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Sarkozy et le coup du niqab


Sarkozy et le coup du niqab

Au conseil des ministres de mercredi, Nicolas Sarkozy, avant d’expliquer qu’il avait opté pour une loi d’interdiction générale du voile intégral dans l’espace public, a rappelé qu’il avait été opposé à celle, de 2004, qui interdisait les signes religieux à l’Ecole publique. Manière de montrer à tous qu’il savait évoluer et qu’il lui en avait fallu, du courage, pour braver l’avis du Conseil d’Etat mais surtout ses propres fondamentaux intellectuels. On ne peut effectivement pas contester qu’il s’agit d’une révolution pour le président de la République. Il y a un an, lors de la venue du président américain sur les plages normandes, il ne contesta pas la vision de Barack Obama, lequel avait critiqué quelques jours plus tôt au Caire les législations interdisant le voile islamique à l’école.

De même, il a fallu qu’un député communiste, André Gérin, mette les pieds dans le plat pour que ce phénomène de société – le développement du port de burqa ou de niqab – soit pris en compte par le président et le gouvernement. Pris de court, le président de la République affirma solennellement devant les assemblées à Versailles que la burqa n’était pas la bienvenue en France. Parallèlement, on demanda aux services d’étudier l’ampleur du phénomène et on apprit en plein cœur de l’été que trois centaines de femmes seulement étaient concernées. Les services de renseignement auraient reçu des consignes claires pour minimiser au maximum, que personne n’en aurait été outre mesure étonné… D’autant que dans la même période, la commission d’enquête réclamée par le député Gérin et ses collègues cosignataires était refusée et transformée en « mission d’information », Mme Morano expliquant que la première formule présentait un caractère trop stigmatisant.

Ensuite, Jean-François Copé entra dans la danse et, porté par le débat sur l’identité nationale provoqué par Nicolas Sarkozy et Eric Besson, réussit à se placer en adversaire le plus résolu du voile intégral. Il y a quelques semaines encore, le Président ne voulait entendre parler ni de loi, mais de résolution solennelle à l’Assemblée, ni d’interdiction générale mais seulement d’une prohibition dans les services publics. Les élections régionales et les enquêtes d’opinion[1. Lesquelles non seulement appuient la thèse selon laquelle l’électorat de droite est, de manière écrasante, d’accord avec Copé mais aussi démontrent qu’en matière de sécurité, d’immigration ou d’identité nationale, les sondés ressentent un décalage entre les mots présidentiels et les actes.] auront eu raison des fondamentaux sarkozystes. Copé a gagné. Non seulement il a tordu le bras présidentiel, mais en plus, ça se voit.

Afin de faire passer la pilule plus facilement au conseil constitutionnel, le gouvernement, par la voix de François Fillon, a fait valoir que le projet de loi s’appuierait davantage sur l’égalité homme-femme et la dignité de cette dernière. Là encore, Copé doit rire sous cape. Lors de l’émission « Salut les terriens » présentée par Thierry Ardisson, il avait quant à lui basé son opposition au voile intégral du point de vue non de la dignité de la femme ainsi vêtue mais de sa gêne personnelle de discuter ainsi avec elle. On se souvient de cette phrase qui porta l’estocade : « Je ne sais même pas si vous me souriez. » C’est évidemment cela qui était en cause dans cette histoire de niqab. En France, la décence commune veut qu’on ne se promène pas nu dans les rues de nos villes. Mais on doit y montrer son visage. On ne montre pas ses attributs sexuels mais on dévoile sa bobine. Ce n’est même pas une question de sécurité, c’est une question de règles minimales de vivre-ensemble.

Pourtant, il y avait une solution qui aurait permis à Sarkozy de vaincre Copé. Cette solution, je ne sais si elle lui a été proposée par tel ou tel conseiller. Mais elle existait et je me propose de vous l’expliquer.

La solution se trouve dans la Constitution de notre République. Pas dans le fameux « bloc de constitutionnalité » qui, depuis le 16 juillet 1971, a détourné le Conseil Constitutionnel de sa mission originelle[5. Le Général avait souhaité cette instance justement pour protéger le pouvoir exécutif du pouvoir législatif.]. Non, dans son texte même et précisément dans son article 34. Tout ce qui n’est pas du domaine de la loi – et cet article en donne la liste précise- est du domaine réglementaire, et donc du pouvoir exécutif. Exit Copé. Le président de la République pouvait donc interdire à Copé de se saisir du problème tout en demeurant le gardien des institutions de la Ve République et apparaître ainsi, pour une fois, fidèle aux principes gaulliens.

Restait à demeurer ferme pour ne pas perdre la bataille de l’opinion. Le domaine réglementaire, qui est entre les mains du premier ministre[2. Et donc de lui-même…], permettait d’interdire le voile intégral au nom du vivre-ensemble. Pour les services publics, des arrêtés ministériels ou préfectoraux pouvaient imposer l’interdiction. Peut-être même y avait-il déjà dans le maquis de nos règlements des dispositions déjà existantes et permettant d’interdire cette tenue, du genre « il est interdit de se promener masqué dans les rues en dehors des périodes de carnaval ». Pour la voie publique, il aurait aussi pu ajouter une petite touche très politicienne en demandant à certains maires proches de lui d’édicter des arrêts municipaux. Lorsque des maires de stations balnéaires interdisent, là encore pour une question de décence, de se promener en slip de bain dans les rues, ils ont la possibilité de faire de même pour un vêtement heurtant la décence, même si c’est pour des raisons diamétralement opposées. Ainsi aurait-il pu lancer un championnat de France des maires qui aurait pu mettre en difficulté pas mal d’édiles de l’opposition.

Et si, par la suite, les tribunaux administratifs, puis le Conseil d’Etat[3. Dans sa formation juridictionnelle et non plus celle de conseil du gouvernement.] avaient annulé ces différents arrêtés – ministériels, préfectoraux ou municipaux, il aurait pu in fine décider d’un projet de loi d’interdiction générale, tout en fustigeant les juges pour leur laxisme.

Fermeté, posture institutionnelle revenant aux sources de la constitution du Général, rabattage de caquet de Copé, mise en difficulté des maires socialistes, dénonciation éventuelle des juges et apparences sauvées : tel aurait été le bilan flatteur de Nicolas Sarkozy s’il avait appliqué cette méthode qui aurait dû être mise en pratique dès l’automne dernier. Au lieu de cela, il a capitulé en rase campagne devant Copé et pris le risque d’être désavoué par un conseil constitutionnel, dont le seul membre de gauche est celui qu’il a lui-même nommé, voire par l’Europe dont les Français n’ont pas oublié qu’il en était tellement friand, au point d’imposer – par la voie parlementaire – la constitution européenne qu’ils avaient refusée.

Quand on n’y est plus, on n’y est vraiment plus…



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