Sarkozy, l’homme du passif


Sarkozy, l’homme du passif

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Si François Hollande use et abuse de l’anaphore jusqu’à faire de la figure de style une forme d’auto-persuasion obsessionnelle, Nicolas Sarkozy semble préférer rester sur le mode du questionnement, si possible assassin. « Qu’est-ce qui reste de la longue série d’anaphores : ‘Moi Président’ ? Une longue suite de mensonges. » Invité du journal télévisé de 20 heures et soumis par Laurent Delahousse à son premier « grand oral », après deux années passées en marge de la vie politique mais au cœur des tribulations judiciaires, l’ancien Président de la République assure revenir sans colère, sans peur et sans reproche. « Est-ce que vous croyez que si j’avais la moindre chose à me reprocher, si j’avais peur, est-ce que je reviendrais ?» demande-t-il à un Laurent Delahousse inquisiteur et souriant. « La colère, elle m’a quitté. Aujourd’hui je suis lavé mais qui me rendra mon honneur ? » Avec un sens de la formule et du pathos consommé, Nicolas Sarkozy inverse sans peine les rôles, et d’accusé devient accusateur : « Quand même, quand même, souffle-t-il, presque sur le ton de la confidence, dans quel pays vivons-nous pour qu’un ancien Président de la République soit placé sur écoute ? »

L’exercice médiatique est entendu et le candidat aguerri. Les éléments de langage apparaissent déjà bien en place, ce sont en partie ceux qui ont été développés sur sa page Facebook, vendredi dernier, à l’occasion de l’annonce du grand retour : l’ambition de jouer le rôle de rassembleur – « il faut bien qu’il y ait un leadership », formulée avec des accents presque gaulliens – « la France pour moi, c’est une seconde nature », le retour nécessaire vers la ‘famille’ politique et la résignation un peu surjouée – « si moi je ne fais pas ce travail, qui le fera ? », le discours est bien calibré, la machine Sarkozy est déjà lancée, reste à savoir si elle sera efficace.

Car même si Nicolas Sarkozy sait qu’il a la possibilité de reconquérir une UMP en lambeaux, malgré Juppé ou Fillon, ce n’est pas tant les affaires qui risquent de peser sur son nouvel avenir politique que son bilan présidentiel. Sarkozy, en 2007, pouvait encore se construire une image d’homme neuf et promettre ce changement que la fin sinistre du règne chiraquien rendait si désirable. En 2014 cependant, Nicolas Sarkozy n’est plus un homme neuf, il incarne lui aussi l’usure du pouvoir, au même titre qu’un François Hollande laminé en seulement deux années d’exercice. La présidence Sarkozy ne manquait pas de contradictions et d’incohérences que le déprimant mandat de François Hollande n’a peut-être pas réussi à faire complètement oublier. Aux questions quelquefois dérangeantes de Laurent Delahousse, sur l’incapacité à enrayer la montée du chômage, sur l’augmentation des impôts sous son règne présidentiel, l’endettement de la France, de l’UMP, Nicolas Sarkozy répond par d’autres questions. Il esquive, il tance, il fait mine de s’indigner, il s’accorde le rôle de celui qui a fait le premier face à la crise européenne de 2008 et s’inquiète de savoir si, aujourd’hui, « c’est la crise de la France qui peut faire basculer l’Europe ». Bien qu’il se défende à maints reprises de vouloir polémiquer avec celui que, malgré tout, il désigne déjà comme son futur adversaire, il ne manque pas de décocher quelques flèches empoisonnées à l’encontre de François Hollande : « il est son propre procureur », réplique-t-il avec une perfidie gourmande quand Laurent Delahousse lui rappelle qu’il a pu qualifier le mandat de son successeur de « spectacle désespérant », Nicolas Sarkozy rétorque tranquillement : « Il a dit qu’il était difficile d’être président. Il était temps. »

Pour le moment, Nicolas Sarkozy peut encore se permettre de tirer de loin sur l’ambulance Hollande et de promettre, à nouveau, encore du nouveau. Les propositions restent vagues et ont l’imprécision et la grande allure des déclarations de début de campagne. Il est entendu qu’il faut refonder le modèle français et réformer le système fiscal . La France reste le mauvais élève de l’Europe et l’Allemagne le modèle à suivre, qu’on ne s’avisera pas de critiquer : « L’Allemagne n’est pas un choix, c’est un fait. J’ai un peu honte quand on demande au meilleur élève de la classe de moins bien apprendre ses leçons pour plaire aux moins bons élèves. » Il faut donc prendre exemple et mener, enfin, les réformes nécessaires, explique un Sarkozy qui regarde déjà bien au-delà des primaires. Peu importe, comme le rappelle son interlocuteur, que ces grandes ambitions aient été finalement peu suivies d’effets durant ces cinq années de présidence. Mais il est vrai que l’immobilisme absolu de l’ère Hollande peut redonner au verbe sarkozien cette capacité à convaincre que les mots ont valeur d’actes… Pour le moment, cependant, il faut séduire dans son propre camp, ce qui n’est pas acquis, même si les portes semblent s’ouvrir déjà toutes grandes au sein de l’UMP exsangue. Il y a les concurrents, il y a Fillon qui « n’a pas le culte des sauveurs mais le culte des idées », il y a Juppé qui affirme que le match a commencé et qu’il ira jusqu’au bout. Mais Nicolas Sarkozy ne ferme la porte à personne, surtout pas à lui-même : « On a besoin d’un Juppé et d’un Fillon…Et de beaucoup d’autres. On a peut-être besoin d’un Nicolas Sarkozy aussi. »

Le véritable adversaire cependant n’est réellement évoqué qu’à la fin de ce long entretien de quarante minutes : Marine Le Pen, qui caracole dans les sondages et regarde sans doute avec attention se mettre en place les acteurs de la prochaine grande empoignade électorale, le président déchu et le mal-aimé… Une Marine Le Pen qui « inquiète » tant Nicolas Sarkozy – c’est lui qui répète plusieurs fois ce verbe – qu’il adopte un ton paternaliste à l’égard des électeurs – qu’il considère comme simplement égarés – du côté du Front national. Marine Le Pen, que Sarkozy accuse volontiers d’avoir donné « un sacré coup de main » à François Hollande, est-elle aux portes du pouvoir ? Représente-t-elle un danger pour la France ? « Je veux aller reconquérir ces Français. Je ne pense pas qu’ils croient en Marine Le Pen. Je pense qu’ils ont peur. » Ces électeurs, il faut donc les ménager , les séduire à nouveau mais sans s’engager sur des promesses inconsidérées, comme de rentrer à nouveau dans le débat dangereux du mariage pour tous : « je n’utiliserai pas les familles contre les homosexuels comme on a utilisé les homosexuels contre les familles », avertit Nicolas Sarkozy. Et fort de cette mise en garde, l’ancien président formule des promesses peut-être plus périlleuses, comme de faire du référendum un instrument de consultation et de gouvernement, promesse à propos de laquelle Laurent Delahousse n’a pas eu la malice de rappeler comment fut adopté le traité de Lisbonne, conjurant le funeste référendum de 2005.

Si le nom de Marine Le Pen n’est apparu que bien tard au cours de l’entretien entre Nicolas Sarkozy et Laurent Delahousse, son ombre plane sur le retour en politique de l’ancien président qui se défend de vouloir réinstituer un clivage gauche-droite. C’est pourtant bien tout ce que ses propos traduisent. Cela fait deux ans et demi que Nicolas Sarkozy confie « regarder la France » de l’extérieur : « Je n’ai jamais vu une telle absence d’espoir, une telle colère. » L’ancien chef de l’Etat, qui revient sur le devant de la scène animé d’une telle énergie et d’une telle confiance, semble avoir compris qu’il pourrait rapidement redevenir une des cibles de cette colère et de cette frustration. « Êtes-vous inquiet ? », lui demande Laurent Delahousse. La réponse flirte avec une certaine condescendance : « Je suis inquiet de voir tous ces gens incapables de comprendre un raisonnement qui ne soit pas caricatural. » Le problème de Nicolas Sarkozy est qu’en bon animal politique, il sait que la course au pouvoir mobilise au plus haut degré cette puissance de l’irrationnel dont il a usé à fond, jusqu’à faire descendre la fonction présidentielle dans l’arène dont elle n’est toujours pas ressortie. L’abaissement constant de la fonction jusqu’au niveau de médiocrité où elle est tombée aujourd’hui lui doit beaucoup et l’atmosphère « pré-insurrectionnelle » qui est évoquée sur le plateau du JT de France 2 n’est pas simplement le fait de la crise mais aussi d’une lassitude vis-à-vis d’un personnel politique en manque de vision.

Nicolas Sarkozy a raison de souligner la gravité de la question que lui pose Laurent Delahousse quand celui-ci lui demande si François Hollande terminera son mandat. Mais l’ancien président ne peut s’empêcher pour autant de continuer à se mirer dans le reflet trompeur que lui offrent le régime des partis et l’hyper-personnalisation de la vie politique : « Quand je m’ausculte, je m’inquiète, quand je me compare il peut m’arriver de me rassurer. » La petite phrase, efficace et cruelle, traduit toute l’assurance du lutteur habitué aux empoignades des appareils de parti. Elle révèle aussi tout l’égocentrisme d’une classe politique si obsédée par la conquête éternellement recommencée du pouvoir qu’elle en devient aveugle à tout ce qui n’appartient pas à son univers. Nicolas Sarkozy s’inquiète et se rassure en s’auscultant et en se comparant à ses pairs; mais a-t-il pris néanmoins la vraie mesure de l’examen plus terrible qu’il subira s’il revient au-devant de la scène politique, lui qui affirmait au soir de la défaite de mai 2012, la main sur le cœur : « les épreuves, les joies et les peines ont tissé entre nous des liens que le temps ne distendra jamais » ?

Dans un pays comme la France et au stade de décomposition politique où nous sommes parvenus, il pourrait découvrir que ces promesses-là n’engagent pas seulement ceux qui les croient et peuvent avoir des conséquences plus graves qu’une simple défaite électorale.



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