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Sarkozy, j’achète pas !


Sarkozy, j’achète pas !

Comme l’avait souligné Donald Rumsfeld en son temps, nous sommes un « vieux pays ». C’était l’époque où nous refusions l’idée d’aller mourir pour les actionnaires de messieurs Bush et Cheney du côté de la capitale de Shéhérazade que ces amoureux de la démocratie voulaient raser à coup de missiles thermoguidés. Dominique de Villepin, (décidément la France avait encore une certaine allure) lui avait répondu que c’était justement le fait d’être un vieux pays qui nous rendait un rien circonspect quand on nous invitait à participer à un carnage. Nous en avions trop connu, de départs gare de l’Est la fleur au fusil. « Demain à Bagdad ! » graffité à la craie sur les fourgons militaires, cela avait déjà des airs de déjà-vu…

Être un vieux pays, cela signifie aussi, que nous attachons beaucoup d’importance à la forme, au paraître. Renaud Camus a écrit un Eloge du paraître, dans lequel il nous dit à quel point le « naturel » est haïssable, le « ce qui va de soi », le relâchement dans la tenue, le langage, le rapport à l’autre. Ce genre de choses a toujours paru à nos amis Américains au pire superficiel, au mieux folklorique. Cet attachement aux manières, dans les discours amoureux, politique, artistique, par exemple. Nous aimons, nous Français, la bathmologie, chère à Roland Barthes et, encore lui, à Renaud Camus. La bathmologie est une science plus ou moins amusée des degrés, du contexte dans lequel sont prononcées des paroles, émises des opinions et qui rend la vérité relative, invite à la nuance, la courtoisie, la tolérance, toutes choses qui font par ailleurs de Causeur un lieu français par excellence, comme chacun le sait.

Or, à notre grand étonnement, notre rédactrice en chef, sur le discours de Sarkozy, n’a voulu réagir que sur le fond, écartant dans un geste charmant de désinvolture la question formelle, comme si cette dernière était négligeable. Que le président de la République s’appuyant sur une nouvelle mouture de la Constitution, votée l’année dernière à une voix de majorité, celle du futur ministre d’ouverture Lang, se soit adressé directement aux représentants du peuple réunis en Congrès, et ce pour la première fois depuis 1875, ne l’a pas choquée plus que ça.

Elisabeth Lévy a été prise, oh très brièvement, comment dire, d’un accès de bovarysme politique : elle a voulu y croire, elle a pris ses désirs pour des réalités. Comme Emma à Yonville tombant amoureuse d’un clerc de notaire qui lit de la poésie, comme Emma qui voulait oublier la laideur de sa petite ville, la bêtise de Homais, la vulgarité un peu veule de son mari, elle a voulu oublier tout le reste, les députés et sénateurs au garde à vous, le gouvernement muet, le Premier ministre vidé de toute substance, comme victime d’un sortilège vaudou qui l’aurait transformé en mort-vivant sous nos yeux, pratiquement en direct. Elle a écouté de jolis mots et elle n’a pas eu tout de suite le très sain réflexe de Dalida, dans Paroles, paroles répondant à Alain Delon qui lui sussure des menteries à l’oreille : « Caramels, bonbons et chocolats ».

Heureusement, Elisabeth Lévy, comme dans n’importe quelle bonne série B, s’est réveillée juste à la fin de l’article et, à l’instar des héros de Body Snatchers, a arraché in extremis les plantes parasites qui voulaient prendre possession d’elle et la transformer en UMPiste convaincue.

On a eu chaud, vraiment chaud : quand on connaît un peu Elisabeth, qui n’est pas du genre à se laisser hypnotiser, on commence à trembler devant la force de persuasion du sarkozysme qui n’est pourtant jamais que celle d’un marketing enseigné dans une école de commerce de seconde division mais démultiplié par les ors de la République et la majesté de la fonction présidentielle. C’est là que l’on voit la force de la forme, encore une fois : cette fonction présidentielle, elle a résisté à l’insupportable pipolisation du régime, aux « casse-toi pauvre con », et même au fait que le roi n’ait plus deux corps, un privé, un public, ce qui, selon Kantorowicz, permet au pouvoir de se légitimer, voire de se sacraliser.

Nous, le fond, quand il s’agit de l’actuel président, nous pensons qu’il ne signifie rien. Ce que d’aucuns appellent son pragmatisme, c’est une navigation plus ou moins habile, dans l’intérêt du groupe qui a voulu le voir arriver au pouvoir et dont les historiens pourront retrouver les noms sur la liste des invités du Fouquet’s.

Là, il faut néanmoins reconnaître qu’il a franchi un pas. Nous savions que Sarko l’Américain adorait faire du jogging avec des tee-shirts du NYPD, nous ignorions que cette manie d’adolescent gavé de séries policières le pousserait à vouloir faire son Discours sur l’Etat de l’Union comme un Roosevelt ou un Obama. La prochaine étape, ce sera quoi ? Un architecte d’intérieur à l’Elysée pour transformer le bureau de De Gaulle en salon ovale ?

Finalement, Sarkozy ressemble à ceux qu’il veut transformer en classe dangereuse, son imaginaire est totalement colonisé par l’Amérique. Demandez à n’importe quel éducateur de la PJJ comment un jeune de banlieue passant en comparution directe va appeler le juge. Neuf fois sur dix, il dit « Votre Honneur » et il cherche des yeux une bible pour prêter serment quand bien même il serait musulman.

En parlant devant le Congrès, Nicolas Sarkozy n’a effectivement pas mis en danger la République, même si je suis assez heureux à titre personnel que les députés et sénateurs communistes n’aient pas cautionné la mascarade.

Non, ce qu’il a fait est beaucoup plus triste. Il s’est servi de la République pour satisfaire une obscure pulsion de mise en scène permanente de sa vie comme un film dont le réalisateur ne serait pas le Visconti du Guépard ou le Capra de Monsieur Smith au Sénat, mais plutôt, on a les goûts qui vont avec la gourmette, les tâcherons hollywoodiens qui pondent annuellement des daubes comme Independance Day ou Air Force One, quand le président sous les traits d’Harrison Ford, dézingue des terroristes qui ont pris son bel avion en otage parce que décidément, quand on est hyper-président, il faut vraiment tout faire soi-même.

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Juillet 2009 · N°13

Article extrait du Magazine Causeur



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