La semaine passée, je me trouvais à banqueter dans une joyeuse ambiance avec une brochette de notables politiques montés de la vallée vers mon village perché pour une remise de médailles aux édiles locaux.
Tout ce petit monde forme une bande de vieux amis blanchis sous le harnois de la gestion communale et cantonale depuis quelques décennies. La gauche n’a jamais été leur tasse de thé, c’est la région qui veut ça : pays de Contre-Réforme, le haut pays savoyard a été longtemps marqué par une emprise du clergé sur les esprits ruraux. Les idées collectivistes et l’exercice de la lutte des classes n’ont pas été pourtant totalement absentes de l’histoire locale. Au début du siècle, l’industrialisation de l’horlogerie avait donné lieu à des conflits sociaux violents, notamment à Cluses, en 1904, où les patrons d’une usine en grève avaient tiré sur les ouvriers en grève, faisant trois morts parmi eux. Cette affaire donna l’occasion à Aristide Briand de faire une des plaidoiries les plus brillantes de sa carrière d’avocat et d’homme politique de gauche.
Aujourd’hui, cette époque est bien révolue, et les arrière-petits-enfants des ouvriers en colère sont devenus patrons ou cadres des PME du décolletage, et font trimer des gens venus d’ailleurs, du nord de la France ou du Maghreb pour fournir des pièces de haute précision aux industriels de l’automobile, de l’aviation ou de l’armement.
Les convives avec lesquels je partageais le pain et le vin, le café et le pousse-café étaient donc encartés à l’UMP, à l’exception d’un jeunot qui s’est inscrit au Nouveau Centre pour faire le mariole.
Pour tous ces gens-là, qui n’ont pas suivi à la trace un cheminement politique dont certains commentateurs ne manquent pas de me faire grief, je reste à jamais un suppôt de la gauche.
Cela ne les empêche pas d’éprouver pour ma personne quelque considération, et même pour certains d’entre eux, une forme d’amitié montagnarde, peu expansive, mais d’une solidité à toute épreuve.
C’est donc sans malice, et même avec l’idée que cela pourrait me faire plaisir, qu’ils ont tenu, au cours du repas, des propos virulents contre l’actuel président de la République.
C’était la fête à Sarko, qui est sorti essoré de ce pow wow de sachems alpins. Tout y est passé : la suppression de la taxe professionnelle, la réforme nébuleuse des collectivités locales, le bling-bling et le copinage privilégié avec les patrons du CAC40 honnis par ceux des PME qu’ils pressurent.
Mais ce qui leur est resté principalement en travers de la gorge, c’est l’embrigadement de l’ensemble de la droite sous la seule bannière UMP, qui prive les gaullistes de longues dates des postes électifs au nom de l’élargissement au villiéristes, bockeliens et autres chasseurs-pêcheurs. Tout cela étant mitonné rue de la Boétie sous la houlette d’un Xavier Bertrand piloté de l’Elysée, cela ne laisse pas beaucoup de marge à mes amis de la droite locale pour mettre leur épices personnelles dans la cuisine électorale devant être servie les 14 et 21 mars prochain.
Devant tant de hargne et d’ingratitude envers celui qui les a, tout de même, menés vers la victoire en 2007, je me risquais timidement à souligner que tout n’était pas à jeter dans l’action de Nicolas Sarkozy et que, par exemple, en politique extérieure il avait eu quelques initiatives ne devant pas déplaire aux hommes de droite comme eux. Réintégration de l’OTAN, présidence le l’UE dynamique, correction de la « politique arabe » chiraquienne pour revenir dans le jeu politique proche-oriental…
J’aurais mieux fait de me taire, car ce plaidoyer eut pour effet de renforcer encore la hargne anti-sarkozienne de la tablée. Ces notables regrettent Chirac, point barre. Il était un des leurs, se contentait de verrouiller politiquement sa Mairie de Paris et son département corrézien, laissant ses amis des provinces organiser à leur guise leur petite entreprise politique. Et pour ce qui est de la politique extérieure, va pour une politique arabe de la France qui assure de juteux contrats aéronautiques et d’armement qui font tourner à bloc les machines de la vallée. Sarko, pour eux, c’est un agité du bocal qui leur fait honte quand il sort.
Alors, Nicolas Sarkozy peut-il encore gagner en 2012, si l’on considère l’état actuel des sondages, l’épine villepinienne, et cette révolte sourde, mais bien réelle, des chefs de villages provinciaux, ce n’est pas plié, loin de là.
L’exemple d’un Mitterrand au plus bas en 1986 qui remporte haut la main la présidentielle de 1998, ou de Chirac cohabitant écrasant Jospin en 1995 ne peuvent être évoqués pour rassurer les sarkozistes.
Le quinquennat a changé totalement la nature de la Ve République. Les candidats Mitterrand et Chirac étaient des opposants au pouvoir en place lorsqu’ils ont été réélus, alors que Sarkozy devra assumer son bilan, tout son bilan. Pour reconquérir le peuple de droite, les bons vieux gadgets sécuritaires et patriotiques ne suffisent pas. On ne met pas une armée en marche en méprisant les caporaux et les sergents.
Bien sûr, ils ne voteront jamais à gauche, mais ils pourraient bien ne pas se montrer très zélés pour faire remonter Nicolas sur le pavois. On me dira qu’un Sarkozy en campagne, ça peut soulever des montagnes avec ses petits bras, et que l’on a encore rien vu. À ceux-là, le clintonien farouche que je suis répond : « It’s the economy, stupid ! » Se faire réélire avec un taux de chômage à plus de 10 % et une politique de rigueur imposée par Bruxelles et Francfort relève de l’exploit herculéen.
Son seul vrai espoir réside donc dans cette propension de la gauche à ne jamais rater l’occasion de rater une occasion.
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