agressif ou grossier ?). Ce serait une grave erreur. Les stéréotypes, les préjugés, les clichés qui jaillissent, d’un bout à l’autre de la planète, quand le mot « France » est prononcé, contribuent à la richesse nationale. Ce sont des points de PIB.[access capability= »lire_inedits »] Encore faut-il qu’ils soient flatteurs – donc mensongers, le réel ne se vend pas très bien ces temps-ci. Si des centaines de millions d’êtres humains croient que Paris est romantique, qu’une fête sans champagne n’est pas une fête et que la France est la terre des droits de l’homme, on le doit à l’invisible propagande assurée par l’industrie du divertissement et des médias qui ont pris le relais des arts et de la littérature. Certes, Voltaire se promenant dans toutes les cours d’Europe, ça avait une autre allure, mais, qu’on me pardonne d’être aussi prosaïque, Amélie Poulain et Chanel, ça se vend encore pas mal. D’innombrables romans, pièces, films ont construit une France imaginaire et un Paris en carton-pâte. Le mythe est peut-être de plus en plus kitsch, mais il crée des emplois.
Or, aujourd’hui, ces images d’Épinal, représentations mentales qui embellissent le réel aux yeux des étrangers s’effacent. Combien de temps le charme de Midnight in
Paris résistera-t-il aux déclarations fracassantes de Scarlett Johansson, aux imprécations de Maurice Taylor, le PDG américain qui s’en prend régulièrement aux syndicats français ou aux saillies du maire de Londres qui ne rate jamais une occasion de moquer la France ? En Europe et en Amérique, l’image de la France a de beaux restes : on n’efface pas des siècles d’art et de littérature en un tournemain. Mais les représentations de notre pays que se font les Chinois et les Indiens – soit presque un tiers des habitants de la planète – doivent bien moins à Molière et Truffaut qu’aux accès de fièvre numérique causés par les aventures de DSK, les amours de nos gouvernants… ou les pickpockets du Louvre. Soudainement patriotes pour dénoncer l’arrogance des french-bashers britanniques ou américains, les journalistes français devraient se demander si les clichés, parfois, ne recèlent pas un peu de vérité. À moins, bien sûr, que les récits de touristes chinois qui se font dépouiller dans les musées ou le métro parisiens relèvent de la pure calomnie.
Ces attardés n’ont jamais dû entendre parler du « sentiment d’insécurité ». L’ennui, c’est que ce fantasme finira par nous coûter cher.
Gil Mihaely
Pas ça, patois !
Notre Premier ministre vient de rappeler son souhait de voir la France ratifier la Charte européenne des langues régionales. Si la chose se faisait, on doterait les communautés linguistiques de droits spécifiques, tandis que les langues vernaculaires de notre pays deviendraient des langues de justice et d’administration locales.
Seulement, pour l’instant, la Constitution ne connaît que le peuple français. Et la seule langue commune à tous les Français est naturellement la seule langue officielle de la République, de son administration et de ses services publics. La justice en France n’est rendue qu’au nom du peuple français, donc dans sa langue. Les choses sont bien faites…
Mais non, il nous faut la Charte. Halte à l’oppression jacobine ! L’itinérance en France ressemblera, demain, à un voyage initiatique où le dépaysement sera linguistique, du guichet de la gare à la salle du tribunal. On s’amusera bien quand chacun pourra exiger que le fisc lui réclame son dû dans le dialecte de son choix ou crier à l’injustice si un policier lui réclame ses papiers en français. D’aucuns s’interrogeront sur les difficultés de communication qui ne manqueront pas de naître entre les sociétés locales ressuscitées. Esprits chagrins ! Il suffira d’être polyglotte, ou de recourir à un nouveau service public de traduction, qui se chargera de traduire l’occitan en alsacien, le picard en créole, ou le breton en corse. Le même traitement pourra être étendu aux divers idiomes parlés couramment au-delà du périphérique et aussi au franglish qui a cours dans certains cercles de la capitale.
Certes, il est bon de préserver le patrimoine linguistique de nos régions, par l’enseignement notamment – et d’ailleurs on le fait –, mais il n’est pas moins indispensable de défendre l’unité de la République, en évitant de réactiver les « ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même », comme disait le Général.
Il est piquant de constater que la diversité linguistique de notre pays préoccupe tant le Conseil de l’Europe quand l’Union européenne, de son côté, marche à grands pas vers l’unilinguisme anglophone. Décidément, quelque chose ne tourne pas rond sur ce continent.
Reste à comprendre pourquoi Jean-Marc Ayrault a cru bon d’ouvrir ce dossier miné, nul n’ignorant que cette réforme absurde n’aura pas lieu. On voit mal François Hollande lancer une révision constitutionnelle qui aurait toutes les chances d’échouer. Après tout, si nos gouvernants disent des bêtises plutôt que d’en faire, on ne va pas se plaindre.
Alexis Jouhannet
Autofiction à Las Vegas
Chaque mois de janvier, le Consumer Electronic Show de Las Vegas, le plus grand salon d’électronique grand public du monde, présente des nouveautés toujours plus « révolutionnaires ». Sauf qu’en marketing, la prise de la Bastille ou la chute du Mur ne surviennent pas tous les quatre matins, quoi qu’en disent les bataillons de technico- commerciaux mobilisés pour expliquer que notre vie va changer grâce aux cyber-brosses à dents connectées aux toilettes intelligentes.
Si le CES a fait découvrir le magnétoscope en 1970 et le CD quatre ans plus tard, qui se souvient des fabuleuses disquettes Zip, de l’ordinateur de poche Apple Newton et autres babioles high-tech qui devaient toutes bouleverser notre vie quotidienne – pour le meilleur bien sûr. On est donc bien obligé de se poser la question à 1000 bitcoins : quel sera le destin du produit vedette de cette édition 2014, et d’ailleurs des cinq ou six précédentes, à savoir la voiture sans chauffeur ? En route pour la gloire ou pour la casse ?
Les technoptimistes y voient, bien sûr, le signe annonciateur d’une nouvelle ère. Finis les millions de milliards d’heures de travail, voire de plaisir perdues sur la route.
Libérés du stupide esclavage du volant et de la pédale de frein, le ci-devant conducteur pourra surfer, twitter, s’ennuyer ou se livrer à d’autres activités que la morale réprouve en toute sécurité et pas seulement dans les bouchons ; d’ailleurs, grâce aux voitures connectées, il n’y aura même plus de bouchons. What A Wonderful World, comme l’ont chanté Louis Armstrong puis les Ramones. Les technosceptiques remarqueront, pour leur part,
que cela fait des décennies que les inventeurs fous nous promettent la voiture sans chauffeur pour l’an prochain.
Que l’annonce soit cette fois-ci faite par Toyota – premier constructeur mondial – et pas par un quelconque savant Cosinus ne change rien à l’affaire : tout ça n’est que de la promo pour gogos, ces autos du futur n’ont pas vocation à nous véhiculer, mais à nous rouler.
Le pessimiste pur et dur, lui, croira mordicus à l’avenir de cette nouveauté. Pour mieux pointer les dégâts qu’elle causera. En Europe, aux États-Unis, dans le tiers-monde, conduire des autos, des camions ou des bus donne du travail à des dizaines de millions de bonshommes. Est-il si urgent que ça de les envoyer rejoindre la grande armée des sans-emploi ? De plus, une fois privés de revenus, où trouveront-ils l’argent pour s’offrir la dernière nouveauté de Toyota ?
Bref, plus il y aura de voitures sans chauffeur, plus il y aura de chômeurs sans voiture.
Marc Cohen
Le sexe rend plus intelligent
Oubliez la méditation, les études laborieuses, la maîtrise de l’informatique ou l’apprentissage d’un instrument de musique : parce qu’il favorise la croissance des cellules du cerveau, l’acte sexuel rendrait plus intelligent ! Enfin une bonne nouvelle !
Des chercheurs de l’université du Maryland ont montré que des rats d’âge moyen augmentent leur fabrication de neurones dans l’hippocampe, zone du cerveau dédiée à la mémorisation, si leurs rapports sexuels sont plus fréquents. Malheureusement, l’effet s’arrête si l’activité sexuelle est stoppée, d’où l’intérêt des cours du soir, de la formation continue et autres séances de rattrapage.
Il en est de même pour les personnes âgées : une étude récente montre que celles qui souffrent de déclin cognitif léger, porte d’entrée potentielle dans la maladie d’Alzheimer, ont deux fois moins de rapports sexuels que les autres (32,5% contre 62,5 %).
Le mythe selon lequel la testostérone rendrait les hommes stupides s’effondre donc.
On a certes montré que le taux de cette hormone mâle est inférieur à la moyenne dans la salive des adolescents les plus doués, et qu’ils perdent en général leur virginité plus tardivement, mais il en est de même pour les plus stupides et le lien est surtout établi avec la réussite scolaire et non avec le quotient intellectuel.
En revanche, l’addiction à la pornographie serait nocive pour le cerveau, selon des scientifiques du Texas – État réputé le plus gros consommateur –, immédiatement contredits par une équipe de Los Angeles qui a, elle aussi, planché sur le « X », dont Hollywood est le principal fournisseur. Des chercheurs allemands de l’université de Duisburg-Essen montrent néanmoins la moins bonne mémoire de travail lorsqu’il s’agit de se souvenir d’images pornographiques. Les liens entre émotion et mémoire en matière de désir amoureux avaient déjà été constatés par Dante dans La Divine Comédie. « Car en s’approchant de son désir notre intellect va si profond que la mémoire ne peut l’y suivre », ou dans une traduction moins littérale : « J’ai perdu la tête, depuis que j’ai vu Suzette. » Le poète perd la tête lorsqu’il aperçoit enfin sa Béatrice dans la lumière du Paradis.
Mais il est vrai qu’ils n’avaient pas encore consommé ! Seul l’acte sexuel véritable peut donc être pris en compte !
Bill Clinton, déjà bien renseigné, avait-il pressenti ces futures données de la science lorsqu’il tenta avec héroïsme d’améliorer ses performances intellectuelles avec une accorte stagiaire de la Maison Blanche, Monica L. , avant un entretien avec Yasser Arafat ?
Notre Président a-t-il voulu, lui aussi, porter son cerveau à incandescence, le rendre turgescent en redoublant d’activité pour sauver avec abnégation la Patrie de la crise ? Les effets semblent déjà perceptibles et les commentateurs de sa dernière conférence de presse ont unanimement constaté une évolution de sa pensée. Certains le disent plus à droite, ce qui sera diversement apprécié sur le plan qualitatif selon les sensibilités. Dans un film de Woody Allen, un farouche républicain guérit d’un caillot de sang qui lui obstruait le cerveau et devient… démocrate. Le titre ? Tout le monde dit I love you.
Ainsi va la science !
Pierre Lemarquis
Le roi de Pakumotu
On parle souvent d’« État dans l’État », mais on ne le voit jamais. Pourtant, en cherchant bien – et en voyageant loin –, on en trouve, y compris chez nous. La Polynésie est une collectivité d’outre-mer, de qualité française, où les peintres de Pont-Aven et les poètes belges viennent trouver la paix. Papeete, Tuamotu, Marquises… La végétation luxuriante, la beauté des femmes, le soleil qui a été forgé par les Polynésiens à leur propre usage…
Dans ce joyau pacifique, un homme de tempérament s’est récemment autoproclamé « roi de la République de Pakumotu ». Son altesse sérénissime Athanase Teiri, 59 ans, retraité de l’Éducation nationale, a également émis une monnaie à son image – le « patu » –, à destination des sujets résidant dans son royaume. Dans l’indifférence totale des médias métropolitains, s’est ainsi rejouée l’histoire d’Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad ou, si vous préférez, d’Apocalypse Now, mais sans éléphants ni GI : on est en Polynésie, rappelons-le.
N’empêche, l’ordre établi veille : le tribunal correctionnel de Papeete vient de condamner le roi pour « mise en circulation de fausse monnaie ». Le souverain – cultivant un royal mépris – n’est pas venu à l’audience. Il était représenté par quelques-uns de ses ministres et par son porte-parole, qui a estimé « caduc » ce jugement, en soulignant que sur les terres d’Athanase Teiri, la France n’avait plus autorité.
La chaîne de télévision Polynésie Première nous apprend que les « Pakumotu » sèment le trouble depuis des mois, occupent illégalement des terrains publics et diffusent, en plus de leur monnaie, toutes sortes de pièces administratives, y compris des permis de conduire. Mieux encore, le souverain a émis à l’encontre de certains de ces personnages officiels des « mandats d’arrêt »… Jusqu’où tout cela ira-t-il trop loin, comme dirait le poète ? Le ministre de la Défense du royaume de Pakumotu a prévenu sans rire qu’une armée était en train de se constituer…
Dieu seul sait où le roi conduira ses ouailles… Mais, sous le soleil polynésien, ce sera forcément au paradis.
François-Xavier Ajavon
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