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Sarkozy, diplomate de cour de récré


Photo : 1947juan.

Daniel Schneidermann cafte, sur son site Arrêt sur image, un incident qui aurait dû rester confiné à la caste des journalistes accrédités à l’Elysée. Le dernier jour du sommet du G20 à Cannes, peu avant sa conférence de presse commune avec Barack Obama, Nicolas Sarkozy se retire avec le président des Etats-Unis dans un endroit discret, en compagnie de leurs seuls interprètes. Pendant ce temps-là, les sbires de la communication élyséenne distribuent aux journalistes les boitiers permettant d’écouter la traduction simultanée des propos qu’allaient bientôt tenir devant eux les grands hommes. Cependant, ils retiennent par devers eux les écouteurs adaptés à ces boitiers. A un journaliste qui s’en étonne, les « élyséens » répondent que c’est pour éviter que les échanges intimes entre Sarkozy et Obama ne soient captés par des oreilles trop curieuses. C’était comme agiter une saucisse de Francfort sous le nez d’un molosse affamé ! La normalisation des gadgets électroniques utilisés dans le monde fabuleux de la presse permet de transférer sans problème un écouteur de magnétophone sur ce fameux boitier de traduction.

Et voilà ce que purent entendre nos « accrédités » pendant les trois minutes où ce manège passa inaperçu. Sarkozy parle de Benyamin Nétanyahou : « Je ne peux plus le voir, c’est un menteur ! ». Obama : « Tu en as marre de lui, mais moi, je dois traiter avec lui tous les jours ! ». Ces mâles échanges sur le conflit du Proche-Orient avaient été initiés par Barack Obama qui reprochait à Sarkozy d’avoir voté en faveur de l’admission de la Palestine à l’Unesco sans l’avoir prévenu.
On doit rendre hommage à Schneidermann d’avoir brisé l’omerta concertée entre les « accrédités » et les « communicants » de l’Elysée sur cet incident : s’il n’avait pas été là, personne n’aurait eu connaissance de ces propos fort éclairants sur l’état d’esprit du président français vis-à-vis du premier ministre israélien. Et qu’on ne vienne pas nous parler d’éthique ou pire, de déontologie, pour justifier ce comportement qui relève de la pure et simple connivence entre habitués de la rue du Faubourg Saint-Honoré ! Les « accrédités » ont fait une fleur aux « communicants » en leur épargnant les foudres présidentielles, et les premiers sauront bien, un jour prochain, leur renvoyer l’ascenseur.

La maladresse des « élyséens » est-elle vraiment involontaire ? Ne voulait-on pas, justement, faire passer un message en feignant l’incident technique ? Peu probable, mais peu importe, dans ces circonstances, seul le résultat compte, et Nicolas Sarkozy devra faire avec l’insulte proférée envers Bibi. Cela me donne l’occasion de rectifier, auprès des lecteurs de Causeur, l’interprétation que je leur avais livrée de la volte-face française concernant le vote à l’UNESCO, que j’attribuais à tort à l’influence d’un Alain Juppé harcelant Sarkozy au sujet de ce vote. Non, la vérité, c’est que le président français est désormais animé par une profonde aversion envers le premier ministre israélien, et règle sur ses humeurs le cours de la diplomatie française. Peut-être a-t-il de sérieuses et honorables raisons de se comporter ainsi, encore faudrait-il les connaître. Bibi est un menteur ? Quand et à quel sujet a-t-il joué les Pinocchio face à notre président ? Lui avait-il, par exemple, promis de cesser les constructions à Jérusalem-Est et dans les grands blocs d’implantations contiguës à la « ligne verte » ? Si c’est le cas, la colère du président français est compréhensible, mais il faudra qu’il en apporte la preuve.

On doit cependant également envisager une autre hypothèse. Netanyahou n’est certes pas un modèle de vertu politique, mais on peut lui concéder une forme de constance dans la conduite de sa politique extérieure : il dit ce qu’il fait, fait ce qu’il dit et agit en fonction de ce qu’il estime être l’intérêt supérieur de la sécurité d’Israël. Quel intérêt aurait-il à mener en bateau un pays dont le rôle aux Nations Unies et dans l’Union Européenne peut être déterminant dans la guerre diplomatique déclenchée contre Israël par Mahmoud Abbas ? Pourquoi dirait-il la vérité à Barack Obama – ce qui est attesté dans tous les comptes rendus faits par la presse américaine et israélienne des affrontements réguliers entre Jérusalem et Washington – et réserverait ses mensonges à Nicolas Sarkozy ? On est en droit de penser que Nétanyahou est peut-être brutal, mais que c’est loin d’être un imbécile qui irait se fourrer dans une telle situation, dont il ne peut tirer aucun bénéfice.

On me permettra alors d’avancer une autre interprétation du courroux sarkozien. Il est fort possible que Nétanyahou considère que, malgré son statut privilégié à l’ONU, la France ne pèse pas autant qu’elle ne le pense dans le jeu proche-oriental. L’appui de Berlin, et même de Londres, lui apparaît beaucoup plus utile dans la conjoncture actuelle. En aucun cas, Israël – et pas seulement Nétanyahou et ses alliés au gouvernement – ne laisseront jouer un rôle de médiateur dans le conflit à un pays qui pratique depuis quatre décennies, avec des hauts et des bas, une politique globalement déséquilibrée en faveur des adversaires d’Israël. C’était vrai du temps d’Ehud Barak et de Jacques Chirac, cela le reste avec Netanyahou et Sarkozy. Les grandes envolées pro-israéliennes du début de mandat de ce dernier n’ont pas résisté au travail de sape mené, entre autres, par les gens du Consulat général de France à Jérusalem, principaux relais de l’antisraélisme diplomatique primaire.

Alors Bibi ne dit peut-être pas tout ce qu’il pense à Nicolas, qui prend très mal le fait de ne pas être dans la confidence, contrairement à Barack, Angela ou David. Si mensonge il y a, il fait sans doute partie de la catégorie « par omission », la plus vénielle, certes, mais non la moins vexante. La diplomatie « caractérielle » telle qu’elle semble aujourd’hui menée par notre président de la République n’est en tout cas pas de nature à propulser la France aux avant-postes des nations capables de jouer un rôle décisif dans la solution du conflit israélo-arabe. C’est beaucoup plus ennuyeux que les quelques dizaines de milliers de franco-israéliens de Tel Aviv ou Netanya qui iront vraisemblablement à la pêche en mai prochain au lieu de voter massivement pour Nicolas Sarkozy comme il le firent en 2007.



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