C’était samedi après-midi, sur les coups de 16 heures. Mon mari Willy était parti faire un sit-in de protestation contre le colonel Kadhafi[1. Quand il ne surveille pas la révolution arabe, Willy s’occupe à la lombriculture au fond du jardin. Je pourrais dire que je préfère encore ça à le voir boire. Mais Willy boit aussi. Rien ne le dérange.]. T’as beau être guide de la Révolution de la Grande Jamahiriyya arabe libyenne populaire et socialiste, t’en mènes pas large quand tu sais qu’à 2 000 kilomètres à vol d’oiseau trente écolos allemands passent leur après-midi à s’asseoir contre toi. Tu ne peux pas t’empêcher de penser à Rommel et à ses boys. Parlant gigolos teutons, une envie subite vint à tromper mon ennui : mater de beaux mecs. Des vrais, pas des chochottes. Des tatoués, des virils, des légionnaires. Ma came virtuelle, c’est le criminel balafré, l’ex-taulard, le repris de justice. Avec un truc si maousse que tu en oublies jusqu’au calendrier des dieux du stade. J’ai donc fait comme n’importe qui : je suis allée sur le site du Figaro, histoire de voir si l’une ou l’autre photos d’Eric Zemmour n’y traînait pas. Rien. A peine quelques poses de Jean d’Ormesson claquant de chastes bises à Ivan Riouffol. C’est pas la peine, Zemmour, d’entrer dans un tribunal et d’en ressortir avec le costard de plus grand délinquant du siècle, faut assurer après.
De dépit, j’étais sur le point de googliser le slip kangourou de Boris Boillon (il a dû avoir sa période chiraquienne, le diplaymate), quand la « une » du site du Figaro m’arrêta. Un titre : « Un remaniement a minima annoncé dimanche soir ». Une photo de MAM légendée : « Le départ de Michèle Alliot-Marie est acté. Reste le plus dur pour le chef de l’Etat : lui annoncer car « elle n’est pas du tout dans cette disposition d’esprit ». » Et le journaliste, Charles Jaigu, de rapporter les propos d’un proche de l’Elysée : « La décision étant prise de congédier Michèle Alliot-Marie, il paraît impossible de la laisser partir pour Genève le lundi, où elle doit retrouver Hillary Clinton. »
Les bras m’en sont tombés. J’ai d’abord pensé à Michèle Alliot-Marie. Elle est congédiée, licenciée, virée et on ose parler de « remaniement a minima ». La giga-catastrophe, plutôt. Vider les armoires, préparer les cartons, faire les valises – de quoi y passer tout un week-end. Les journalistes du Figaro n’ont-ils donc aucun sens des réalités ? Qu’ont-ils alors dans la tête ? Ils pensent que MAM ne lit pas la presse à l’exception des pages consacrées à l’immobilier tunisien ? Ils pensent que son petit cœur ne saigne pas quand elle lit, sous la plume d’un éminent journaliste, qu’elle est un peu mal-comprenante, voire tout à fait con ? Ils croient que ce n’est pas une mesure vexatoire d’être remplacée par ce chauve de Juppé, alors qu’elle a dépensé toute sa carrière en chiraquisme et en produits L’Oréal ? Ne le valait-elle pas ? Et puis, ce voyage à Genève, lundi, pourquoi l’annuler ? Il ne coûte rien à la France, vu que le vol est pris en charge par Tunis Air Line. Non, il n’y a pas de justice. L’autre jour, c’est le prix du « colonialisme » qu’on lui remettait. Aujourd’hui, c’est à la colonie pénitentiaire qu’on veut l’envoyer. Ah ! Ça vous apprendra à vous occuper de vos vieux parents plutôt que de les abandonner, grabataires, à l’hospice.
Mine de rien, songer aux affres mamesques, ça peut vous prendre toute une journée. Comme je n’étais pas en jambe, c’est vers Nicolas Sarkozy que mon esprit a volé. La crise économique, le G20, la résolution du conflit géorgien : tout ça n’est que peau de balle pour le président français, comparé à l’affaire MAM. Il a bien pensé, je suppose, à lui envoyer un SMS : « Tu te casses, j’annule rien. » Il a pensé également, je présume, à faire écrire par Henri Guaino un petit mot d’excuse. Peste, variole, mort subite du nourrisson. Non, rien n’y fera : il devra affronter MAM. Il devra la recevoir à l’Élysée ou à la Lanterne pour lui expliquer que, décidément, il n’y a plus rien à faire et que tout est fini. Elle ne l’entendra pas. Car, sitôt arrivée où on la convoquera, elle sera déjà en train de faire la vaisselle ou de passer l’aspirateur (faut pas compter sur l’autre, qui ne fait rien que de chanter des chansons quand elle ne s’acharne pas sur le cadavre encore chaud de Charles Trenet). Et le président de la République de lui dire : « Michèle, il faut en finir. » Et elle de lui répondre : « J’ai pas fini de passer l’aspirateur. » Puis, comme un malheur n’arrive jamais seul, Patrick Ollier débarquera dans la pièce, élégamment sapé d’une livrée Louis XVI, une fourchette dans la main gauche, du blanc d’Espagne dans la droite : « Je finis l’argenterie et j’attaque les cuivres. » Non, décidément, être président de la République en France n’est pas un métier de tout repos. Je me demande parfois s’il ne vaut pas mieux être guide de la Révolution de la Grande Jamahiriyya arabe libyenne populaire et socialiste.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !