Ça y est ! Cette fois-ci, il est fait aux pattes. Il ne s’en relèvera pas. Nicolas Sarkozy, même pas encore revenu en politique, serait-il déjà hors-jeu ? Comme au bon vieux temps de Clearstream, des sous-marins de Karachi ou de l’affaire Bettencourt, le buzz politico-médiatique ne laisse aucun doute : les écoutes téléphoniques vont inévitablement conduire à la mise en examen de l’ex-président pour « violation du secret de l’instruction » et « trafic d’influence ». La violation du secret de l’instruction, c’est – soit dit en passant – exactement le délit commis par les journaux qui ont publié lesdites écoutes. Oui mais, quand la presse viole le secret de l’instruction, c’est parce que « le droit à l’information est une exigence démocratique », rappelle Edwy Plenel, le patron de Mediapart. Quand Sarko fait la même chose, c’est pour servir ses intérêts. En l’occurrence, essayer de savoir si la Cour de cassation va ou non lui rendre ses agendas saisis par la justice, et pouvant contenir des renseignements explosifs sur ses diverses casseroles judiciaires. L’autre incrimination est plus infamante : « Trafic d’influence ». Mais qui est visé ? Est-ce l’ancien président qui, en échange de renseignements sur son affaire, aurait promis à Gilbert Azibert, avocat général à la Cour de cassation, d’appuyer sa candidature à la sinécure de conseiller d’État à Monaco ? Est-ce au contraire Azibert qui est dans le collimateur pour avoir pris contact avec trois conseillers de la Cour afin de tenter d’infléchir leur décision ?[access capability= »lire_inedits »]
Difficile d’y voir clair. Les éléments publiés sont en effet des morceaux choisis d’une synthèse policière de sept écoutes pratiquées depuis septembre 2013 à la demande des juges Serge Tournaire et René Grouman, mais qui ne sont pas encore versées au dossier d’instruction. Seule en dispose officiellement la police judicaire qui les a réalisées. Et il n’est pas interdit de penser que le bon citoyen qui les a fait fuiter a soigneusement sélectionné ce qu’il convenait de révéler dans le cadre de l’« exigence démocratique ».
Mais au fait, comment les deux juges qui enquêtent sur un éventuel financement de la campagne présidentielle de 2007 par la Libye en sont-ils arrivés à la Cour de cassation ? Comment est née cette affaire qui leur donne le droit de farfouiller dans la vie politique et privée du futur adversaire de Hollande en 2017 ?
Tout commence avec un document publié par Mediapart le 28 avril 2012 − à huit jours du second tour de l’élection présidentielle. Selon ce bout de papier écrit en arabe, Mouammar Kadhafi a financé, à hauteur de 50 millions d’euros, la campagne de Sarko en 2007. L’accusation est explosive. Mais deux ans plus tard, elle a fait long feu. L’enquête des juges René Cros et Emmanuelle Legrand, saisis à la suite d’une plainte de Sarkozy, a en effet quasiment établi qu’il s’agissait d’un faux. Ce que pense aussi le parquet de Paris.
C’est dans ce contexte qu’arrive le deuxième événement, qui va formellement déclencher l’ouverture de l’information judiciaire pour « corruption » qui a donné lieu aux écoutes. Il s’agit des déclarations « spontanées » d’un menteur pathologique : Ziad Takieddine. Mis en examen un nombre incalculable de fois dans l’« affaire de Karachi », notamment pour « faux témoignage ». Un beau jour de décembre 2012, il lui prend l’envie pressante de faire des confidences au juge Renaud van Ruymbeke, son juge d’instruction, qu’il traitait jusqu’alors de « malade mental », affirmant qu’il le « ferait condamner en justice » pour ses errements procéduraux. Alors qu’il avait affirmé aux enquêteurs, peu après la publication de la note de Mediapart, que celle-ci était « clairement un faux », il change de tactique et raconte au magistrat ce que celui-ci rêvait d’entendre : « Je peux vous fournir les éléments existants sur le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy » par la Libye. Et ce, précise-t-il, « au-delà de 50 millions d’euros ». Pressé par Van Ruymbeke de donner des preuves, Takieddine se défile. Comme il le fera début 2013, alors qu’il avait promis ces fameuses preuves à au moins trois journalistes. Qui attendent toujours. Des accusations sans le moindre élément de preuve ? Il en faut plus pour dissuader le parquet d’ouvrir une information judiciaire, confiée aux juges Grouman et Tournaire, en avril 2013.
Les juges plastronnent puis battent en retraite Les juges ne traînent pas. Perquisitions, et surtout écoutes téléphoniques de Sarkozy pendant plusieurs mois. Des fois qu’il aurait une conversation compromettante avec Kadhafi (mort depuis plus de deux ans) sur des événements censés s’être produits il y a sept ans ? Qu’importe ! Les éléments recueillis à cette occasion vont permettre d’ouvrir d’autres fronts judiciaires, comme – aujourd’hui – la violation du secret de l’instruction et le trafic d’in- fluence. Et cette instruction-gigogne connaîtra sans doute d’autres rebondissements.
Ce n’est pas la première fois qu’est mis en œuvre cet infernal système à deux temps : recueillir un élément – même non étayé – et, à partir de là, ouvrir une information judiciaire. Qui s’avérera, selon le mot d’un des protagonistes du dossier Tapie, une « machine à faire surgir des délits ». Réels ou imaginaires ? Qu’importe, s’ils font le buzz ! Rappelons-nous, par exemple, de l’« affaire Clearstream », dans laquelle Sarkozy était accusé de posséder un compte bancaire occulte à l’étranger. Ouverte sur la base de faux listings qui ne résistent pas à des vérifications élémentaires, elle éclate au printemps 2004. Ça tombe bien, six mois plus tard, l’UMP doit choisir son président – c’est-à-dire son candidat à l’élection présidentielle de 2007 – entre Villepin et Sarkozy. Les médias s’emparent de l’affaire, Le Point titrant le 8 juillet sur « L’affaire d’État qui fait trembler toute la classe politique ». De quoi dissuader les militants de choisir un président-candidat qui aurait toutes les chances de se retrouver en cabane à brève échéance. Mais le juge Van Ruymbeke garde son sang-froid, et la manip avorte. En 2010, ce sera l’« affaire Karachi ». Un curieux reçu bancaire arrive en mars sur le bureau d’Olivier Morice, l’un des avocats des victimes. Ce document griffonné à la main – qui a bien pu le conserver depuis quinze ans, et dans quel but ? – indique qu’Édouard Balladur a versé plus de 10 millions en liquide sur son compte de campagne en 1995. C’est clair, il s’agit de rétrocommissions provenant notamment de la vente de trois sous-marins au Pakistan. Balladur n’intéressant plus grand monde, c’est évidemment Sarkozy qui est visé. La presse ne s’y trompe pas : « Karachi : l’affaire qui fait peur au président », titre L’Express (6 mai). Un an plus tard, Le Monde note que « l’enquête sur l’affaire Karachi se rapproche de M. Sarkozy ». Six mois encore et, le 25 septembre, en pleine période pré-électorale, Mediapart pose la vraie question : « Sarkozy peut-il encore être candidat ? » Les juges Van Ruymbeke et Roger Le Loir y répondront en 2014 en refusant de renvoyer Sarkozy devant la Cour de justice de la République, faute d’avoir réuni contre lui des « indices graves et concordants ».
Pareil dans l’affaire Bettencourt. En juin 2010, Mediapart publie des enregistrements pirates réalisés au domicile de la milliardaire. On y parle fraude fiscale. La comptable (plus tard mise en examen pour « faux témoignage ») et le majordome de Mme Bettencourt, témoins directs de rien mais lourdement accusateurs, font monter les enchères : financement illégal de la campagne présidentielle de 2007, trafic d’influence, etc. Coup de tonnerre final : l’ex-président est mis en examen en mars 2013 par le juge Jean-Michel Gentil pour « abus de faiblesse ». Contraint, six mois plus tard, de battre en retraite et de prononcer un non-lieu.
Mais une instruction judiciaire qui fait chou blanc n’est pas perdue pour tout le monde ! Évoquant les récentes écoutes de Sarkozy, le Journal du dimanche a rapporté des propos prémonitoires tenus le 17 février par François Hollande à des députés socialistes : « Sarkozy ? Ne vous inquiétez pas, je le surveille. Je sais exactement ce qu’il fait. » Le 13 mars, sur Europe 1, Michel Sapin confirme la déclaration présidentielle avec un désarmant lapsus : « On va continuer à s’occuper des enquêtes de Nicolas Sarkozy… Enfin, les juges vont continuer à s’occuper des enquêtes de Nicolas Sarkozy. » T’as le bonjour d’Alfreud ![/access]
*Photo: STEVENS FREDERIC/SIPA.00553345_000001
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