On connaissait déjà Jérôme Leroy comme auteur de polars haletants. Et comme polémiste redoutable. Et comme amateur de Ray-Ban et de plages hellènes. Et comme stalinien schizophrène, hussard stylé et àquoiboniste égaré dans un monde qui le révulse. Il était difficile de ne pas l’aimer, non pour ses convictions, mais pour son goût. Rares sont les écrivains qui ne commettent jamais une faute de goût. Et il en faisait partie.
Merde ! J’ai soudain l’impression de rédiger sa nécrologie. Sans doute contaminé par son dernier livre Sauf dans les chansons où les nécros se succèdent à un rythme d’enfer : la mort y est omniprésente, pas toujours joyeuse, mais si mélancolique qu’on se prend à la guetter et à la savourer. Avec Jérôme Leroy, et c’est là qu’il est exceptionnel, rien ne pèse. Il est comme ce crooner des années soixante-dix, C. Jérôme, qui était le souvenir vivant des premiers slows pour des milliers d’amants. Il avait un amour vrai pour les gens. Et Jérôme Leroy se demande s’il n’aurait pas mieux fait d’être C. Jérôme, finalement.
Il se demande aussi pourquoi il prend du poids, pourquoi il perd son souffle, pourquoi il cherche celui qu’il était dans le noir et blanc des films de Godard. Il sait qu’il est arrivé à l’âge où l’on ne voit plus dans le regard des autres que le reflet de sa propre mort. Alors, il donne rendez-vous à ses chers disparus et, avec une douceur exquise et cruelle, s’apprête à partir pour la plage avec Homère et Melina Mercouri pour se baigner une dernière fois, attendre la métamorphose de ne plus jamais être perdu de vue par l’horizon. Rarement aussi peu de prétention n’aura été mise au service d’une telle qualité d’émotion. Ne te noie pas, mon cher Jérôme. Ou si tu le fais, entraîne-nous avec toi pour un dernier slow…
Sauf dans les chansons, Jérôme Leroy, La Table Ronde.
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