La seule séquence politique que les médias ont retenu du meeting de Valérie Pécresse du 3 avril ? Les sifflets adressés par des militants à Nicolas Sarkozy! L’ancien président est suspecté de manœuvrer en coulisses, pour peser sur un éventuel second mandat d’Emmanuel Macron. L’analyse de Philippe Bilger.
Nicolas Sarkozy a été sifflé à deux reprises lors du meeting de Valérie Pécresse le 3 avril au Parc des expositions à la porte de Versailles.
La candidate LR, politiquement et techniquement avec un verbe infiniment plus maîtrisé, a fait oublier le fiasco du Zénith. Nicolas Sarkozy – une première pour lui – a été hué et c’était selon moi tout à fait normal. L’étonnant est que cette hostilité ne se soit pas manifestée plus tôt tant le sadisme de l’ancien président a été odieux à l’égard de la candidate de son camp.
Sifflera bien qui sifflera le dernier
Il aurait, paraît-il, d’abord jugé dérisoires ces sifflets « qui n’entament en rien… sa reconnaissance pour ceux qui l’ont toujours soutenu ». Ensuite, devant un cercle restreint, il aurait été pris « d’une colère froide », scandalisé que son parti ait pu le traiter ainsi. Pourtant, le parti LR, ainsi que la candidate victorieuse au Congrès, sont profondément masochistes puisqu’ils ont éprouvé le besoin de rendre des hommages indus à Nicolas Sarkozy pour lui faire oublier l’affront de ces manifestations hostiles. C’est un comble alors que, si on sentait le risque de coups fourrés, on n’osait pas penser qu’il pousserait la provocation jusqu’à obstinément se taire publiquement, tout en la dénigrant en privé.
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Valérie Pécresse a commis une double faute. D’abord, elle a trop parlé de Jacques Chirac. C’était inutile compte tenu de la passivité majestueuse de celui-ci dans ses dernières années de pouvoir. Il s’appliquait à l’évidence à lui-même le principe de précaution : il ne bougeait pas, il ne bougeait rien. Mais la seconde était impardonnable : elle n’a pas assez flatté Nicolas Sarkozy, elle ne lui a pas assez baisé les babouches. Avant d’être un homme d’Etat, Nicolas Sarkozy est un homme, avec sa vanité, ses humeurs, ses susceptibilités et ses exigences personnelles. D’abord le culte de soi, et que personne n’oublie ce caractère prioritaire, il convient de le favoriser le plus possible !
Valérie Pécresse a manqué de discernement en supposant que les convictions, la fidélité au camp et à la cause, le refus d’être assimilé si peu que ce soit aux transfuges de dernière extrémité, à ces personnalités de droite inventant un Macron pour les besoins de leur futur, seraient décisifs et auraient pour conséquence un soutien explicite en sa faveur. Même en jugeant moindre l’influence de Nicolas Sarkozy, une telle prise de position aurait eu cependant du poids.
Valérie Pécresse n’a pas été assez attentive, par ailleurs, au fait que de l’autre côté il y avait un président d’une habileté diabolique qui a su jouer de toutes les gammes de sa séduction et de ses flatteries pour donner à Nicolas Sarkozy l’impression qu’il aurait toujours un rôle capital à jouer. Comme elle était apparemment républicaine, cette connivence entre l’ancien et le nouveau, le passé et le présent, mais pourtant dévastatrice pour la stratégie de LR, sans compter l’inféodation de Christian Jacob à Nicolas Sarkozy !
L’inventaire Sarkozy
Au regard de ces psychologies, Valérie Pécresse était perdue. Paradoxalement, elle aurait pu tenter une attitude de révolte voire de provocation, en rappelant Nicolas Sarkozty à l’honnêteté politique. Voir un Renaud Muselier donner des leçons de fidélité à LR à la suite des sifflets contre Nicolas Sarkozy serait franchement comique si ce n’était pas saumâtre ! Facile de deviner de quoi l’avenir sera fait, si on veut bien suivre les abstentions cousues de fil blanc de Nicolas Sarkozy !
Mais avant, peut-être faudrait-il accepter de questionner l’aura de celui-ci au sein de la droite républicaine. Interrogation d’autant plus légitime que certains, à la suite des récentes palinodies, n’ont pas hésité à soutenir qu’il conviendrait de passer à autre chose, sans Sarkozy…
L’inventaire sarkozyste est vite fait. D’abord, un jeune homme de droite avec du talent et de l’ambition. Un bon maire de Neuilly mais qui aurait pu échouer dans la gestion de cette ville ? Un ministre actif et compétent, notamment pour son premier mandat à la place Beauvau. Une passion du pouvoir l’ayant conduit à trahir Jacques Chirac au profit d’Edouard Balladur comme celui-ci avait trahi Valéry Giscard d’Estaing pour François Mitterrand. Une obsession présidentielle étant parvenue à se réaliser en 2007 après une campagne éblouissante, jamais égalée depuis, suivie par un mandat excité, volontariste, guère exemplaire. À la fois faisant honte aux citoyens par certaines de ses attitudes mais incroyablement efficace sur le plan européen et la gestion des crises. Un quinquennat décevant mais qui par comparaison mériterait d’être revisité.
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Son rôle négatif, ensuite, dans la reconstruction de de la droite, son refus d’être si peu que ce soit mis en cause. La multitude de ses « casseroles » judiciaires, sa haine contre-productive des magistrats. Sa défaite cinglante à la primaire de la droite et du centre. Son envie de continuer à peser, avec une fausse absence et une présence influente. Avec Christian Jacob, spéculant trop longtemps sur un impossible François Baroin.
Viles flatteries macronistes…
Puis Valérie Pécresse et l’abandon de celle-ci. Et Emmanuel Macron roué et flatteur toujours dans son paysage. Ce n’est pas que cet inventaire de la carrière de Nicolas Sarkozy soit globalement négatif mais il n’est pas éblouissant au point de justifier l’enthousiasme qu’il a suscité au sein de son parti. Notamment pour ce qu’il a fait advenir de la droite républicaine qui étrangement s’entiche de « parrains » qui l’ont fait perdre plutôt que de personnalités qui n’ont démérité ni sur le plan de la morale ni sur celui de l’action politique.
Il est clair que Nicolas Sarkozy, spéculant sur un second tour opposant le président sortant à Marine Le Pen, pourra, de manière « républicaine », inciter les électeurs à voter en faveur d’Emmanuel Macron en espérant pouvoir jouer un rôle influent lors de la préparation des élections législatives, du choix des circonscriptions et peut-être de la désignation du futur Premier ministre. Il ne serait pas non plus inconcevable, en poursuivant le processus de sa désaffection à l’égard de son parti qui n’a cessé de l’adorer sans jamais le brûler, qu’il aille plus loin en mettant la main dans l’éclatement de LR et en en embrigadant une partie au service du président.
Que j’invente ou non cet avenir, dans tous les cas les manœuvres, la désertion de Nicolas Sarkozy n’auront de sens que si le président sortant est réélu. S’il ne l’est pas, il aura trahi Valérie Pécresse et joué d’une proximité délétère avec Emmanuel Macron pour rien.