Soyons sérieux (pour une fois). Si Sarkozy tient les médias, eh bien, il les tient mal. D’abord parce que les médias sont, d’une façon générale, mal tenus – n’importe quel téléspectateur peut s’en rendre compte. Surtout, il y a dans ce ressassement quelque chose d’orwellien qui semble échapper à tous ceux qui glosent à l’envi sur cette supposée mainmise : si mainmise il y avait, nul ne pourrait la dénoncer, or tout le monde la dénonce en même temps, ce qui prouve qu’elle est pour le moins imparfaite.
Il faut un certain culot pour prétendre que l’actuel hôte de l’Elysée bénéficie de la complaisance des médias. En réalité, il n’est pas traité avec beaucoup plus d’indulgence que François Mitterrand et Jacques Chirac – une étude fine montrerait sans doute le contraire. Aujourd’hui, on a plutôt le sentiment que le président joue le rôle du bouc émissaire. Le plus navrant est que cette antienne répétitive et envahissante permet de faire l’économie d’une critique pourtant nécessaire de sa politique.
Pour faire carrière, dans le journalisme comme dans le show biz, mieux vaut être en mesure de présenter des états de service anti-sarko. Avoir été viré sur ordre de l’Elysée – en tout cas, prétendre qu’on l’a été –, c’est mieux que la Légion d’honneur[2. Je ne cache pas que je suis un peu vexée : j’ai eu beau enquêter, il semble que ce n’est pas Nicolas Sarkozy qui a demandé ma tête à France Culture.]. Offrons-nous un rapide tour d’horizon. Le service public ne le ménage pas – c’est un euphémisme (au point qu’on peut se demander s’il faut jurer de ne jamais dire du bien du président pour être recruté à France Inter). Inutile d’insister sur Canal + où règne l’esprit du même nom. Sur Europe 1, Jean-Pierre Elkabbach, suspecté, non sans raison d’ailleurs, de sarkophilisme grave, mais récemment débarqué, a recruté un chroniqueur « impertinent » pour lui tout seul : chaque jour que Dieu fait, Frédéric Bonnaud cogne sur « Mon Nicolas » – avec une constance qui peut lasser. Le plus cocasse est que le titre de cette rubrique est « Politiquement incorrect » – dans le genre dénégation, on ne pouvait imaginer plus subtil ; qui d’autre aurait osé évoquer la vie privée du président, le salaire du président, les sondages (mauvais) du président ? Du côté des magazines, on l’a vu, la sarkophilie ne se porte guère mieux. Même L’Express, dirigé par un ami de la première dame, n’est pas toujours tendre. Du côté du Point, où on le trouvait plutôt à son goût avant son élection, on semble partager le désamour de l’opinion pour le chef de l’Etat. Admettons cependant qu’il bénéficie d’une certaine mansuétude de TF1 – encore que –, du Figaro dont on ne s’attend guère à ce qu’il assure la promotion d’Olivier Besancenot, et de la maison Lagardère, notamment de Match et du Journal du Dimanche. Pour un ennemi de la liberté de la presse, le bilan est un peu maigre.
On comprend que beaucoup aient intérêt à accréditer la thèse de la mainmise, dès lors qu’elle permet à chacun d’adopter la posture avantageuse de celui qui tient bon, pauvre David désarmé face au Goliath de l’Elysée. Car quand on explique que Sarkozy contrôle les médias, il faut bien sûr entendre les autres médias. Autant dire que cette fadaise ne résiste pas à une minute d’analyse.
On n’insistera pas sur la responsabilité de l’intéressé dans le sort que lui font aujourd’hui les médias. Sans doute ignorait-il le théorème de Kahn – léchage, lâchage, lynchage. Avec le culot de ceux qui savent retourner leur veste au bon moment, les journalistes lui font payer aujourd’hui le fait de l’avoir tant aimé hier[3. Ce principe souffre évidemment des exceptions. On ne saurait nier à Marianne le privilège de l’antériorité.]. Il est vrai par ailleurs qu’il a un petit côté gamin, notre président : quel besoin a-t-il de se répandre dans les dîners sur le bien qu’il faut penser de mademoiselle Ferrari ? De plus, s’il a vraiment demandé et obtenu la tête de Genestar, c’est regrettable bien qu’humain, mais on a le droit de penser que celui qui cède à une pression est aussi coupable que celui qui l’exerce. Enfin, son amitié avec les propriétaires de grands médias que sont Martin Bouygues ou Arnaud Lagardère est sans doute problématique, même si le contrôle que ceux-ci peuvent exercer sur leurs rédactions est pour le moins limité. Reste qu’au moment où les grands noms de la profession se mobilisent pour leur ami Charles Enderlin, ils sont peut-être mal venus de jouer les professeurs de vertu.
Il n’est pas totalement absurde, pourtant, d’affirmer que Sarkozy tient les médias. Seulement, ce n’est pas tout à fait de la façon que l’on croit, mais plutôt à la manière d’un dealer qui tient ses clients. Il est leur drogue dure, leur obsession. Peu importe qu’ils le révèrent ou le détestent, ils ne peuvent plus se passer de lui. S’agissant d’un personnage qui charrie tant de passions, il serait bien mesquin de rappeler qu’en plus, il fait vendre.
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