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Saucer, c’est tromper?

"La cuisine du 6ème étage" est le meilleur livre de la rentrée


Saucer, c’est tromper?
Paupiettes. CHASSENET / BSIP / BSIP VIA AFP

La cuisine du 6ème étage, le meilleur livre de cette rentrée, est signé Nathalie George et ce n’est pas un roman.


Contrairement à ce que prétendent les critiques littéraires ou gastronomiques, ils sont les esclaves de leurs émotions basiques. Ils essayeront de vous embobiner, d’enrober leurs goûts par une argumentation précieuse et ridicule, de passer pour plus fins ou érudits qu’ils ne le sont en réalité. Ne les écoutez pas ! Ces gens-là mentent, ils ne maîtrisent rien, ne fomentent rien, ils suivent seulement leurs désirs contradictoires en s’y soumettant totalement. Il n’y a pas plus de logique dans leur sélection des livres de la rentrée que dans l’élaboration d’un plan sanitaire. La confusion est l’option la mieux partagée au monde, surtout en temps de pandémie.

L’appel des sauces

Je n’ai pas pu résister à ce livre rouge des éditions Herodios, à la verticale, posant fièrement dans une librairie parisienne, sorte de campanile au milieu des fadaises habituelles. Tout m’a séduit chez lui, sa mise jésuitique et sa sobriété protestante, sa mine gourmande et son style « vieille France » dans le côté damassé. J’en ai fait mon missel de l’automne. Il s’imposait par la clarté de son propos et ouvrait mystérieusement les vannes de la nostalgie. J’étais piégé par cet appel de la chair et des sauces (les oubliées du XXIème siècle), enfin des recettes à hauteur d’hommes et de femmes avec cette force d’entraînement qui s’appelle le partage.

J’ai su, avant de l’ouvrir, que son contenu m’enchanterait, me ferait partir très loin, dans les années 1970/1980, dans une cuisine berrichonne où l’on préparait le coq au vin et, où le fromage de tête animait les discussions du dimanche midi. Avoir eu des grands-parents, marchands de vin, de grands oncles tripiers, toute une lignée d’honnêtes mangeurs, a placé très tôt la nourriture au centre de mon existence. Il suffit encore qu’on prononce devant moi, les mots « œufs en meurette » pour que je défaille. Je ne réponds plus de rien. D’abord, ce titre La cuisine du 6e étage, sous-titré « Du piano au réchaud ! » est un miracle d’équilibre. Une saisie parfaite. Observez attentivement cette titraille qui ne fait pas de la retape, elle ne gonfle pas les pectoraux, elle n’a pas vocation à nous instrumentaliser, seulement à nous conter une expérience de vie. On comprend déjà tout en lisant cette couverture, que dans cette ascension des étages, il y a une forme de déclin social, que l’on a connu jadis les belles tables décorées et, qu’aujourd’hui, on ne renoncera pas au « bien manger » même si l’aisance financière s’est fait la malle. Sans se plaindre, sans larmoyer, sans se victimiser, Nathalie George nous dispense une leçon de vie, hommage à sa grand-mère Gigi, l’inspiratrice et à son mentor, Joël Robuchon, le chef qui fit de sa purée de pommes de terre, un art majeur.

Le grimoire de Gigi

Après une chaleureuse préface de Yannick Alleno, ce livre de recettes et aussi guide alimentaire (sans les effroyables injonctions diététiques et moralisatrices qui vont avec) nous rappelle que la cuisine « au-delà d’une nécessité est une école de vie ». Dans les pas de l’immense Robuchon, Nathalie George veut transmettre et rendre la cuisine accessible à tous. Elle décline son menu en trois actes : l’apprentissage (sens, gestes et univers culinaire), la découverte de deux aliments essentiels (les pâtes et le riz) et la cuisine du 6ème étage, comment faire bon et convivial dans une cuisine de poche, sous les toits. En recopiant le grimoire de Gigi, l’auteur soulève la malle aux trésors des goûts enfouis, on se croit à la table du commissaire Maigret, dans une rusticité placide ou, un soir de fête, quand la bourgeoisie savait recevoir et n’avait pas le culte idiot de la chasse aux calories. On passe du « croque-monsieur recette Mamée » au homard à l’armoricaine, des endives au jambon au lapin désossé et farci. Que les amateurs de plats éternels se rassurent, Nathalie George saura vous faire saliver avec ses paupiettes de veau, son bœuf bourguignon ou ses rognons d’agneau à la picarde. Ce livre est un régal car il refuse les modes et les castes. Il incarne pleinement à la cuisine qu’on aime entre amis : les fondamentaux sans chichis, une plongée dans la magnifique cuisine italienne, variété de risottos et éventail de sauces accompagnant les pâtes, puis ce dernier chapitre, quand les fins de mois arrivent plus vite que prévu et qu’on veut tout de même recevoir dignement. Nathalie George trouve dans la préparation des salades, des œufs ou de cette banale et cependant admirable pomme de terre, des ressources pour faire d’un repas, un grand moment de bonheur partagé.

La cuisine du 6e étage: Du piano au réchaud !

Price: 20,00 €

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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