« On ne peut rien faire. » En votant pour Nicolas Sarkozy, les Français espéraient vaguement en finir avec cette ritournelle. On l’entend de nouveau chantonnée de toute part, de François Fillon, pour qui réforme est synonyme de réduction des déficits et uniquement de cela, à Jean-Claude Trichet, prêt à sacrifier tous les peuples d’Europe pour sauver l’euro, en passant par tous ceux qui ne cessent de susurrer au président qu’il ne faut fâcher ni les marchés, ni les Allemands, ni les Chinois, ni le FMI, ni la Commission, ni le CAC 40, ni Le Monde, ni Canal+, ni France Inter, ni les juifs, ni les musulmans, ni les Noirs… je sais, j’en oublie.
Les seuls qu’on ait le droit – ou même le devoir – de mécontenter sont les électeurs de Sarkozy, plus précisément ses électeurs issus des classes populaires. Ceux qui ont fait la différence en 2007. Il est vrai que beaucoup, avant de se rallier à la promesse volontariste, avaient fait un crochet par le Front national – souvent après avoir abandonné la gauche[1. « Un électeur lepéniste, c’est un communiste qui s’est fait cambrioler deux fois », me glisse un camarade. Ce n’est pas une blague. Ou pas seulement.]. Répondre à certaines de leurs attentes serait donc par nature un crime, tandis que « ne pas leur faire de cadeau » serait en soi une preuve de courage politique, surtout si cela consiste à ne rien faire.
[access capability= »lire_inedits »]Ces intermittents du lepénisme sont un alibi parfait pour poursuivre la « seule politique possible » désavouée par une majorité de Français en mai 2005. On se rappelle la désastreuse opération publicitaire imaginée par Julien Dray sous la forme d’une photo, publiée en « une » de Paris Match, de Nicolas Sarkozy et François Hollande se faisant des mamours sous le drapeau européen. Derrière la comédie de l’affrontement entre la gauche et la droite, on assiste bien à la reconstitution de la ligue dissoute UMPS.
On nous promet pour 2012 un nouveau choc de titans entre Sarkozy et l’un des innombrables candidats de gauche qui, les sondages en attestent, le battront au premier tour. En vérité, le clivage entre ceux qui croient à la politique et ceux qui n’y croient pas passe non seulement dans chaque camp, mais aussi à l’intérieur du cerveau présidentiel. L’ennui, c’est que là, ça penche du mauvais côté. Le volontarisme, c’est une affaire d’affects, de flonflons et de verbe, tandis que la raison incite toujours à la politique de ménagement de la chèvre et du chou. Quand le président affirme haut et fort qu’il ira au conflit pour sauver l’agriculture française, sans doute y croit-il. Nous, on n’y croit plus.
On les voit d’ici, ces conseillers et ces technocrates qui devraient avoir pour mission de transformer la décision politique en réalité administrative, préparer la retraite dès qu’un risque d’affrontement se profile. « Vous n’y pensez pas, Monsieur le président, la chaise vide, c’était une autre époque. Aujourd’hui, la France ne peut rien seule. » Ils l’ont laissé tenir ses discours musclés, à Davos et ailleurs, mais quand il aurait fallu congédier sèchement des « agences de rating » qui se croient autorisées à noter la République française, ils ont organisé la débandade. Par leurs criailleries, ils ont obtenu que le montant du grand emprunt soit compatible avec les exigences de cette police autoproclamée des finances publiques qui, voyez-vous, menaçait de « dégrader » la France, rien que ça, comme elle s’apprête peut-être à le faire pour le Portugal et l’Espagne.
Les euro-béats continuent à peupler nos médias et les couloirs de l’Élysée. Mais derrière chaque recul ou presque, on trouve une merveilleuse invention européenne. Dès qu’il s’agit de préserver la France d’un multiculturalisme qui lui va mal au teint – et qui ne réussit guère à ses voisins –, on en appelle à la future sagesse de la Cour européenne des droits de l’homme qui ne manquera pas, nous dit-on, de condamner la France. « On ne peut pas prendre le risque, Monsieur le président. »
Dans la litanie du renoncement, le « sauvetage » de la Grèce fera date. Voilà des années qu’on nous serine que seule l’Europe unie peut rivaliser économiquement avec l’Amérique et les autres, et elle ne peut que se résoudre piteusement à confier l’un de ses plus vieux membres aux « bons soins » du FMI, dont on peut s’attendre à ce qu’il fasse prévaloir la voix de la raison et des marchés financiers.
On me dira que le rapport de forces est défavorable et que toutes ces chimères politiques sont bien jolies, mais qu’il faut être réaliste. Peut-être. Peut-être sommes-nous incapables de reprendre la main face aux pouvoirs que nous avons mis en place pour nous censurer et, en somme, nous protéger de nos penchants coupables à l’autodétermination. Peut-être les États sont-ils déjà morts d’impuissance. En ce cas, qu’on nous donne du fric, du sexe et des jeux, et qu’on cesse de nous ennuyer avec les élections. Comme spectacle, il y a tout de même plus marrant.[/access]
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